« Teissa : la radicalité du refus anorexique »
Astrid BRUNSWICK
« jamais plus esclave de ce que je ne maîtrise pas ! Enfin libre des chaînes du corps pulsionnel ! Enfin séparé à jamais de la demande de l’Autre ! Jamais plus objet de la jouissance de l’Autre »,
Massimo Recalcati
Je vous propose pour cette première soirée de séminaire sur les troubles du comportement alimentaire de déployer la situation de Teissa. J’ai souhaité partager cette situation clinique qui illustre avec une certaine intensité la façon dont ces prises en charge peuvent nous saisir au « creux du ventre » et mobiliser des enjeux transférentiels complexes. Il s’agit d’un cas sévère d’anorexie mentale où le symptôme d’anorexie est agité par la patiente avec radicalité mais également de façon désespérée, comme si cela était pour elle le dernier lieu pour exister.
La situation clinique de Teissa résonne avec les propos de Jean-Louis Chassaing qui témoigne dans son article « Parole à vide. Avide de rien. La cage de l’artifice » (1) combien cette clinique où la mort rôde contient quelque chose d’angoissant pour les professionnels qui s’y confrontent :
« « L’anorexique angoisse » (le thérapeute, les soignants) car face à ce symptôme surgit le doute sur le succès des prises en charge proposées, voir un certain malaise face à la perspective de rechute ou de réaggravation à venir qui génère de l’inquiétude et parfois un cuisant sentiment d’échec. Il y a quelque chose de vertigineux dans la confrontation au gouffre de l’anorexie, gouffre du « Rien » mais qui avale toute l’énergie investie dans la possibilité d’un « mieux vivre » ».
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Rencontre avec Teissa
Teissa est une jeune fille de 20 ans d’origine portugaise qui souffre d’anorexie mentale depuis l’âge de 13 ans. Elle arrive dans l’unité d’hospitalisation pour Troubles du Comportement Alimentaire (TCA) de l’hôpital Sainte Anne dans le cadre d’un transfert depuis le service de réanimation nutritionnelle de l’hôpital Raymond Poincaré à Garches. Teissa a connu plusieurs épisodes d’hospitalisation en lien avec son anorexie mentale : en service de pédopsychiatrie quand elle était adolescente puis en psychiatrie adulte. On note deux longues hospitalisations au Portugal entre 13 et 14 ans, une hospitalisation en pédopsychiatrie en France marquée par un refus de soin, une hospitalisation sous contrainte en psychiatrie adulte avec une rechute rapide à la sortie, puis une réhospitalisation en psychiatrie adulte dans un autre service, nécessitant un transfert en service de réanimation nutritionnelle du fait d’un malaise lié à sa dénutrition. C’est suite à ce passage en service de réanimation nutritionnelle qu’elle arrivera dans notre unité. L’impression qu’elle suscite à son arrivée est que toutes les tentatives de soin semblent vouées à l’échec. Teissa affiche avec force le refus de s’y inscrire.
L’entourage familial est mobilisé par ses soins, en particuliers ses parents qui se montrent très présents. Ils supportent mal les temps de séparation quand Teissa est à l’hôpital. Ils ont besoin de faire entendre combien il est important pour eux de rester proches, voire collés, pour se sentir rassurés. La mère se décrit comme « pétrie d’angoisse » quand sa fille n’est pas auprès d’elle. En début de prise en charge, Teissa désirait activement pouvoir retourner auprès d’eux, soulignant combien les soins l’empêchaient de retrouver sa place dans la vie familiale. Elle a un frère jumeau dont elle était très proche plus jeune mais dont elle s’est éloignée avec l’anorexie, ce qu’elle regrette. Ce dernier a récemment révélé son homosexualité à leurs parents, ce qui a provoqué de nombreuses tensions familiales. Leur père a mal réagi à cette annonce, désignant l’homosexualité de son fils comme une pathologie dont il fallait le soigner et prenant ses distances avec lui. Teissa a également une plus jeune sœur de 14 ans à laquelle elle se dit très attachée et dont elle souhaiterait pouvoir plus s’occuper, se décrivant comme une « seconde mère » pour elle.
