L’épilepsie est une des maladies neurologiques les plus fréquentes et concerne plus de 50 millions de personnes dans le monde. En France, environ 500 000 personnes sont répertoriées, dont 250 000 jeunes de moins de 20 ans. Et environ un tiers des personnes épileptiques est concerné par sa forme pharmaco-résistante.
Le plus ancien document traitant de l’épilepsie est une tablette babylonienne datant de 2000 ans avant J.-C. qui se trouve au British Museum. On y trouve une description des crises que l’on attribue à un caractère surnaturel : chaque type de crise est associé au nom d’un esprit ou d’un dieu malfaisant. L’épilepsie n’est pas une maladie mais une possession. Au Vème siècle av. J-C., les Grecs la nomment “la maladie sacrée”.
Le premier traité médical sur l’épilepsie est attribué à Hippocrate qui émettait déjà l’hypothèse d’un dérèglement cérébral comme cause de cette maladie. Ainsi, l’auteur de Sur la maladie sacrée entreprend de montrer que l’épilepsie n’est pas plus divine ou plus sacrée que n’importe quelle autre maladie.
Dès la seconde moitié du XIXème siècle, la neurologie, qui s’impose comme distincte de la psychiatrie jusqu’à leur séparation institutionnelle au début des années 1970, va progressivement récupérer dans son champ l’épilepsie qui appartenait jusqu’alors de plein droit à la clinique psychiatrique.
La révolution scientifique qui bouleversa le savoir médical au XVIII et XIXème siècle, a permis avec l’anatomo-pathologie d’exclure totalement la dimension de la cause divine au profit de la mise en lumière des mécanismes neurobiologiques propres à l’épilepsie.
Vers 1870, le neurologue anglais J.H.Jackson donne une première définition anatomo-clinique des crises d’épilepsie qui sont provoquées par des décharges électrochimiques brutales dans le cerveau et dont le caractère varie selon l’emplacement et la fonction de l’aire cérébrale affectée.
En 1920, le psychiatre allemand Hans Berger met au point la technique de l’électroencéphalographe (EEG) qui permet la mesure de l’activité électrique du cerveau et donc de distinguer les patients atteints d’une pathologie épileptique de ceux atteints d’une pathologie psychiatrique.
Appareillée des signifiants de haut mal ou de mal sacré en lien à l’ordre divin, assimilée à la folie, prise dans les tournants de l’histoire de la psychiatrie et de la neurologie, l’épilepsie est aujourd’hui traitée à partir de sa symptomatologie, c’est-à-dire la répétition d’une hyperactivité cérébrale paroxystique (les crises) décelable à l’EEG.
La crise épileptique, un symptôme qui prend autant de formes singulières que de sujet atteint. Elle fait symptôme pour la science en se soustrayant aux causalités dans le cadre des épilepsies cryptogéniques dont les facteurs étiologiques restent inconnus. Elle peut rester invisible en dehors des crises et échapper à la clinique du regard avec des EEG considérés comme normaux au moment des enregistrements. Elle résiste également aux traitements médicamenteux dans un tiers des cas.
Chez le patient épileptique, les troubles psychopathologiques tels que l’anxiété et la dépression sont sur-représentés en comparaison à d’autres maladies somatiques lourdes et même par rapport à d’autres pathologies neurologiques.
Notamment, on compte un nombre important de cas de psychoses chez les patients épileptiques. Egalement les patients psychotiques déclarent davantage une épilepsie que dans la population générale, notamment dans le cadre d’épilepsie précoce et pharmaco-résistante.
Psychose : 6 à 12 fois plus fréquente chez les patients épileptiques que dans la population générale. Pas de chiffre plus exact car absence de consensus sur les syndromes épileptiques en épilepsie …
Ref: Claude REMY ‘psychose et épilepsie’ La lettre du neurologue, n°9, vol V, nov. 2001.
Malgré des tentatives de classification des syndromes psychotiques associés à l’épilepsie, aucun rapport de causalité évident n’est démontré par les études scientifiques. L’épilepsie est-elle une conséquence de la psychose ? La psychose est-elle une conséquence de l’épilepsie ? Existe-t-il une cause commune à l’épilepsie et à la psychose ?
Puisqu’il n’existe pas de consensus, comment dès lors appréhender les phénomènes épileptiques et les troubles psychotiques, si l’on s’en tient uniquement à considérer leurs manifestations premières comme nous invitent à le faire le DSM ?
En effet, dans les deux cas, nous retrouvons des signes communs tels qu’un rapport troublé du sens de la réalité (délires, hallucinations), une dissociation des fonctions psychiques (pensée morcelée, incohérente), des troubles du langage (automatismes mentaux, coq à l’âne, ritournelles, écholalies), des troubles affectifs (désintérêt, réactions discordantes)…
Le repérage de la structure psychotique, qui se trouve complexifié dans le cadre d’une épilepsie conjointe, est néanmoins essentiel pour l’orientation du travail psychothérapeutique auprès de ces patients. Pour ceux-ci, la rencontre avec le réel de leur corps n’est pas apaisée par la perte pulsionnelle liée à la castration symbolique. Là où le morcellement corporel menace, la survenue des crises vient raisonner de manière particulière dans le rapport à autrui en opérant une forme de retrait, d’absence de la scène du monde. La décharge de la crise viendrait vider le corps de sa jouissance à l’instar du passage à l’acte, mais ce mode de traitement s’avère inefficace et il s’agit de les accompagner dans l’élaboration de constructions suppléantes pour « faire autrement » avec ce corps défaillant et imprévisible.
Ainsi ces questions sémiologiques et diagnostiques soulèvent le point crucial de la prise en charge globale des patients épileptiques et psychiatriques, tant sur le plan somatique que sur le plan psychique. Comment la neurologie et la psychiatrie peuvent travailler ensemble ? Comment les institutions médico-sociales telles que les Sessad, les SAVS, les IME… peuvent proposer une offre de soins et d’accompagnement adaptée ?
C’est ici que nous allons donner la parole à Magali Boutin, neuropsychologue au SAVS-Epilepsies et en neurochirurgie au CHSA.
Magali Boutin va nous éclairer sur ces questions épistémologiques et cliniques que soulève l’intrication épilepsie-psychose.
Puis l’équipe du Sessad l’Essor nous parlera de son travail pluridisciplinaire auprès d’un garçon de 9 ans présentant des troubles psychopathologiques et une épilepsie.