Ligia GORINI
Je remercie l’Association de psychologues cliniciens d’orientation freudienne, l’APCOF, tout particulièrement Dario Morales et Eliane Calvet, de m’avoir proposé de partager avec vous ce soir notre expérience de travail à l’Institut Hospitalier Soins Études pour adolescents (IHSEA), à Aubervilliers.
Quelques considérations préliminaires
La période de transformations, de transition, qu’on appelle couramment l’adolescence – du latin adolescere, qui veut dire grandir, grandir vers quelque chose – c’est aussi un moment de crise, de crise de « langage », où le sujet enfant, jusque-là logé dans la langue maternelle, avec ses identifications constituantes plus ou moins solides, se doit de s’en détacher, tout simplement parce que celle-ci n’est plus à même de rendre compte des nouvelles expériences qu’il traverse. Il lui faudra désormais trouver un autre discours susceptible d’habiller, de dire, de traduire ce qu’il vit dans son corps, aussi bien que dans sa tête, comme un trou de savoir dans l’Autre. Sa boîte à outils donc, jusque-là efficace, ne l’aide plus à se débrouiller avec telle ou telle contingence d’entrée dans la vie adulte. Et ceci n’est pas sans encombres.
Cette période de passage, Freud l’avait déjà isolée en 1909 : (je le cite): « Que l’individu au cours de sa croissance se détache de l’autorité de ses parents, c’est l’un des effets les plus nécessaires mais aussi les plus douloureux du développement »i. Un peu plus tard, dans son texte sur la « Psychologie des lycéens », Freud évoque sa propre adolescenceii afin de souligner l’importance pour le jeune individu de la rencontre avec les maîtres: « Nos vies de 10 à 18 ans surgissaient des recoins de la mémoire avec leurs pressentiments et leurs errements, leurs transformations douloureuses et leurs succès bienfaisants ». (…) « Nous comprenons maintenant notre relation à nos professeurs de lycée. Ces hommes, qui n’étaient pas tous pères eux-mêmes, devenaient pour nous un substitut paternel ».iii
Du côté de l’identification symbolique, l’adolescent a à moduler autrement ses identifications au père, ce qui se fait par ancrage à des traits prélevés sur d’autres personnes, ici incarnées par les enseignants.
Ces brefs extraits indiquent bien la particularité, la fragilité de ce moment parfois douloureux pour certains, néanmoins crucial pour tout parlêtre. On sent que ça tâtonne, ça erre, ça se pressent, entre nouvelles découvertes et bouleversements. La puberté est ainsi considérée (dans la clinique psychiatrique, aussi bien psychanalytique), comme un moment d’éclosion de troubles psychiques graves, ou d’aggravation d’une symptomatologie clinique connue dès le premier âge.
Complexes sur le plan clinique, les problèmes se redoublent d’un contexte socioculturel spécialement délicat au moment de l’adolescence : des programmes scolaires plus durs que dans les premiers cycles de l’enseignement, des directives contraignantes, inhérentes aux lycées d’aujourd’hui, exacerbent bien souvent les obstacles rencontrés par un jeune en difficulté.
« Fragilité », ou bien « désorganisation subjective ». Comment alors nous faire partenaires du « plus singulier d’un sujet adolescent, en lien avec le bouleversement psychique qui l’affecte » – comme indiqué dans l’argument de cette soirée ? Comment l’aider à trouver une solution, sa propre solution, pouvant le permettre de mieux « se poser dans le monde » ?
Tel a été notre pari lors de la création de l’IHSEA, unité qu’appartient au deuxième Intersecteur de psychiatrie infantojuvénile de la Seine Saint Denis, Service du Dr YCS, à l’Hôpital de Ville-Evrard.
Notre projet eut comme point de départ un constat : nombre des jeunes que nous recevions en consultation se trouvaient ballotés entre des hospitalisations à répétition, réduites pour ne pas grever l’enseignement dispensé au lycée, et une scolarité hachée par ces interruptions successives. Ces jeunes en difficultés se retrouvaient de (ce) fait, ‘mal soignés’ et ‘mal enseignés’. Or, non seulement la poursuite d’une scolarité serait envisageable dans de nombreux cas, mais un tel cursus peut se transformer en contingence heureuse, la scolarité offrant alors un champ d’investissement sublimatoire à privilégier.
En quelques lignes directrices :
L’IHSEA accueille des jeunes lycéens souffrant de troubles psychologiques, préalablement inscrits en classe de seconde à terminale, pour qui les études sont particulièrement investies. Il ne s’agit en aucun cas d’une aide scolaire en milieu hospitalier, ni d’un enseignement minimum ‘pour tous’.
L’initiative se dote des conditions requises pour permettre la poursuite des études durant une année scolaire entière, au minimum, sans que celle-là ne vienne se substituer à la mise en forme d’un champ clinique rigoureux :
– par un accueil à géométrie variable, rendu possible par le choix de travailler à tout petit effectif (6 élèves par classe) – centré sur une prise en charge au plus proche de la singularité de chaque sujet rencontré.
– et assurant aux enseignants la possibilité, dans la durée, de tenir compte des nécessaires aménagements au cas par cas, qu’un lycée banal n’est pas en mesure de réaliser.
i Freud, S. « Le roman familial des névrosés », Névrose, psychose et perversion, p. 157.
ii Freud, S. « Sur la psychologie du lycéen », Résultats, idées, problèmes Tome I, p 228.
iii Ibid., p. 230, 231.