Thérèse TCHILLIAN
En tant que psychanalyse, travaillant avec des enfants, je suis souvent sollicitée par la dyade – L´enfant et son Autre -. Car l´en-fans celui qui n´a pas la parole, est toujours appareillé à un Autre, qui s´exprime pour lui. Cet Autre peut être la mère, le père ou un membre de l´institution qui l´accueille.
Le cadre dans lequel je reçois les familles est soit :
– Le lieu d´accueil parent-enfant, inspiré de la Maison Verte de Françoise Dolto.
– Les crèches et multi-accueils de la ville.
La prise de rendez-vous est souvent à l´initiative des parents sauf, quand mes collègues directrices me sollicitent pour voir la famille, car il y a des enfants qui refusent de rester à la crèche ou qui présentent des symptômes (des vomissement, des troubles du sommeil, refus de se nourrir, refus de jouer, etc ).
Ces entretiens peuvent évoluer pour les familles vers une consultation ailleurs avec des psychothérapeutes.
LA DEMANDE
Dans ce cas, il s´agit d´une jeune mère de deux enfants qui souhaite me voir, car son fils de 3 ans, l´ainé de la fratrie présente une série de difficulté. Depuis la naissance de sa sœur, qui a deux mois, il refuse de quitter sa mère, fait des cauchemars, exige de ses parents qu´on le traite comme un bébé. Il demande des câlins, ne veut pas dormir dans son lit, mais dans la chambre de ses parents, il refait pipi au lit, alors qu´il était propre depuis ses 22 mois. A la crèche il tape les autres enfants et fait des colères. La mère angoissée m´adresse des questions :
– Croyez-vous que la naissance de la petite sœur l´a perturbé ?
– Je ne sais plus comment faire avec les deux enfants.
– Mon mari est à la maison, mais il ne prend pas d´initiative, il est maladroit, c´est comme si j´avais trois enfants à la maison.
Je ne réponds pas à ses questions, mais je lui propose de revenir me voir pour me parler de ses difficultés.
Elle évoque ses problèmes conjugaux, les disputes avec son mari, les éclats de voix et ses hurlements, il confond autorité et hurlement, il effraie les enfants, me dit-elle.
Peu à peu elle parle d´elle, de son père, qu´elle a perdu juste après la naissance de sa fille. Du lien très fort qu´elle avait avec lui et du fait que son mari ne comprenait pas sa douleur. Dit haïr sa belle-mère, qui a mal éduqué son mari – Il n´agit pas en homme responsable, ni en père -.
Puis, elle m´interroge « Croyez-vous que cela agisse négativement sur notre fils ? ». Je lui retourne la question : « Qu´en pensez-vous ? »
Depuis quelques séances, elle raconte des scènes de violence verbale, où il hurle et elle l´invective de façon tellement grossière, qu´elle ne veut pas me répéter ce qu´elle lui dit.
Cependant, les contenus de ses invectives, tournent autour du manque de virilité de son mari : « Je n´ai pas l´habitude de proférer des grossièretés, je ne sais pas ce qui me prend, c´est comme si je n’étais pas moi-même. J´ai honte de ma grossièreté, on arrive à des paroxysmes, tels que je prends peur, qu´il aille très loin, en devenant violent physiquement avec moi et nos enfants. Alors, je m´enferme dans ma chambre et ouvre les fenêtres, afin que les voisins puissent entendre et qu´éventuellement ils puissent nous secourir », dit-elle.
Ainsi, un jour en s´enfermant elle a laissé son bébé du côté où était le père et elle est restée avec son fils. Le père ayant claqué la porte de l’extérieur, l´enfant est resté seul et elle ne pouvait pas l´ouvrir, c´est un de ses voisins qui est venu à son aide en appelant un serrurier.
En parlant de leur relation, elle dit : « Il n´existe plus de moments de tendresse entre nous, soit on se dispute, soit – on se regarde en chien de faïence – . Les disputes remplacent nos moments de câlins et ils démarrent à propos de petits riens. Par exemple, On est tous les 4 à table, je sers la purée aux enfants, puis je me sers, en lui laissant sa part dans l´assiette. Il se fâche en me disant en criant, que je lui laisse des miettes, que je veux l´affamer ».
Avec le temps, son discours s´apaise, elle s´interroge sur le pourquoi de tout cela, que lui arrive-t-il ? Pourquoi continue-t-elle à vivre avec lui ?
Elle me dit : « J´ai plusieurs fois envisagé de me séparer de lui, puis hésité en pensant, que cela allait perturber les enfants. Mais, je vois maintenant que c´est pire de les confronter à notre mésentente ».
