Un lieu « préliminaire » pour exercer une pratique à plusieurs
Dario Morales
Je voulais simplement dire que la tentation est grande à faire de l’intra un temps de la vie du sujet centré sur une problématique – la crise – pour laquelle son placement semblerait inévitable. Ou bien ce que l’on retient souvent de l’intra est l’inadaptation chronique du sujet à vivre en société. Le regard que nous voulons porter ce soir est différent. Nous invités nous rappellent que la pratique « psy » obéit à un style, à une façon de faire avec la structure clinique, que le transfère existe et que le médecin psychiatre, l’infirmier, le psychologue mesurent l’efficacité de leur acte aux effets subjectifs qui ne se réduisent pas à la disparition des symptômes mais qui permettent aux patients de se repérer dans une logique leur permettant de se soutenir dans la mise au point de solutions utiles à un maintien dans la vie sociale. Autrement dit, autant que la thérapie, ce qui compte est la trame relationnelle qui se tisse au cours de ce temps de l’intra.
Nos invitées à cette soirée évoqueront leur mode de pratique psychiatrique et psychologique. Psychiatrique, psychologique, dont la fonction excède le domaine stricte du traitement psychothérapeutique puisque elle propose un dépassement du curatif au profit de la prévention des troubles et de la promotion de l’autonomie. Je laisse délibérément de côté, le domaine institutionnel du rôle du psychiatre et du psychologue et de l’infirmier au sein de l’équipe, je préfère m’apesantir sur un autre éclairage de la maladie mentale.
Dans le contexte de la démarche prônée par les politiques, l’objectif «institutionnel» de l’intra ouvre pour la stabilisation de l’individu, via une médication dite «d’entretien», accompagnée par des « activités de réadaptation » afin de parer à la décompensation, car la crise est vécue comme un événement traumatique qui rompt l’équilibre précaire qui avait été retrouvé. Les soignants s’en tiennent en règle générale, à mettre en place des stratégies d’accompagnement afin de créer les conditions pour que ce qui souffrance, angoisse, puisse diminuer. Cette démarche éducative, bien que noble, in fine, ne tient pas compte de la subjectivité des patients. Emilie Edelman précisera les contours des impasses auxquels conduit la croyance en « une institution idéale ».
La psychanalyse, quant à elle, s’élève contre l’approche biologique et déficitaire de la psychose. La thèse de Freud voulant que le délire ne relève en rien d’un dysfonctionnement ou encore d’une déficience de la pensée, mais qu’il constitue plutôt un travail subjectif et une «tentative de guérison».
Quelle est l’offre que le psychanalyste peut faire au psychotique ? Y a-t-il un traitement possible de la psychose ? Peut-on encore employer le terme de psychanalyse quand nous parlons du traitement de la psychose ? La psychanalyse a-t-elle une place en institution ? Comment comprendre alors la proposition lacanienne de la place qu’il faut occuper face au sujet psychotique, de secrétaire de l’aliéné.
Au-delà des réponses apportées, l’idée est de prendre en compte l’accueil de la construction délirante. On comprendra que la clinique analytique impose une éthique. Au lieu de dénigrer le psychotique et de vouloir juguler, contrecarrer le délire, il y a lieu plutôt de le soutenir dans la nécessité où il se trouve d’en faire la construction. Bref, de ne pas refuser au psychotique le statut de sujet.
Or je disais que c’est une avancée de Lacan de mettre les cliniciens au pied du mur: il ne faut pas reculer devant la psychose. Mais ce sera aussi une avancée de Lacan d’indiquer la place qu’il faut occuper face au sujet psychotique: ce sera la place du scribe, du secrétaire de l’aliéné.
On pourrait, depuis cette définition du travail du clinicien face au psychotique, trouver d’autres modulations ou même d’autres avancées. Il faudra, par exemple, si le patient le demande, que le clinicien sache occuper une place tierce par rapport à lui, tierce dans le sens qu’il tâchera de ne pas se laisser identifier à la place du sujet supposé savoir, ce qui ouvrirait à une identification avec l’Autre jouisseur qui persécute le psychotique. Et, de cette place qui est la place de l’ignorance, permettre au sujet psychotique une prise de parole grâce à laquelle il puisse se trouver à être sujet d’énonciation, en élaborant une construction logique qui puisse faire écriture et servir comme point d’appui où il peut arriver à rassembler le corps épars de la langue qui compose, qui constitue son être.
En outre, je dirais que la clinique de la psychose ouvre une perspective qu’on pourrait nommer « préliminaire », un lieu préliminaire non pas à une thérapie ou analyse mais au surgissement de la question du désir, au surgissement des questions qui touchent la subjectivité : un espace préliminaire dégagé en quelque sorte de la puissance de l’Autre qui tant fait peur au psychotique ; car dans la psychose le sujet se fait l’objet de l’Autre.
Enfin, être le secrétaire de l’aliéné permet de créer un réseau partagé par toutes les personnes de l’institution, ayant en toile de fond, le fait que personne ne se croit le dépositaire d’un savoir exclusif sur sa pathologie ; cette pratique est appelé la « pratique à plusieurs ».