Le couple parental se présente comme divorcé depuis 6 ans, mais il règne une confusion sur la réalité de cette séparation, tant dans le discours de Teissa que dans leur façon d’être ensemble. Les parents alternent entre des périodes de rupture et des périodes de retrouvailles, sans que cela soit clairement énoncé, ce qui renvoie l’impression d’une situation nébuleuse où il est difficile de déterminer comment la vie s’organise en famille.
Sur le plan scolaire, Teissa est en rupture avec ses études depuis 4 ans. Elle est arrivée jusqu’en première au Portugal mais a été placée en seconde lors de son arrivée en France après évaluation de son niveau. Elle a rapidement décroché des cours et se retrouve aujourd’hui déscolarisée.
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L’anorexie et le refus
Le terme « anorexie » se traduit en allemand par le terme « Magersucht » ce qui signifie « recherche enragée de la maigreur » (Mager, décharné, maigre ; Sucht, passion, rage maladive, recherche enragée). Cette posture enragée, mais aussi par certains aspects désespérée, témoigne assez fidèlement de ce que Teissa donne à voir dans les soins. On ressent une rage dans sa détermination, son obstination à se faire maigrir. Il y a de la jouissance à « tenir bon » dans ses symptômes, jouissance plus orientée vers un masochisme que vers une « victoire phallicisée » hystérique.
Teissa a dans un premier temps passé 9 mois dans notre unité, négociant chaque étape de soin avec beaucoup de velléité. Elle a témoigné sans relâche de son « refus » de quitter l’anorexie et de faire alliance dans les soins : refus de la sonde nutritionnelle, « manipulant » la sonde ou s’automutilant lors de ses passages, refus de prendre des traitements psychotropes pour la soulager de ses angoisses, refus des réintroductions alimentaires, refus de la prise de poids, refus des changements proposés dans les contrats de soins, refus de parler, résistance au travail psychothérapeutique voire refus de nos entretiens … jusqu’au refus de quitter les soins pour intégrer un espace de soins études qui visait à lui permettre l’accès à une plus grande autonomie. Massimo Recalcati parle ainsi d’un « choix pour le refus » dans l’anorexie (2- p.5), choix qui témoigne de la position du sujet envers lui-même et envers ce qui l’entoure.
Teissa mettra activement en échec tout projet de soin ou de sortie, revendiquant le besoin de rester « auprès de nous ». Nous avons collectivement décidé qu’il n’était pas thérapeutique de maintenir une prise en charge alors qu’il s’installait pour elle une problématique d’hospitalisme, avec en arrière-plan une dimension anaclitique. Il lui a été proposé de maintenir un lien sous la forme d’un suivi ambulatoire régulier avec la psychiatre consultante de l’unité. Elle a accepté de venir en consultation mais a refusé la proposition de sonde nutritionnelle à domicile qui était censée la préserver d’un décrochage rapide sur le plan pondéral.
Au final, après 2 mois passé au domicile familial, Teissa est revenue dans l’unité dans un état de grave dénutrition avec une déshydratation majeure. La situation à la maison était devenue « invivable » selon elle, ses parents étant en permanence « sur son dos », ce qu’elle ne supportait plus. Après un mois d’aphagie totale, elle a formulé une demande de soin car elle se sentait « épuisée » et qu’elle était gênée par un important « flou visuel ». Elle sentait son corps lâcher et ne maîtrisait plus ce qui se passait en elle, ce qui a généré une forte angoisse. Cette atteinte visuelle réversible s’est avérée être la conséquence d’une encéphalopathie de Gayet de Wernicke en lien avec son état de dénutrition sévère. A ce jour, elle est toujours hospitalisée dans l’unité en phase dite « nutritionnelle » et elle avance pas à pas. On note la persistance d’une dimension passive agressive qui semble être la seule modalité relationnelle à laquelle elle peut faire appel quand elle n’a plus recours à l’ivresse de l’anorexie. Elle tente de « grignoter » par de multiples stratégies des espaces où elle peut exercer un contrôle sur son corps, sur ce que ce dernier ingère ou libère. Elle trouve à nouveau refuge dans une attitude de repli et de rejet dans laquelle elle se mure, ce qui complexifie la possibilité de construire un lien avec elle. Selon Massimo Recalcati, « l’anorexique a la terreur de la relation à l’Autre –même si elle aspire à cette relation- parce qu’elle craint de s’y perdre, de ne pas tenir face à l’intrusion de l’Autre dans sa vie affective » (2- p.8)