Par la suite, elle adopte une stratégie vis-à-vis de lui. Ne plus lui parler, faire comme s´il n´existait pas. Je m´occupe des enfants, de la maison, ce que je lui dis c´est le strict minimum, qui concerne les enfants. Il se retranche dans la chambre et joue à des jeux vidéo. Cela ne peut pas durer, car à tout moment je crains qu’on s´agresse a nouveau.
Je dois agir, car lui il ne fera rien, il est passif. Je lui ai proposé de venir vous parler, mais il refuse.
Je l´encourage de consulter un psychanalyste, afin de continuer sa réflexion sur sa relation. parce que le cadre où j´exerce, ne permet pas des entretiens dans la durée.
Mais, elle revient me voir, pour me dire que sa décision est prise : « Je vais divorcer et aller vivre dans la ville où habite ma famille a 300 km de Paris. J´ai demandé ma mutation pour des raisons familiales, mais je ne veux pas vivre chez ma mère. Car je veux être libre et je ne veux pas entendre son discours, sur ce que je dois faire ou ne pas faire ».
REMARQUES SUR LES EFFECTS DE NOS ENTRETIENS
Cette mère en exposant sa problématique familiale, est partie de son inquiétude concernant son fils.
En effet, l´enfant à travers son refus de dormir dans sa chambre, de se séparer de sa mère, de se comporter comme « Le grand garçon » qu´on voulait qu´il soit, il interpelait se parents sur le rôle et la place de chacun dans la famille, lui enviait la place de sa petite sœur et refusait celle du grand frère.
Le malaise que manifestait ce petit garçon par ses colères, en refusant d´accepter les rôles qu´on lui attribuait : « Etre sage, surveiller sa sœur, alors que la mère s´isolait pour allaiter la sœur, être raisonnable », reflétait le malaise familiale.
En fait, dans le discours de la mère, le père était : « le troisième enfant, un incapable, irresponsable, dévirilisé ou il était un autre menaçant, vociférant et violent, duquel elle devait se protéger, en se barricadent dans la chambre aux fenêtres ouvertes » .
Ce qui ne rendait pas facile l´identification au père, car la mère ne parlait de lui que négativement et comme le troisième enfant. Aussi, ce petit garçon s´exprimait soit par ses colère, soit par de symptômes somatiques, pipi au lit, cauchemars.
Les entretiens ont permis á la mère de mettre des mots sur ses affects. Ainsi, que de révéler ses attentes inconscientes vis-à-vis du père de ses enfants : « Qu´il soit un homme, comme le père qu´elle avait perdu, qui était un pilier pour sa fille ».
Mon silence, face à ses questionnements ont eu l´effet de la confronter à son désir inconsciente. Pourquoi continuait –t- elle ? Où était sa jouissance ?
Le refus de la conseiller sur ce qu´elle fallait faire a eu pour effet de l´interroger sur la place que chaqu´un avait, celle qu´elle réservait à son mari, à son fils, à sa fille. Elle confiait le fils au père et partait avec le bébé : « Les garçons ensemble et les files ensemble », me disait-elle.
Son père mort, était irremplaçable, en tant que modèle idéalisé, personne, en tout cas pas son mari ne pouvait l´égaler.
En l´occurrence, elle avait adopté quelques traits de son père dans une identification virile, en devenant celle qui commandait, décidait, étant un pilier, stable, raisonnable. Tout ce que son mari n´était pas, plus jeune qu´elle, n´ayant pas d´autorité, étant violent, faible, etc. Elle me disait : « C´est sa délicatesse, sa fragilité, sa beauté qui m´avait attiré au début ».
La décision de se séparer a été un moment important pour eux quatre, me dit-elle. Car cela a apaisé les conflits, ils se parlaient á nouveau pour organiser leur départ et expliquer aux enfants ce qui allait être leur futur, quand « maman et papa ne vivraient plus ensemble ».
Elle parle beaucoup plus avec son fils qui accepte de dormir dans sa chambre, car maintenant sa petite sœur y dort aussi. C´est à sa demande qu´on a installé le lit de sa sœur dans la chambre des enfants. De ce fait, dit-il, « Je peux veiller sur elle la nuit si elle pleure ».
L´ACTE ANALYTIQUE
L´objectif visé dans ce cas a été d´aider à définir la place qui était réservé aux enfants dans le roman familial.
Dans les entretiens le point de départ était l´attente de l´enfant, le choix du prénom, les réseaux affectifs de l´enfant. Ainsi, en évoquant leur attente, leur souhait, leur désir, leurs frustrations, l´histoire familiale, les parents tissent peu à peu le nid symbolique et imaginaire qu’accueillera l´enfant.
