Dr Nathalie Glück, PH, Secteur 15 CHSA
Je tiens tout d’abord à remercier Emilie Edelman et Dario Morales qui m’ont invité à m’exprimer ce soir sur « l’intra en mouvement », titre poétique et mystérieux comme Dario Morales en a le secret, et qui a piqué ma curiosité comme il l’avait déjà fait il y a quelques années avec son invitation à intervenir sur le thème de « l’institution invisible ».
Après plus de 20 ans de plongée au cœur de l’intra, ce sujet est venu remettre en mouvement ma pensée et me permettre de faire retour sur ma pratique de médecin responsable d’unités d’hospitalisation psychiatrique aigüe, actuellement deux unités au secteur 15 du CHSA, une unité fermée de soins intensifs et une unité ouverte. Dans l’ensemble de ces unités où il y a 26 lits et environ une à deux entrée/sortie par jour, la durée moyenne de séjour est de 2 semaines (certains ne resteront que 24 h, d’autres plusieurs mois), et parmi les patients présents un jour donné, en général entre la moitié et les ¾, parfois plus, sont hospitalisés sous contrainte légale (ASPDT ou ASPDRE).
Il y a donc du mouvement dans ce service, le mouvement des entrées et des sorties inscrit chaque jour dans les registres par les secrétaires, et passé en revue chaque semaine par l’équipe médicale, paramédicale et sociale au cours de la réunion de synthèse. Il donne lieu à un document écrit résumant la problématique, la situation, et le projet de soins de chaque patient ; et listant les entrées prévisionnelles et les sorties afin d’articuler la prise en charge intra avec la poursuite ambulatoire des soins.
Il y a aussi du mouvement à l’intérieur des unités et chez les patients. Les plus spectaculaires sont les mouvements physiques d’agitation plus ou moins désordonnée, voire clastique de patients délirants, maniaques anxieux, ou psychopathes sous l’emprise de toxiques, qu’il faut parfois isoler et contenir pour éviter qu’ils ne se blessent ou ne blessent les autres. Mais les mouvements psychiques peuvent être eux aussi souvent désordonnés, incohérents et violents, véritables « tempêtes sous un crâne » qui vont peu à peu d’apaiser, se canaliser, se synchroniser sous l’effet des traitements médicamenteux et psychothérapiques. Ex Mr Is…
Parfois c’est l’inverse, l’absence de mouvement. Certains patients catatoniques, mélancoliques, ou très angoissés peuvent être figés dans une immobilité pathologique, parfois trompeuse quand survient soudain un raptus aussi violent qu’inopiné. Leur pensée peut être elle aussi figée, sidérée, ou piégée dans des stéréotypies stériles ou des ruminations douloureuses.
Autour des patients, c’est le mouvement de l’intra qui s’organise ; ce sont tous les intervenants de l’équipe pluridisciplinaire, qu’ils soient médecins seniors, assistants ou internes, infirmiers diplômés, mais aussi élèves, cadres, les aides-soignants, ASH, assistants sociaux, psychologues titulaires et stagiaires, secrétaires, ergothérapeutes, et tous les professionnels plus lointains du « plateau technique » et de la logistique qui se mobilisent, se regroupent, se coordonnent et se mettent en ordre de marche, ou plutôt en ordre de bataille.
Car il s’agit bien là d’une bataille, d’une guerre déclarée à la maladie qui ravage le psychisme. Elle pulvérise ses défenses, fracasse toutes ses barrières de protection, et donne à voir les pensées et les pulsions « à ciel ouvert ». Les émotions exacerbées débordent la logique et submergent la raison. Face à cet ennemi « de l’intérieur » trop souvent perçu par le patient comme extérieur, il est extrêmement vulnérable, écrasé par la souffrance, terrassé par la douleur psychique et morale, qui peut même retentir sur l’équilibre physique et entraîner des complications somatiques directes, ou indirectes, par le biais de la iatrogénie par exemple, et parfois mettre en jeu le pronostic vital.