L’anorexie tient l’Autre à distance : le corps dénutri met en scène une image de mort qui effraie ; la force du refus alimentaire et l’attitude de toute-puissance renvoie un sentiment d’impuissance qui invite l’Autre à passer son chemin. On parle ainsi du « corps-mur » de l’anorexie. Mais quand le symptôme anorexique perd du terrain, Teissa a besoin de se murer dans des silences qui durent et qui créent du malaise. Ces silences semblent signifier toute l’agressivité et la colère qui l’animent mais qui ne peuvent pas se figurer dans des mots. « La parole a un poids » selon Charles Melman, « celui de la castration, celui de l’équivocité, celui de la tromperie, celui du manque, celui de l’adresse, de la demande et de sa déception, du désir ». Teissa ne semble pas en mesure d’inscrire son vécu dans la trame du langage pour témoigner de ce qui se passe en elle. L’Autre est par essence une donnée qui lui échappe, ce que l’Autre pourrait faire de son discours ne peut être sous contrôle, ce qui semble la plupart du temps insurmontable. Selon Massimo Recalcati, « la folie de l’anorexie est celle d’une volonté qui veut constituer un sujet non entamé par la castration » (2-p.7). Teissa est dans le refus de l’action aliénante du langage et a opté pour un choix de maîtrise absolue impliquant l’illusion de toujours être « maître chez soi », contrairement au sujet névrotique qui selon Freud « n’est jamais maître chez lui ». Elle ne laisse pas de place à l’irruption de la colère ni à la survenue d’un conflit psychique, ces dimensions étant activement refoulées.
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Anorexie et exigence de séparation
Chez Teissa, la crainte de l’intrusion de l’Autre semble faire écho à l’avidité, voire la voracité des attentes parentales à son égard. Dans l’anorexie, il existe une « exigence radicale de séparation » qui associée à une illusion d’autonomie, cherche à nier toute forme d’aliénation à l’Autre : le sujet anorexique se revendique « comme un absolu compact dépourvu de manque » (2-p.8). Toute forme de lien à l’Autre semble coupée par crainte du potentiel aliénant qu’il comporte.
« La séparation tend à se réaliser non seulement comme séparation de la demande de l’Autre liée à l’objet oral, la nourriture, l’aliment, mais comme séparation de la demande de l’Autre en tant que telle ; pas seulement de l’objet de la demande, mais de la demande en soi comme lieu de manifestation de l’Autre » (2- p.8).
Le refus anorexique comporte une fonction d’effacer toute dette par rapport à l’Autre. Teissa incarne pleinement cette posture d’une demande de « Rien » et il peut se poser pour elle la question d’une anorexie mélancolique, quand l’anorexie pousse le sujet à la mort, à « sortir du monde » comme l’exprime Massimo Recalcati.
Malgré ce tableau très sévère, malgré cette demande de « Rien » et la forte résistance dans les soins dont peut faire preuve Teissa, il a pu s’opérer un mouvement en elle pour qu’une amorce d’adresse à l’Autre puisse naître. Au prix d’efforts continus pour maintenir une contenance dans les soins et faire tenir un lien thérapeutique attaqué rudement, Teissa a pu se décaler de cette position de non demande pour faire entendre qu’elle désirait rester auprès de nous afin d’échapper à l’étreinte familiale. Quelque chose a pu s’élaborer d’une adresse à l’Autre soignant, témoignant de son besoin d’être tenue à distance de sa famille.
Sa demande de ménager un espace de respiration en restant à l’hôpital, s’est surtout manifestée lorsque Teissa a été réhospitalisée dans l’unité. Elle semble prise dans un double enjeu de loyauté envers ses parents, à savoir d’être l’alliée « fidèle » de sa mère tout en étant la « complice » de son père. Il s’est agi pour elle de repousser l’envahissement de sa mère : « je mange ma fille de câlins » disait sa mère en entretien, témoignant de la dimension cannibale dans la relation mère-fille. Elle a également eu besoin de se protéger de la violence de son père. Jusqu’à présent, ce dernier se positionnait comme un père tendre et prévenant, avec une dimension incestuelle dans les rapprochés affectifs. Il ne pouvait s’empêcher de l’enlacer au moment des séparations après les visites. Il voulait « tout arrêter » pour rester auprès d’elle et la choyer du mieux possible lors de son retour à la maison. Teissa pourra dire concernant son père : « je lui disais oui à tout, sauf depuis l’anorexie ». Face à la raideur du refus alimentaire de sa fille après la sortie de l’hôpital, il a basculé dans des réactions colériques et violentes, allant jusqu’à renier ses jumeaux : « j’ai perdu deux enfants, l’un à cause de l’anorexie et l’autre à cause de l’homosexualité ! ». On peut s’interroger sur la fonction du symptôme anorexique, au même titre que le symptôme « homosexualité », comme des voies d’échappement au désir parental, et en particulier au désir paternel.
