Préambule : La dimension créatrice de la vérité
Dario Morales
Il a été évoqué dans l’argumentaire pour cette 7e Après-midi l’écart entre les études et le travail, entre le stage et le salariat, entre la connaissance et le savoir faire, mais l’écart effraye un peu comme si l’on devait à tout prix le résorber, le réduire pour garantir la réussite de la profession, du savoir. Or s’il est vrai que cet écart doit être traité, néanmoins il est à la fois irréductible mais aussi indispensable, car la clinique découvre cette dimension qui va de la demande au désir et qui dans symptôme se vit comme l’impossible de tout traduire en parole, ce qui a pour conséquence, l’impossible à tout dire. Cette dimension de l’écart qui ouvre sur l’impossible prépare ce qui est latent dans la clinique, la question du réel qui illustre également l’impossibilité inhérente au langage, la béance entre les mots et les choses, du signifiant au signifié. Face à cette béance, Lacan avance le concept d’acte, solution, issue à ce que langage laisse comme indéfini. C’est donc par l’acte que la question de l’impossible trouvera une avancée. Je vais m’appuyer sur un troisième terme, la vérité, qui servira de nouage aux deux précédents.
Je vais commenter succinctement une phrase qui nous sert de repère dans notre clinique de cet après midi, Lacan dans le Séminaire II, avance ceci : « Il y a dans tout savoir constitué une dimension d’erreur qui est d’oublier la dimension créatrice de la vérité sous sa forme naissante »1. Lorsque le patient vient nous voir, il s’engage dans la voie de savoir. Nous acceptons le défi, parce qu’en disant cela nous souhaitons qu’il ne s’arrête pas à la compréhension mais qu’il veuille aller jusqu’à ce point nodal, ce qui fait cause dans son désir et qui ouvre à sa vérité. Or comme nous le disions précédemment, il y a une impossibilité logique à tout dire, on n’attrape que des bouts de vérité. C’est cette conjonction du savoir et de la vérité qui est visée dans l’expérience de la clinique. Mais à condition d’envisager le savoir autrement que comme un simple cumul des connaissances, plutôt comme une construction progressive vers la vérité. Ainsi poser comme perspective le savoir conjugué à la vérité, c’est envisager que la clinique ne vise pas la production d’un sens qui pourrait donner le mot de la fin. L’impossible est présent tout au long de ce travail, c’est pour cette raison que le réel est le rappel pérenne de ce qui est visé dans le travail thérapeutique. D’où cette précision, en avançant se constitue un savoir, l’erreur consisterait à imaginer que le savoir est l’objectif ; les outils du clinicien le poussent au contraire à repérer la vérité sous la forme naissante, il n’est pas nécessaire d’attendre que le savoir soit construit, constitué ou cadré, l’acte du clinicien consistera à faire valoir la présence de ces signifiants qui se réfèrent au réel, il suffit de les repérer, d’être attentif à leur apparition sous leur forme naissante, via les dires du patient, à travers les ratages issus de la jouissance, mais aussi par ce signe du réel qu’est l’angoisse, les formations de l’inconscient, les lapsus, les rêves, etc.
Je m’adresse à présent aux jeunes invités, au public, aux jeunes collègues, au collègues tout court, j’ai envie de vous dire, poursuivez votre formation, il faut améliorer les connaissances, il faut apprendre et mieux connaître les impasses de soi même, mais surtout gardez cette boussole qu’est la parole, mais aussi appuyez-vous sur les agirs de vos patients, qu’il s’agisse de la parole ou de l’agir c’est la dedans que gît la vérité sous sa forme naissante, loin des cadres constitués et des savoirs préformatés ; l’erreur consisterait à vouloir à tout prix fermer l’écart entre l’étude et le travail, entre les connaissances et le savoir faire et de finir par oublier la vérité sous sa forme naissante. Rappelez-vous à chaque instant de la fraicheur, des impasses et de vos premiers pas qui marquent ou qui ont marqué votre clinique.
A l’issue de sa formation universitaire, l’étude des grandes notions formalisées par le mémoire de fin d’études et par les premiers stages qualifient le jeune étudiant à exercer comme psychologue clinicien. Ensuite les établissements hospitaliers, les institutions favorisent l’installation d’une « psychologie appliquée ». La confrontation à la réalité de la pratique pose la question de la construction de la carrière du professionnel et plus particulièrement du « savoir en devenir » socle sur lequel se déploie son apport sur le plan clinique, thérapeutique et institutionnel. Lors de cet après midi nous aimerions aborder le creuset sur lequel se forge la profession : l’abîme de la rencontre de la clinique, le symptôme, le délire, le passage à l’acte, réels qui poussent à interroger le savoir universitaire et qui ouvrent aussi une brèche dans la pensée institutionnelle si prompte à fermer les portes aux velléités du renouveau. Le jeune clinicien, au nom de la pratique se trouve à inhiber ses connaissances au profit d’un savoir en germe. Il sait qu’il ne sait pas, mais ce pas de non savoir lui ouvre des chemins, via la confrontation, via l’échange, vers la construction du sujet supposé savoir, mais cette fois-ci mis au travail.
1e table ronde : L’inhibition comme condition du savoir
L’écart entre savoir et pratique s’amenuise si le clinicien inhibe une part de l’apprentissage issu de son parcours universitaire pour se tourner vers un savoir en construction.
2e table ronde : L’invention des signifiants de la pratique
La découverte de la pratique ne peut pas se ravaler au seul cadre ou à la répétition d’actes techniques mais invite à la surprise, à la découverte des éléments importants, inattendus que les actes et les dires de patients révèlent. Le mode et le style, l’écoute et le mode d’intervention du clinicien demande à être orientés par les enjeux de la relation. C’est à ce joint de la parole et de la relation que se situe l’empreinte de la construction professionnelle du jeune psychologue.
1. Lacan J, Le Séminaire, Livre II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Le Seuil, 1978, pg 29
1 Lacan J, Le Séminaire, Livre II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Le Seuil, 1978, pg 29