Face à cette « matière cérébrale » qui s’échappe, s’écoule, les soignants vont devoir « tamponner » pour tenter de la contenir, la border en posant des limites, un cadre, un contenant avant de pouvoir la travailler de manière plus élaborée.
Chez certains patients certaines capacités de défense persistent, mais en intra les mécanismes de défense observés se situent plus souvent dans le registre psychotique (déni, clivage, projection) que névrotique. Ils sont rigides, massifs, peu adaptatifs ; les soignants doivent composer, contourner, biaiser, pour tenter d’établir l’alliance thérapeutique ; parfois se confronter en essayant de ne pas briser la psyché avec ses défenses, et effondrer le narcissisme très fragile qui se cache derrière la mégalomanie ou la paranoïa. Ex : Mr Ol.
Pour ma part, en tant que médecin responsable d’unités d’hospitalisation, je me voyais plutôt comme un chef d’orchestre, dirigeant l’équipe pluridisciplinaire et faisant jouer à chacun sa partition ; mais un jeune collègue me dit « toi tu es un commandant, tu organises, tu décides, tu fais passer ici un pont, une route ». Je pris ainsi conscience du caractère quasi militaire de notre fonctionnement, quand la guerre à la maladie mentale est déclarée. Dans cette bataille décisive, il est important de choisir sa stratégie ; entre la guerre de mouvement et la guerre de position. La guerre de position, c’est celle que livre le psychothérapeute dans son cabinet. Il est installé en position généralement confortable (fauteuil le plus ergonomique possible, calme, lumière tamisée), le patient également confortablement assis ou allongé, pour pouvoir laisser le transfert se déployer et guetter patiemment la survenue de mouvements parfois ténus de la psyché. A l’affût de l’association libre, de l’émergence et la coïncidence des signifiants, il attend le moment opportun pour effectuer la « frappe chirurgicale » de l’interprétation qui va faire sens pour le patient. A l’inverse, le psychiatre hospitalier mène la bataille sur le terrain, l’intra est le théâtre des opérations thérapeutiques où l’on peut observer les mouvements violents, les convulsions de la psyché désorganisée, mais aussi le mouvement plus lent et plus continu du travail de réorganisation qui amène progressivement à l’apaisement des symptômes et à la subjectivation. Ex : Mr Ak.
Pour atteindre ces objectifs il faut construire un plan stratégique dès l’entrée du patient, il s’élabore parfois même avant son arrivée, lorsque l’on reçoit l’appel d’un service d’urgence (Service d’Accueil d’Urgence, Centre Psychiatrique d’Orientation et d’Accueil, IPPP) ou des collègues du Centre Médico Psychologique. Ce plan s’élabore naturellement au sein de l’équipe et dans la tête du praticien, et s’articule autour de trois axes :
- La démarche médicale (« signes/diagnostic/traitement »)
- La démarche « écologique » (prise en compte de l’environnement social, familial, professionnel)
- La démarche psychothérapeutique (institutionnelle, individuelle, familiale).
La démarche médicale :
– le diagnostic s’établit classiquement à partir du recueil des antécédents personnels et familiaux, de la sémiologie à l’entretien d’entrée, puis au fil des observations de l’équipe, ainsi qu’au travers des signes rapportés par l’entourage. Les examens paracliniques (biologiques, radiologiques) aident à éliminer des diagnostics différentiels médicaux, neurologiques, et à guider les choix thérapeutiques. De nombreux symptômes, syndromes et maladies peuvent conduire à ces hospitalisations ; troubles du comportement et tentatives de suicide sont deux grands motifs d’entrée de patients souvent non consentants aux soins ; d’autres viennent d’eux-mêmes pour des troubles anxieux ou dépressifs.
