Karine ERBIBOU
Cette soirée clinique se propose donc comme l’a présenté Dario Morales de traiter un thème d’actualité « Quand le travail fait souffrir ». Un thème d’actualité car en effet, aujourd’hui nombreux médias s’en font l’écho sous forme « de faits divers parmi d’autres dans l’actualité quotidienne » et sur lesquels aujourd’hui on met l’accent.
Lors de cette soirée et autour de ce sujet, nous entendrons le témoignage du Docteur Anne Gaëlle Paollilo qui est médecin du travail à l’ACMS de Suresnes.
Puis nous écouterons le témoignage de membres de l’association « Souffrance au Travail », René Fiori, Elisabeth Frantz et Anne Ganivet Poumellec.
Malheureusement, le Docteur Marie-Christine Soula, Médecin du Travail qui devait intervenir également ne peut pas être des nôtres ce soir et vous prie de l’en excuser.
Leurs témoignages sur leurs expériences cliniques respectives est l’occasion d’approcher différents temps et modalités de la prise en compte de la souffrance au Travail. Ils donnent aussi à parler du devenir de cette souffrance, de sa prise en compte ou de sa négation, de comment le Monde de l’entreprise et celui du Médico Social peuvent si ce n’est résoudre, et ceci ensemble ou pas, cette douloureuse question de comment finalement favoriser « un mieux être au travail », à faire que l’usure au travail ne vienne pas éroder les ressources fondamentales d’un sujet et puisse préserver au minimum dans le meilleur des cas son élan vital.
Car parler de souffrance au travail, c’est par exemple parler de l’annonce bruyante d’un suicide dans les locaux même d’une entreprise qui renvoie à des effets radicaux : ceux d’une incompréhension, d’un « irréparable » et la confrontation avec l’absence irrémédiable. La question de la perte qui laisse ouverte et béante la voie de l’incompréhension souvent de quelque chose qui se produit comme « par surprise », une chose à laquelle personne ne s’attendait.
Après le temps de la saturation par l’événement, s’ouvre parfois un temps nouveau, celui chargé de questionnement. Un questionnement réflexif qui peut témoigner d’une culpabilité et, aussi, d’un questionnement sur des responsabilités sous jacentes…
C’est encore parfois la fatigue continue d’un employé désigné comme inefficient alors qu’il n’en pouvait plus…
Alors de l’Invisible au Visible, finalement la bonne question relèverait plutôt de ce qui est de l’ordre de intelligible, de ce qui donne finalement matière à penser, à élaborer… Je veux parler « de la réalité » et « du réel » entendu comme tels, coordonnées à un individu et sa subjectivité d’un côté, à une entreprise et ses objectifs de l’autre…
Comment faire alors pour créer du lien entre ces deux versants de réalités si souvent opposés et que socialement soit prise en compte la possibilité d’une voie d’entendement, celle du sens et d’une communication efficiente au bénéfice de la création d’une voie(x) d’« échange » ?
Une chose est sûre, d’un bout à un autre, c’est le point de l’annonce et « de ses effets qui choquent tout le monde », comme un effet de surprise qui ne porte pas son nom, qui agit et produit d’abord une réaction lorsqu’elle fait jour pour parfois avoir l’occasion de montrer « une réalité invisible » qui alors saute en pleine figure….
De quoi parle-t-on ? Ce qui est en question ici est de l’ordre d’une réalité sournoise, du silencieux ou d’un invisible et qui fait du bruit quand elle fait une irruption sous forme « d’éclat dans le réel ». Ce dont il est question est une réalité qui aurait « dû » être tenue muette, et qui dérange, bouscule et dans le meilleur des cas interroge lorsqu’elle nous apparaît.
Il est question finalement, d’une réalité qui touche, d’une chose qui est tenue secrète voire muette, qui prend des formes nommées douleur ou souffrance…Il est question du réel sensible et presque physiquement voire même chimiquement, toujours singulier et pareil à aucun autre… avec alors une voie de mise en sens possible : la parole, les mots… porteur de l’inscription d’une trace rendant visible quelque chose de justement « tellement pas inscrit » qui s’est joué dans le silence, en arrière plan.
Est-ce à dire que la question de la souffrance au travail serait au centre des nouvelles formes de travail celui des temps modernes ou bien ceci révèle-t-il bien plutôt que nous y sommes devenus Sensibles ?
Alors les Hommes seraient « Sensibles » et le seraient…même au travail…
Alors « ça » dont nous parlons c’est quoi ?
Et bien c’est « L’humain qui reste vivant, sensible en nous, aussi et même, dans les situations de production ».
Les process et autres systèmes de mécanisation et de production mis en œuvre pour gagner en productivité ont peut être atteint leurs limites, celles d’un Homme sensible qui atteint ses limites et ne peut parfois plus continuer de faire abstraction de ce vivant qui est en lui et de cette substance vitale qui le fait Homme.
Apparaissent alors sous des formes mineures parfois des symptômes : insomnies, perte de poids, cauchemars… pouvant aller à des formes graves de Burn Out des situations où on peut presque dire littéralement que la personne se consume, qu’elle se « brûle de l’intérieur »….il y a alors urgence dans ces cas d’incandescence de limiter le réchauffement d’apaiser les tensions, de « calmer le je(u) »…
Déjà de quoi parle-t-on ? Je voudrais engager cette soirée sur les nœuds sur lesquels ouvre cette question. C’est un thème de travail qui est aux confins de différents champs : la réalité dont il est question est-t-elle du ressort de l’objectivité, de la subjectivité ? Parle t-on du sujet ou bien de l’organisation ? Du social, de l’économique et de l’humain ou bien de d’économie, de productivité et d’organisation ?
