Dario Morales
La politique de santé mentale s’est longtemps inscrite dans une logique de l’enfermement. Puis voit le jour un système de soins décloisonné : la psychiatrie de secteur, qui organise la continuité du soin dans l’espace et dans le temps, en mettant en place une articulation entre les différents professionnels du sanitaire et du social ; ceci englobe non seulement les institutions de soins mais, également, le secteur médicosocial et celui de la grande précarité. C’est une construction à la fois individuelle et collective qui s’organise autour des notions d’accueil, d’écoute et de travail partagé dans une équipe aux compétences plurielles. Cette construction façonne dans le quotidien des « entours » indispensables, qui se déterminent à partir des inventions et des impasses des sujets eux-mêmes. En effet, le psychotique « travaille » dans son mode particulier de rapport avec ce qui fait défaut dans l’Autre, même dans les moments où ce travail est mis en échec. La « crise » surdéterminée dans ses modalités phénoménales (violence hétéro et auto, tentative de suicide, claustration, désinsertion, etc.) met souvent en cause le travail individuel des patients ; mais c’est le rapport que le sujet entretient avec sa souffrance, ses hallucinations, son intégrité physique, son autonomie sociale, etc., qui va commander le mode par lequel les équipes vont supporter le patient dans ses impasses avec la jouissance de l’Autre et soutenir ainsi sa parole de sujet dans l’effort de « restauration » symbolique.
(Samedi Matin)
1re séance – L’instant de la rupture
Que veut dire accueillir la crise ? Si l’on se réfère au sujet, elle désigne sa « faille » d’inscription dans le dispositif du traitement. L’instant de cet « impensable », qui appartient au champ du réel, articule hospitalisation et travail de restitution de la parole absente ou malmenée par le traumatisme de l’acte (ou du passage à l’acte) ; il s’agit d’élaborer un parcours de soin en tenant compte des « possibilités », pour le patient, d’éclairer lui-même le sens du symptôme. Sans la clinique de l’écoute qui octroie une parole au sujet, impossible que les attentes du sujet vis-à-vis de l’institution, qui ont motivé le recours, se fassent entendre.
Pour annoncer la première table ronde, je vais insister et dire que cette première table ronde va directement au cœur de la problématique de la Journée et la dépasse en quelque sorte, permettant la formalisation de la pratique clinique, grâce au transfert. En effet, on ne peut saisir, du point de vue du clinicien, la problématique de la continuité, de la rupture, que si l’on tient compte de ce qui se joue dans la pratique clinique, dans le mouvement de la séance. Il faut du transfert pour que ces répétitions des scénarios inconscients puissent s’interroger et par là même se mettre en mot, donc pour qu’une partie au moins de la répétition passe au symbolique. Répétition et transfert ne s’équivalent pas. Le transfert n’est pas répétition. La répétition met en jeu en son cœur un réel. Le transfert, quant à lui, permet une symbolisation. Delphine Chapin a décidé de présenter un cas qui va illustrer parfaitement la polysémie de notre pratique clinique ; on pourrait paraphraser le titre de la Journée et écrire son titre :
« Rupture dans la continuité, de la répétition ». On voit dans le récit initial de M. J. la mise en
œuvre de la répétition, plus précisément de la « compulsion de répétition », dont Freud avait montré les accointances avec la pulsion de mort. La répétition est une mise en acte qui échappe au sujet et qui recèle en son cœur une part de jouissance. Le sujet peut avoir du mal à s’en séparer facilement, et donc de ne pas rompre. Il y a donc de l’automaton, présent dans la répétition. Mais il va se nouer avec Delphine Chapin, du transfert, et cela va permettre à M. J de mettre au travail cette répétition associé à l’instance du savoir, car il veut savoir « ce qu’il n’a jamais su », autrement dit, il sera question de faire passer cet automaton, au moins une partie au symbolique, voilà le décor de cette vignette clinique.
Mais les cas de M. J., ainsi que Mme Ly, présenté par Paola Cocchi, mettent en évidence la question cruciale de la place du thérapeute et la place d’où il répond. A quelle place le thérapeute est mis dans le transfert pour pouvoir répondre ? Le ton est clairement donné par Delphine Chapin dans la première séance. Alors que le patient se délecte à énumérer les hospitalisations, les cures et postcures, Delphine Chapin, de façon lapidaire, lui lance « et sinon ? ». Cela veut dire que ce qui est visé par la clinicienne est la place d’un grand Autre, un savoir sur l’inconscient du sujet. Chez la patiente de Paola Cocchi, il s’agit d’introduire et de supposer une Autre scène, afin de permettre au sujet d’agir différemment, de finir son travail de deuil.
Enfin, ces deux vignettes ouvrent sur une problématique, celle de l’identification : comment un sujet identifié, aliéné à sa position de déchet – noyé dans l’alcool, M. J., ou un sujet identifié au signifiant de la perte – Mme Ly., comment donc un sujet peut-il accepter, après avoir « expérimenté » son aliénation à l’Autre, de se désujettir et par la suite même choisir de s’assujettir… de se séparer des signifiants qui l’aliènent pour s’autoriser ensuite de se ranger sous d’autres signifiants moins aliénants ; c’est cette perspective qui ouvre vers la rupture qui semble importante à mes yeux, lorsque M. J. décide de devenir garçon de café, par exemple, ou lorsque Mme ly. décide de restituer à son frère « l’objet » qu’elle lui avait dérobé à la mort de son père.
Au fond, voici la question que je vous poserai à vous deux. Vous avez « supporté » le transfert, dans une place de semblant « savoir », pour permettre à vos patients de cerner la logique de leur position fantasmatique telle qu’elle se déduit des répétitions qui se manifestent dans leur vie et donc dans le transfert. Quel est le fantasme sous-jacent à chaque cas ? L’appréciation de celui-ci ouvre en effet la possibilité d’un parcours, d’un mouvement, au terme duquel la singularité propre à chacun est acceptée et acceptable. Pouvez-vous nous retracer brièvement le statut du fantasme mis en jeu et le réel sur lequel le sujet semble buter encore (cas de M. J.) ?