Dario MORALES
Je voudrais dire un mot de présentation à cette soirée dont le thème est « L’étoffe du sujet adolescent » ; il s’agit de témoigner de la clinique auprès des adolescents dont la pratique nous apprend qu’elle n’est pas une simple somme des manifestations symptomatiques ou d’un répertoire des nouveaux comportements mais une réponse à ce qui fait irruption, à savoir un « faire, un passage vers l’agir », d’ailleurs à distinguer du passage à l’acte. Adulescens, évoque l’idée de passage, de moment, non seulement d’un état à un autre, mais aussi d’une pensée en mutation à un acte. Ce « faire » qui s’inscrit dans un processus d’émancipation, de détachement a une série de fonctions dont l’intention n’échappe pas au clinicien avisé qui est de trouver une nouvelle inscription dans l’Autre. Ces « agirs » sont interprétés, le plus souvent, comme des comportements de transgression ou déterminés par un sentiment de culpabilité ; la clinique nous apprend au contraire, qu’il s’agit plutôt des symptômes ou des troubles de l’inscription dans l’Autre. Or cet Autre, peut prendre plusieurs formes, l’autorité, le savoir, la sexualité. Les symptômes, le plus souvent sont des manifestations de refus vis-à-vis de ces figures, dont la plus importante pour nous cliniciens, malgré le discrédit contemporain de la clinique, est celle du père. De ce point de vue, n’ayons pas honte de nous référer à Freud, la crise du détachement peut être définie comme une crise du père.
Premièrement, dans l’étymologie de « crise » il y a à la fois, « phase décisive » et « décision ». Deuxièmement, dans le détachement se met en évidence l’importance du père. Sans père, pas de détachement. Troisièmement, il faut surtout une « décision » pour « sortir » de la crise et « faire » de la crise une « condition subjective ». Enfin, « crise » et « refus » ne se superposent pas. Le refus peut être un produit de la crise, une façon symptomatique de prolonger la crise ; inversement, le « refus » peut être aussi une tentative de réponse et à ce titre le refus peut « faire du père ».
C’est dans cette configuration que « le social » va acquérir une fonction particulière dans la mesure où il prend le relais – une certaine forme dégradée de la substitution – de la fonction du père. Chez Freud par exemple, il existe une exigence de la société à faire de l’adolescent un adulte, et c’est cette exigence qui permet la séparation. Pour Lacan, c’est plutôt le discours qui régule la jouissance. Dans la société dite de consommation, les objets vont se concurrencer avec des multiples satisfactions nouant des fantasmes et des usages régressifs des objets, qui finissent par saturer l’usage possible de l’objet séparateur pour le sujet. D’où l’idée pour Lacan que l’adolescent est le sujet qui passe de la position infantile de désiré à la position de désirant.
Pour rentrer dans le vif du sujet, un des effets majeur du détachement sur le plan de la métapsychologie, est une reconstitution différente du rapport à l’objet qui prépare à terme la rencontre d’un objet extérieur, partenaire sexuel par exemple, cela vient signifier également que ce n’est plus l’auto-érotisme, le corps propre et que cela ne peut pas être non plus une rencontre purement fantasmée. L’objet est, en effet, ce qui va servir à la séparation du sujet et de l’Autre. Un des effets possibles de ce mouvement, est l’avènement du sujet désirant, car au fond l’adolescent est un sujet qui est convoqué ou plutôt qui peut se proposer comme désiranti. De ce point de vue, il ne s’agit pas tant de se séparer de l’objet que d’utiliser un objet « extérieur » pour se séparer de l’Autre. L’enjeu sera donc de produire un nouveau statut de l’objet qui ne soit pas l’objet œdipien passé. L’utilisation de cet objet passe par un certain deuil de l’objet œdipien, comme de l’objet partiel, soit des objets qui existaient auparavant pour le sujetii. Pour en produire un, l’adolescent utilise en partie les objets dits prégénitaux, d’où les recherches autour de l’oralité, l’analité, le corps ; d’où les manifestations symptomatiques et parfois pathologiques : anorexie/boulimie, toxicomanies, etc. Lorsque les symptômes deviennent gênants, il est envisageable la participation du clinicien qui avisé ne mettra pas l’accent sur l’identification, toujours fragile à l’adolescence, mais plutôt sur l’objet, soutenant cette première étape qu’est la séparation, souvent mythifiée par des cliniciens, alors que le véritable enjeu se situe dans la recherche d’une position désirante qui lui soit propre, au regard du réveil pulsionnel qui affecte son corps. C’est ici que l’espace du jeu peut devenir un outil thérapeutique ; d’où le détournement de ces productions dégagées des impasses imaginaires et des embûches réelles, permettant au jeune adolescent de retrouver une position subjective dont il pourra ensuite jouir, ou en souffrir, et finalement trouver sa véritable étoffe.
i La Sagna Ph., « L’adolescence prolongée, hier, aujourd’hui et demain », Revue Mental, n°23, déc 2009, p. 27
ii Ibid, p. 26