– Ces troubles sont adossés à des diagnostics aussi divers que bouffées délirantes, secondaires ou non à des consommations de drogues psychotropes, décompensations de psychoses chroniques, schizophrénie, troubles bipolaires, dépressions, troubles anxieux, troubles addictifs, troubles du comportement alimentaires. Certains patients rapportent volontiers leurs symptômes, voire les amplifient quand, à la recherche d’un soulagement de leur trouble psychique, se mêle la recherche de bénéfices secondaires (hébergement pour des sans abri, reconnaissance d’un préjudice pour des personnes en difficulté professionnelle, sociale, ou autre). D’autres sont anosognosiques ou partiellement conscients de leurs troubles, mais cherchent à les dissimuler car ils ont peur d’être « pris pour des fous ». Il faut prêter attention aux récits de l’entourage, aux observations de l’équipe soignante.
– Il faut aussi réaliser que le fait de poser un diagnostic va contribuer à déterminer la stratégie thérapeutique, choisir le type de médicaments par exemple, mais ne peut que dans une faible mesure prédire la durée de l’hospitalisation, ce qui explique la difficulté à appliquer dans notre discipline la Tarification A l’Activité. La sensibilité d’un patient donné à un médicament spécifique de son trouble est difficile à prédire, les délais d’action des traitements sont souvent longs (jusqu’à 4 semaines pour les antidépresseurs), la survenue d’effets secondaires obligeant à changer de traitement viennent aussi perturber l’évaluation du temps d’hospitalisation nécessaire ; mais en vérité il dépend de nombreux autre facteurs relativement indépendants du diagnostic principal, en particulier des facteurs d’environnement.
La démarche « écologique »
– Elle tente de prendre en compte de ces différents facteurs d’environnement, elle est particulièrement importante en psychiatrie.
– Le contexte social joue un rôle évident, le fait d’être en situation de précarité est fréquent chez nos patients, et peut être aussi bien une cause qu’une conséquence de leurs troubles psychiques, rarement une coïncidence. Beaucoup sont sans emploi, ont peu ou pas de ressources, certains sont sans logement, sans couverture sociale, sans papiers, voire sans identité. Cette précarité retarde souvent l’accès aux soins, ce qui rend les troubles plus résistants, elle complique aussi l’organisation du projet de sortie qui repose souvent sur la mise en place de soins ambulatoires réguliers et assez intensifs dans un premier temps. Le dispositif sectoriel qui permet des soins de proximité n’est pas adapté pour des personnes sans domicile, et la recherche d’hébergement une vraie gageure même pour des assistants sociaux aguerris. De plus l’absence de domicile ou de papiers peut rendre l’autorité préfectorale réticente lors des demandes de levée de mesures de contrainte.
– Mais c’est aussi l’environnement humain du patient qu’il faut prendre en compte, la famille, les amis, les collègues, le voisinage, qui eux aussi participent souvent autant au problème qu’à sa résolution. Que l’on se place dans une perspective systémique, phénoménologique, ou psychanalytique, la prise en compte de l’entourage, quand il en existe un, est fondamentale. Il faut déjà décrypter dans les premiers éléments de dossier, en particulier les rapports des services de police, de secours, d’urgence, quelle place tient l’environnement dans les évènements qui ont amené l’hospitalisation. Une tentative de suicide doit par exemple être systématiquement passée à ce crible : quel moyen suicidaire a été utilisé ? Si ce sont des médicaments, à qui appartenaient-ils ? Comment ce patient est-il arrivé aux urgences ? Qui a appelé les secours ? Lui ? Un proche qui s’inquiétait ? Que le patient venait d’appeler ? Ou bien c’est par pur hasard qu’un inconnu, un passant a donné l’alerte ? Mlle SM…. Dans les troubles de comportement, il s’agira aussi de mener l’enquête en recherchant dans quel lieu, en quelle compagnie, sous quelle forme, après quel évènement les faits se sont déroulés, pour savoir si ces détails révèlent quelque chose d’un éventuel discours, masqué sous le propos délirant ou le geste aberrant, et à qui il était adressé.