Force est de constater que ce qui nous relie dans ces conditions reste un dénominateur commun : la parole et son médium l’homme.
Je vous invite maintenant et dans un premier temps à écouter les interventions de nos invités, et dans un second temps à leur poser vos questions.
Pour commencer nos témoignages, je vais laisser la parole au Docteur Anne Gaëlle Paollilo qui va nous parler de sa pratique clinique dans ce contexte spécifique de la médecine du Travail. Anne Gaëlle, au travers du cas clinique de Mlle J, pouvez vous nous éclairer sur le rôle du Médecin du Travail ?
Merci Anne-Gaëlle pour votre exposé riche et de votre témoignage sur l’importance du travail en réseau pour aider la personne à redevenir acteur.
Et maintenant je me tourne vers les membres de l’association « Souffrance au Travail », et puisqu’il faut bien que l’un d’entre vous commence, René Fiori, parlez nous de votre Association et de Mme S, qui était gênée de devoir dire je…
Merci René Fiori, votre témoignage renforce l’idée avancée par le Docteur Paollilo sur la nécessité de travailler en réseau, ce qui a permis à Mme S après avoir rencontré le Médecin du Travail d’être orientée vers votre Association.
Pour poursuivre nos débats, évoquons un nouveau cas et Elisabeth Frantz, j’ai envie de vous poser cette simple question : comment avez-vous remis en mouvement Mr M, l’homme sans faute qui ne bougeait plus ?
Merci Elisabeth, votre témoignage montre qu’à force de travail et de dialogue, votre accompagnement à permis à Mr M d’avoir envie de se projeter sur l’avenir et de se remettre en mouvement.
Pour clore nos exposés, Anne Gavinet-Poumellec, va nous parler du cas de Mme A : un témoignage d’exode.
Merci Anne pour votre témoignage où l’on ressent votre questionnement sur le rôle des différents acteurs de prévention et d’accompagnement de la souffrance au travail.
Afin de lancer les questions je me permets de vous poser la toute première :
Il m’apparaît que cette soirée pose la question centrale de la place d’un Sujet et de son désir pris dans les injonctions et autres contraintes organisationnelles. Comment s’en sort-t-il et comment les acteurs que vous êtes viennent étayer sa possibilité d’être ?
Pourquoi avoir chacun choisi de présenter ces situations, à quoi avez-vous, chacun été sensible ?
Questions issues de la lecture des textes des intervenants :
Anne Gaëlle Paolillo :
Comment le médecin peut-t-il appréhender la situation ? Observations Cliniques, indicateurs…A-t-il un rôle d’alerte ?
Dans votre retour d’expérience vous montrez la complexité de la prise en charge avec l’importance d’un travail en réseau et de l’interdisciplinarité de la prise en charge créant aussi des ponts entre Médecine du travail et Médecin de ville.
Je m’interroge sur comment le médecin du travail pris au cœur d’un enjeu conflictuel employeur employé s’en sort ? Comment le Médecin du travail peut-t-il pacifier le rapport entre les deux et dispose-t-il d’outils ?
Comment est prise une décision de poser une inaptitude professionnelle et l’impact que ce signifiant -t-il peut avoir ? Finalement cela soumet le sujet à la jouissance de l’autre mais cela ne peut-t-il pas aussi ouvrir une nouvel voie d’élan pour le sujet et lui permettre d’être de nouveau acteur ?
René Fiori :
Comment joue chez cette femme la question de son identité au travail : Peut t on parler d’un excès chez elle d’identification à son travail qui contraindrait son être ?
Peut-t-on dire que l’accueil de sa parole et de son discours lui permettent de renégocier un espace où elle trouve ou retrouve les coordonnées d’elle-même ? Qu’elle se libère des contraintes qu’elle vit comme imposées par l’Autre (employeur, les autres de son environnement social et même familial…) Il y aurait comme une réécriture, une appropriation de son histoire qui aurait une valeur salvatrice (la sauverait) la libérerait et l’engagerait vers la voie de son chemin à elle à créer?
Elisabeth Frantz :
Dans votre exposé on voit comment la faute du Patron renvoie le sujet à quelque chose de son histoire et la faute de son père. Il passe alors d’une position de serviteur de l’état à celui d’assisté par l’Etat.
Il règle par cette voie et ce changement de statut ses comptes avec un passé douloureux (ne pas être reconnu par son père car enfant illégitime) ce qui lui permet de dépasser la position mélancolique dans laquelle il versait et d’entrevoir un avenir et finalement de retrouver quelque chose d’un élan vital, de son être.
Anne Ganivet Ploumellec :
La rencontre avec cette personne se situe dans l’après coup de l’événement conflictuel ayant conduit à la démission de cette Femme de 35 ans. Vous nous avez dit comment elle a été orientée par l’inspection du travail. Qu’est ce qui a déclenché la demande de l’inspection du travail de l’orienter vers vous : c’est-à-dire le contexte et les symptômes qui ont déclenché cette demande ? Autrement dit les motifs de la demande de rencontrer SAT ?
Votre présentation rappel un thème actuel c’est la question du rapport entre l’employeur et l’employé : comment le maître jouit en imposant le bien du sujet. Le sujet est enfermé dans la jouissance de l’autre.