Comme l’exprime Massimo Recalcati, manger le « rien » « vise à défendre le sujet dans sa singularité en lui permettant de se séparer de la demande étouffante de l’Autre (« Mange !! ») » (2- p.12). L’enjeu pour Teissa semble ainsi de pouvoir advenir comme un sujet de désir. Parce que « l’espace de son énonciation subjective n’a pas été suffisamment préservé » (2- p.12) elle se réfugie dans l’anorexie qui la sépare de la jouissance abusive de l’Autre : « je ne peux plus la prendre dans mes bras quand elle est si maigre, j’ai peur de la casser » dira sa mère.
Malgré l’accès à un regard plus critique sur le système familial et la prise de conscience de l’exigence de séparation avec ses proches, lorsque nous abordons la relation à ses parents, c’est comme si elle « préférait » parler de sa « maladie », de ses symptômes, de ses préoccupations corporelles ou alimentaires. Cette accroche au symptôme fonctionne dans l’anorexie comme un « cache-symptôme » pour reprendre l’expression de Jean-Louis Chassaing (1-p.53). Porter un regard critique ou remettre en question certaines attitudes parentales est souvent vécu comme une attaque dans le réel des parents : « en disant du mal de mes parents j’ai l’impression de leur faire du mal ». Dire du mal ne peut pas se déployer dans l’imaginaire, énoncer une critique équivaut à faire du mal. Or l’Autre il faut le préserver, le protéger, le combler… être son objet de complétude. Cette attaque des imagos parentales semble d’autant plus difficile que les parents sont souvent décrits dans la clinique de l’anorexie comme s’étant sacrifiés pour leur enfant : « on a tout fait pour toi », « on t’a tout donné ».
Il y a une mise en dette, dette qu’il « faut payer par corps » (1-p.53). Sheila MacLeod (3) disait ainsi que par le langage de ses symptômes anorexiques elle cherchait à faire entendre : « Je veux me libérer de toi, mère, mais je me sens coupable d’une telle trahison, c’est pourquoi je ne peux me libérer complètement ».
Teissa semble être engluée dans ce même enjeu de loyauté envers ses parents et en particulier envers sa mère. Elle a besoin de s’extraire du nid parental mais sans s’y autoriser complètement par crainte d’être coupable d’abandonner l’Autre. Pousser les limites de son anorexie, aller dans l’extrême de la mise en jeu de sa survie semble être la seule issue pour forcer cette séparation, car à ce moment-là, il n’y a plus d’autres choix que de s’en remettre à « d’autres mains ».
Parallèlement à l’exigence de séparation que l’on observe dans la clinique de l’anorexie, on ne peut que constater la « faiblesse de la séparation anorexique » car ces patients se retrouvent fréquemment assistés par leur entourage qui est contraint de s’occuper d’eux comme d’un nourrisson. Teissa décrit ainsi des scènes de vie où sa mère devait la porter dans les escaliers, l’hydrater avec des pipettes d’eau ou l’accompagner dans la douche pour l’aider à se laver tant son épuisement physique la mettait en position d’impotence régressive. Il semble ainsi coexister une exigence de séparation sur le plan imaginaire tout en agissant une relation de dépendance infantile dans le réel. Selon Lacan nous pouvons comprendre cette dimension de passivité dans l’anorexie par la façon dont « l’Autre de l’anorexique confond systématiquement la dimension du besoin et celle du désir » (2-p.10), ce qui le pousse à réduire le sujet à un objet passif de soin.