– La pratique de l’intra est lourde de contraintes, pour le patient comme pour le médecin qui doit prendre en compte les exigences de nombreux interlocuteurs dont les intérêts et les motivations divergent fréquemment : le patient, la famille, dont les différents membres ne sont pas toujours d’accord entre eux, le préfet, le juge des libertés, les avocats, les considérations administratives, juridiques, financières et sociales, les recommandations de la Haute Autorité de Santé concernant les bonnes pratiques, le principe de précaution, le rapport bénéfice/risque, les indications des Autorisations de Mise sur le Marché des médicaments. Il faut soigner le patient, soulager sa souffrance, apaiser ses symptômes, respecter ses droits, sa dignité, sa volonté dans la mesure du possible, préparer sa sortie, son retour à domicile, ou son orientation vers une structure d’hébergement plus adaptée le cas échéant ; tout en protégeant la famille, et plus largement l’environnement et la société des risques que le patient peut leur faire courir, en assurant la sécurité des biens et des personnes ; le tout dans le temps le plus court possible pour gérer les flux de patients, permettre l’accueil des urgences en toutes circonstances, éviter la chronicisation des troubles, réduire les coûts, tout en respectant les délais légaux de rédaction et production des certificats d’hospitalisation, les notifications, les présentations au tribunal. Concilier des impératifs souvent contradictoires est un véritable défi, qui peut transformer le respect de ces contraintes en une véritable tyrannie.
La démarche psychothérapique
Elle recouvre tout ce qui va permettre au patient de réorganiser et reprendre le contrôle de sa pensée, de sortir de la situation étrange et inconfortable dans laquelle il se sent le jouet des forces extérieures, voire la victime de la malveillance, du mépris, ou de la négligence d’autrui. Il faut l’aider à retisser les liens rompus entre ses émotions, ses sentiments, les évènements de son présent ; et les expériences de son passé parfois lointain qui sont ravivés et réactualisés bien souvent en dehors du champ de la conscience, déterminant ainsi des symptômes incompréhensibles et les discours absurdes.
Cette démarche de subjectivation procède, au-delà de l’action des traitements médicamenteux, du double mouvement de prise de conscience du caractère pathologique des troubles, et de la reconnaissance des éléments internes et/ou externes qui ont déclenchés la crise. L’écoute attentive, respectueuse, et rassurante du thérapeute va permettre l’installation progressive de l’alliance thérapeutique. Il reviendra ensuite au thérapeute de trouver l’opportunité de pointer les répétitions et les coïncidences qui vont venir faire sens, avec d’autant plus de force que le patient aura eu l’impression de « trouver tout seul ».
Ce travail s’appuie sur les entretiens individuels, mais aussi sur l’action coordonnée de tous les soignants ainsi que sur le cadre institutionnel. Les entretiens familiaux vont également y contribuer, donnant au patient à entendre le discours, le ressenti et les interprétations de ses proches sur son propre vécu. La présence du thérapeute aide à exprimer les non-dits en fournissant un contenant psychique dédramatisant ; ses questions, reformulations, et interprétations vont clarifier les interactions observées, les associations et les lapsus ; et fournir le cadre propice au rétablissement des liens et aux abréactions. Ex : Mlle Ba.
L’approche psychothérapeutique individuelle sera portée au travers du travail du psychologue, dont Laurence va vous parler de manière plus spécifique, mais aussi du psychiatre. Il a l’opportunité en intra de nouer des liens privilégiés avec son futur patient ambulatoire, de partager avec lui ce dévoilement brutal, involontaire, et souvent surprenant de l’intimité de son inconscient. Il doit résister à la fascination par ce spectacle qui peut sidérer sa pensée, accompagner la cicatrisation de la psyché en respectant pendant une certaine période une nécessaire abstinence, ou du moins discrétion, de l’évocation de ce matériel ; mais il doit le garder en mémoire pour pouvoir le ré-évoquer à bon escient quand le patient, qui poursuit son évolution et sa reconstruction après sa sortie, amène un matériel verbal ou comportemental permettant une approche interprétative pertinente et non persécutante.
