Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Relever le défi de la mort pour vivre en soi – Conclusion de l’après-midi d’étude

Dario MORALES

Le psychologue fait le choix du relationnel qui se distingue dans l’environnement où vous exercez, l’hôpital avec la multiplicité d’actes techniques. Le relationnel constitue l’enjeu même de la trame thérapeutique. Or le relationnel tel que vous l’avez décrit est tâché de l’insupportable. La relation que le patient engage avec les psychologues ne sera donc en aucun une relation quelconque car son être semble se réduire au corps biologique, au corps mourant. Le pari du psychologue consistera à entrer dans le langage de l’individu plongé dans le discours médical. Du coup, il s’agit de s’appuyer sur ce que le psychologue a de commun avec le patient, le langage, pour être le sujet. Le point que le psychologue a de commun avec le malade est que lui, le psychologue, est sujet au langage. Il ne s’agit donc pas de rajouter du savoir au savoir du sujet mais de travailler à partir de ce point commun qu’est le langage afin de desserrer le point qui produit une ségrégation dans ces lieux ; la maladie du corps, la mort. En premier lieu, il s’agit de soutenir une nomination chez le patient et de s’appuyer sur ce qui justement est omniprésent, le corps, mais qui par cette omniprésence finit par saturer le sujet. Il s’agit donc de faire, comme le dit Aurélie, décoller le discours du sujet de son corps qui se désorganise pour lui permettre d’exister. Nommer permet de rencontrer un certain nombre de signifiants, d’affects qui permettent d’aborder ce qui gît au fond des soins palliatifs, la mort. Aurélie a isolé également la honte pour lui donner un statut agalmatique.

Du coup me sont venues ces lignes : il n’a pas de valeur intrinsèque à la vie ! Y a-t-il un sens à la vie ? C’est pour cette raison, peut-être, que lorsque le sujet est malade paradoxalement s’humanise la vie et que du coup surgit la honte de vivre, parce qu’il n’y a pas de devoir de vivre. Il n’y a pas de sens de la vie mais par contre l’être humain prend en charge la vie, la cause de sa vie. Et c’est lorsque se dégage la cause que se produit une forme d’affect qu’on pourrait appeler la honte de vivre. A la différence de la honte tout court, cette honte n’est pas liée à ce que nous sommes ou avons été, à ce que l’on fait ou à ce que l’on a fait, elle est liée à ce dont nous sommes faits, en tant que la décision du sujet est engagée et qu’il a consenti à cet engagement.

Dans les services de soins palliatifs où vous intervenez il s’opère alors ce renversement, la vie du sujet a quelque chose à faire avec le regard, le corps, et l’on sait que la honte n’est pas sans rapport avec l’appréhension pour le sujet de « se faire tache ». La chute du corps, dans ce lieu de ségrégation fait tache dans le tableau. Il se découvre dans l’horreur de son regard – et du regard de l’autre, comme un simple objet. Il y a donc dans la honte de vivre, ce retour de ce qui fait tache dans son être. Et je dirais alors que le psychologue est bien placé pour récupérer le témoignage de ce temps, instant de voir, temps pour comprendre, de ce dire qui condense la honte de vivre. Je dirais que la honte de vivre est alors l’affect par excellence. Trou par où jaillit dans la parole vraie ou comme déni, le signifiant-maître, le signifiant maître de tous les signifiants, la mort, signifiant absolu du manque et de la perte.

Le fait que vous soyez en première ligne, devant l’authenticité de la parole du sujet, rend parfaitement la situation insupportable, à la limite du sens et du savoir. C’est de cette limite que vous avez pu en témoigner !