Cette façon d’être réduit à l’objet et de se confronter à une expérience de perte de subjectivité semble s’opérer de façon traumatique chez le sujet anorexique. Pour Teissa, l’arrivée d’une petite sœur issue d’une relation adultérine paternelle et portant le même prénom qu’elle apparaît comme un facteur traumatogène. Le lien de filiation avec cette demi-sœur lui a été caché jusqu’à ses 12 ans, ce qui correspond à la période d’entrée dans son TCA. D’une position de fille choyée et irremplaçable dans les yeux de son père, elle a vécu cette révélation comme un rapt identitaire, la renvoyant à une place de subordonnée, de première esquisse ayant été destituée par une autre de 10 ans sa cadette. La dimension du secret a possiblement renforcé le sentiment d’être considérée comme un objet sans droit de savoir.
Parallèlement à la révélation de ce secret de famille, Teissa est entrée dans la puberté et semble avoir particulièrement mal vécu les changements corporels qui s’y sont opérés. Les modifications de sa silhouette ont suscité chez elle de multiples plaintes et des comparaisons obsédantes avec les autres jeunes filles de son âge. Teissa s’est sentie anéantie par la confrontation avec le caractère ingouvernable de son corps en transformation : corps d’enfant se mutant en un corps pulsionnel. Elle a refusé ce corps qui devenait étranger, cette part d’« altérité qui échappe » dans le corps (2- p.13).
Enfin, Teissa a vécu une rupture amoureuse douloureuse à l’âge de 16 ans lorsqu’elle est venue en France. Elle vivait une histoire amoureuse avec un garçon au Portugal depuis 2 ans. Elle se décrit comme ayant été très attachée à ce garçon et elle n’a pas compris qu’il se détourne d’elle lors de son départ en France. Cette rupture s’est faite « sans que les choses soient dites », ce qui lui a semblé d’autant plus insupportable et abandonnique. Depuis cette histoire, elle semble s’être déconnectée des questions amoureuses, voire de toutes relations affectives en dehors de la sphère familiale.
Au fond de l’attitude de maîtrise poussée à son extrême dans l’anorexie, on trouve ainsi une expérience angoissante de perte de contrôle qui a poussé le sujet anorexique à exercer une volonté absolue de maîtrise. Selon Massimo Recalcati, « la volonté de contrôle devient une manifestation directe de la pulsion de mort » au sens où le sujet est en recherche de cet état de non tension, d’anesthésie pulsionnelle et affective qui émane de la pulsion de mort. Encore aujourd’hui, malgré sa demande d’être dans les soins, Teissa clame haut et fort son désir de remaigrir pour retourner aux limites de la mort : « je ne veux pas arrêter l’anorexie, je ne veux pas changer (…) « je ne me sens malade d’anorexie que quand je risque d’en mourir ». Pour se sentir en vie, elle semble avoir encore besoin de se mettre sur le fil du rasoir de la mort, « aller jusqu’à l’extrême de presque mourir » pour reprendre l’expression d’une patiente.
Elle court après ce moment où elle ne ressent plus rien d’autre que l’impression de la vie qui s’échappe ; moment où elle peut enfin accepter la main tendue de l’Autre sans craindre pour son intégrité psychique. C’est peut-être le moment où elle peut entrer en contact avec l’angoisse, angoisse qui fait levier pour qu’un processus de changement puisse s’envisager. La qualité de contenance des liens thérapeutiques et la possibilité de résister aux attaques de ces liens semblent des dimensions fondamentales pour que ces patients puissent à un moment déposer les armes et envisager de renoncer à leurs symptômes. Pour Teissa, le chemin est encore long mais quelque chose a pu s’amorcer dans l’accroche transférentielle avec les soignants de l’unité, ce qui laisse entrevoir la possibilité qu’un espace psychique puisse se constituer en dehors de l’étau familial, point de démarrage pour qu’elle se constitue comme un sujet de désir et non plus comme l’objet de complétude de l’Autre.
Bibliographie
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CHASSAING J.-L., « Parole à vide. Avide de rien. La cage de l’artifice, Eres, La clinique lacanienne, 2010/2, n°18, p.49-67
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RECALCATI M., « Séparation et refus : considérations sur le choix de l’anorexie », Psychanalyse 2010/2 (n° 18), p. 5-17.
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MACLEOD S., Anorexique, Paris, Aubier Montaigne, 1992