Tous les services d’intra ne sont pas organisés de manière à ce que le même psychiatre prenne en charge le patient pendant l’hospitalisation et après la sortie. Dans certains services, la coupure est même radicale, avec des entités bien séparées (intra, extra, post-cure ou services de soins de suite le cas échéant). Cette continuité par « l’unité de personne » n’est pas indispensable pour tous les patients, à condition que l’articulation intra/extra se fasse de manière serrée et plurimodale, avec non seulement des courriers, compte-rendus, fiches de liaison, certes nécessaires, mais aussi des échanges directs, lors de réunions de synthèse ou d’entretiens conjoints permettant un « passage de relais » optimal. L’objectif est de transmettre les informations de la manière la plus exhaustive possible, mais aussi d’assurer la continuité du transfert, le « transfert du transfert » en quelque sorte. L’unité de personne est cependant la technique la plus économique par le gain du temps consacré à toutes ces transmissions. Il faut la réserver, lorsqu’elle ne peut pas être la règle générale, aux cas les plus complexes, où le psychisme fragile en cours de cicatrisation risque à tout moment de se désagréger à nouveau comme un vase de porcelaine fraîchement recollé.
La continuité des soins incarnée dans la prise en charge du psychiatre psychothérapeute qui suit le patient tout au long de son parcours est donc un modèle fort qui participe au succès de la politique de secteur, qui a même résisté à la disparition de sa définition légale au profit de concepts beaucoup plus flous comme les « réseaux de soin » ou le « bassin de vie », car la pensée manichéenne du psychotique ne tolère pas les ambigüités et son besoin d’emprise ne peut se satisfaire de telles imprécisions et préfère « coller au terrain » que représente le secteur. Le patient, et sa famille, ont besoin de savoir à « qui ils appartiennent », même si c’est pour mieux le contester en suite, au nom du libre choix de son médecin par le patient.
Pour certains patients, le passage de relais vers une nouvelle équipe, avec transmission à de nouveaux acteurs du soin, peut cependant être une étape structurante, scandant un saut dans l’évolution et la maturation de la personnalité, il est donc précieux de préserver au cas par cas une souplesse d’organisation, et de ne pas figer les parcours de soin dans des protocoles trop stricts.
Il faut garder à l’esprit qu’en une génération, avec la découverte des principaux médicaments psychotropes dans les années 50, et la politique de désinstitutionalisation portée en France par l’organisation sectorielle, l’asile/lieu de vie est devenu l’intra/lieu de passage, où les séjours se font de plus en plus courts.
Là où autrefois on entrait bien souvent pour de longues années, voire pour ne plus en sortir, on est maintenant dans un temps accéléré, contraint par les exigences économiques qui obligent à réfléchir sur la « gestion des flux » en dépit des impératifs autrement plus incontournables de l’incompressible « temps psychique ». Ainsi le risque est plus grand de subir un « externement abusif » qu’un internement abusif.
Le projet de sortie commence donc à s’élaborer dès l’entrée, que ce soit un retour à domicile, avec un étayage ambulatoire, une convalescence en service de post-cure, ou encore une orientation vers un lieu de vie plus adapté.
Les admissions se répartissent principalement en trois catégories : les patients pour qui cette hospitalisation est le premier contact avec la psychiatrie, les patients chroniques dont l’hospitalisation actuelle est une étape de leur parcours, et cette spécialité parisienne, les DIRP.
La première catégorie est constituée de patients généralement jeunes quand le motif d’hospitalisation est un épisode psychotique, l’hospitalisation signe souvent l’entrée dans la maladie chronique, la schizophrénie, dont le diagnostic reste stigmatisant, et son annonce constitue donc un enjeu majeur, tant pour le patient que pour sa famille. En effet le rôle de l’entourage sera déterminant dans le pronostic pour aider le patient à accepter la maladie, adhérer aux soins, et lutter contre la constitution d’un handicap psychique, ainsi que contre les facteurs contribuant à une évolution défavorable, la consommation de cannabis par exemple. Pour d’autres troubles (dépressifs, anxieux, addictifs), l’âge de la première hospitalisation est plus variable, des troubles anciens font souvent le lit d’une fragilité qui se décompense à l’occasion d’un contexte particulier et d’évènements de vie qu’il faudra décrypter.