Ainsi, souvent en me parlant de leur enfant, les parents découvrent leur attente inconsciente. A ce propos un jeune parent me disait : « Cet enfant réalise mon rêve de père, il est plus beau, plus intelligent, que moi à son âge. De moi on disait, c´est le benêt de la famille, de lui on dit le contraire, pourtant il a que trois ans. Il sait déjà écrire son prénom et les sept couleurs de l´arc en ciel ».
Dans le discours des mères, l´enfant est souvent présenté comme l´objet de leurs souffrances et non comme un sujet qui souffre. Ainsi, « Il est l’opposant, le coléreux, il ne dort pas, la nuit, il veut venir dans le lit conjugal, il crit très fort, il tape les enfants à la crèche ».
La souffrance de la mère est en rapport dans ce cas avec sa déception, face à un enfant qui n´incarne pas l´idéal, qu´elle avait souhaité, bien qu´étant l´objet du désir parental, c´est donc elle qui souffre face aux défauts de son objet.
A travers « Les deux notes sur l´enfant », Lacan nous éclaire en présentant le symptôme dominant de l´enfant, comme étant le symbole de la vérité du couple familial. L´articulation se réduit beaucoup quand le symptôme qui vient à dominer ressorti à la subjectivité de la mère. Ici, c´est directement comme corrélatif d´un fantasme que l´enfant est intéressé. La distance entre l´identification à l´idéal du moi et la part prise du désir de la mère, si elle n´a pas de médiation (celle qu´assure normalement la fonction du père), laisse l´enfant ouvert a toutes les prises fantasmatiques. Il devienne l´objet de sa mère et n´a plus de fonction que de révéler la vérité de cet objet.
Lacan définit, le symptôme de l´enfant, comme étant une réponse à ce qu´il y a de symptomatique dans la structure familiale.
Ainsi, selon le mode de référence au « Nom du père », l´enfant ne va pas se montrer le représentant distancé de la vérité familiale, mais va s´aliéner, plus ou moins, comme objet du fantasme maternel.
Dans le cas des névroses, il va révéler, en témoignant de la culpabilité parentale, le malaise du couple. Le désir de l´enfant, concerne sa position qui est entre être l´objet phallique de la mère ou être sujet du choix phallique de celle-ci. C´est là, le destin du sujet désirant orienté par le manque phallique. Ainsi, on peut dire, que l´enfant à travers son symptôme, invente une solution, au point de non rencontre entre les parents.
Le petit garçon du cas, que je vous ai proposé avait immobilisé son destin sur un point, celui de la dysharmonie entre ses parents. Il était dans la guerre des sexes. La mère avait le phallus, en dépossédant le père, en lui criant dessous, l´insultant, en lui déniant sa place. Le père criait et hurlait, sans réussir à jouer son rôle de médiation et d´autorité.
L´enfant pour supporter cette situation, avait construit un symptôme : « Crier à son tour sur les autres enfants et les taper ».
L´effet des entretiens, s´est traduit par une pacification du couple et des réactions de l´enfant. Les places ont été redistribuées, les enfants ensemble, le couple ensemble, dans la décision de la séparation.
QUELQUES REFLEXIONS SUR LA PSYCHANALYSE AVEC LES ENFANTS
Ce que la psychanalyse peut permettre à l´enfant, dans le meilleur des cas, c´est de subjectiver son destin, qui consiste de passer de la position d´objet du désir de ses parents à la position de sujet de son désir.
Lacan dans la conférence de Genève sur « Le symptôme », nous dit de la position de l´enfant : « Qu´il y a chez l´enfant une passoire qui se traverse, par où l´eau du langage se trouve laisser, quelque chose au passage, quelques détritus avec lesquels il va jouer ».
La psychanalyse d´un enfant peut être considérée comme un savoir-faire avec ses détritus. L’inconscient bien que structuré comme un langage, apporte un plus au sujet, qui est de laisser une marque au niveau du corps, produit par le langage qui laisse une trace, un point irréductible.
Au départ l´enfant répond au désir de l´Autre, par la fixation au symptôme, qui a la valeur d´un oracle à accomplir.
Pour faire contrepoids à ce mode de jouissance qu´est le symptôme, l´enfant dans son analyse va construire son fantasme.
Dans « Les deux notes sur l´enfant », Lacan dira en 1969, que les enfants étaient pris comme objets dans la capture du fantasme maternel, en rapport à la fonction paternelle. L´analyse permet donc de passer, de la position d´être cet objet-là à celle d´être un sujet qui élabore des fictions.