La seconde catégorie est constituée de patients généralement connus du secteur, souvent des patients psychotiques suivis au CMP, décompensant à cause de motifs divers, en premier lieu l’abandon du traitement médicamenteux. Que ce soit en raison d’effets secondaires, de la négligence liée au syndrome déficitaire, ou de la contrainte insupportable à long terme de prendre « un traitement à vie », surtout quand au fond de soi on reste convaincu de ne pas être malade et d’avoir été diagnostiqué « à tort », en raison d’une appréciation erronée par la famille, l’entourage, les soignants, de comportements parfaitement explicables autrement Ex : Mr EC. Cette anosognosie à laquelle se heurtent les soignants tant en intra qu’en ambulatoire reste une des caractéristique les plus fascinantes de ces troubles, sous-tendue par des mécanismes de déni et de projection, qui tentent de préserver un minimum d’unité et d’indépendance psychique au patient qui se sent si menacé, seul contre tous. Parmi les autres motifs de décompensation de ces patients, il y a bien sûr divers évènements de vie se déroulant dans son environnement proche ou plus large (évènements dans la société comme les attentats, les élections, etc.), mais en bonne place figurent ceux qui ont traits à son environnement soignant (changement de médecin, vacances, maladie, voire décès d’un soignant important dans la prise en charge, réorganisations institutionnelles avec déménagement ou fermeture de structures, modification des horaires d’ouverture, des modalités d’accueil). C’est le témoin de l’importance du transfert sur l’institution, preuve s’il en est que la psychothérapie institutionnelle existe, même dans les équipes non spécifiquement formées à cette réflexion, qui font de la psychothérapie institutionnelle comme Mr Jourdain faisait de la prose, sans le savoir. C’est pourquoi les conséquences dommageables de ces restructurations sont trop peu souvent anticipées, découvertes après coup avec surprise, contribuant encore un peu plus à l’engorgement de l’intra à bout de souffle. Ces patients sont les dégâts collatéraux de plans d’économies sans doute nécessaire, mais qui, in fine, peuvent générer des coûts humains et/ou économiques supplémentaires là où on avait cru pouvoir gagner en rentabilité.
La troisième catégorie, assez spécifiquement parisienne, est constituée des DIRP (domicile indéterminé en région parisienne), ensemble hétérogène regroupant les SDF (sans domicile fixe)attirés par les infrastructures de la capitale et les réseaux d’aide qu’ils peuvent y trouver, les patients en « voyage pathologique » généralement pour des motifs délirants Ex Mr PS « le fils de Dieu », et les visiteurs et touristes qui décompensent loin de chez eux. Le plan stratégique d’organisation de la sortie est alors conçu autour du rapatriement plus ou moins facilement accepté aussi bien par le patient que par son entourage, quand il est possible. Quant aux patients sans domicile et sans attaches, ils mettent en défaut toutes les organisations de soin, y compris celles qui sont dédiées à la population précaire, leur rôle étant essentiellement conçu comme un moyen de les conduire vers les soins, et non d’assurer la prise en charge post-hospitalisation. Ex Mme OT et son fils.
Au terme de ce voyage où je vous ai invités à suivre « l’intra en mouvement », j’espère vous avoir convaincus qu’il faut garder une place à la réflexion institutionnelle pour faire vivre la psychothérapie dans les lieux d’hospitalisation qu’aucune utopie antipsychiatrique, ni qu’aucune raison économique n’a pu faire disparaître, sans doute car si décriés qu’ils soient, ils restent un « mal nécessaire », qui peut devenir un bien précieux, un maillon indispensable dans la chaîne du soin psychiatrique.