Pascale WOUTS
Le premier changement dans la pratique d’une intervention psychologique à domicile au sein d’un réseau est la limitation du nombre de séances allouées pour un patient ; même si le réseau accepte de considérer qu’il y a des pathologies plus lourdes que d’autres et fait preuve d’une certaine souplesse, je ne perds pas de vue que en dépassant le quota avec une personne, c’est autant d’autres personnes qui ne pourront bénéficier d’une intervention psychothérapeutique.
La gratuité de notre intervention est aussi un biais que je ne perds pas de vue : il est humain de profiter de ce qui est gratuit, mais ma conception de ce travail est bien évidemment hors du champs de donner à la personne bénéficiaire l’impression de profiter. Ce serait la mettre dans une place où le travail psychique ne pourrait se mettre en marche.
Ceci étant posé, je ne m’attendais pas à certaines rencontres ni à certaines modalités thérapeutiques et je n’avais pas mesuré les changements qu’il me faudrait introduire dans cette pratique hors les murs.
Pour des raisons éthiques et déontologiques (la thérapie est encore en cours) je ne reprendrai pas dans ce texte la vignette clinique exposée lors de la soirée de l’APCOF.
Ce sont les outils théoriques de Gisela Pankow qui m’ont permis de border des déchirures psychiques de la patiente dont j’ai parlé à cette soirée. La vie l’avait fortement endommagée, ce qui ne lui permettait plus de vivre au sens d’être vivante.
Gisela Pankow dans son livre : « Structure familiale et psychose » écrit ceci: « Dans la psychose il ne s’agit pas d’interpréter de prime abord le refoulé ; il s’agit de trouver accès au domaine du psychiquement « non-représentable ». C’est pourquoi j’aborderai le « non-représenté » par la dialectique de la structure de l’espace, cela pour lui donner figure, pour le rendre représentable. »
Je me suis aussi appuyée sur un texte de Heidegger « Bâtir, habiter, penser ». Pankow y fait référence à ce texte dans « L’homme et sa psychose ».
La question de Heidegger est : qu’est-ce qu’habiter ?
A propos du mot « bâtir », « Bauen » en allemand c’est qu’il vient du vieil allemand « buan » et que « buan » a donné bin, bist de ich bin, du bist (je suis, tu es –le verbe être actuel) qui étymologiquement signifiait j’habite.
Etre homme sur terre signifie habiter la terre et non pas l’occuper comme une armée occupe un territoire.
Wohnen, étymologiquement wunian signifiait demeurer en paix, être épargné de dommages. Donc notion de protection et de repos paisible.
Le fait d’avoir un logement et de l’occuper n’a rien à voir avec le fait de l’habiter. Occuper un espace n’est pas l’équivalent de l’habiter.
C’est dans la même ligne de pensée que je suis intervenue.
La personne chez qui je suis allée avait bien un logement, elle l’occupait mais ne l’habitait pas, elle y était posée.
Or habiter, c’est tenir et maintenir son intérieur en bon état , l’aménager, s’y sentir en sûreté, se sentir entouré d’une protection.
C’est à cette condition que l’on peut se reposer et non plus se poser et alors se mettre à penser.
Gisela Pankow invitait à réinterpréter le cadre analytique comme espace vécu.
Avec les patients elle disait qu’il fallait chercher le « comment » et pas le « pourquoi ». Comment instaurer une relation, une rencontre.
Le fait d’intervenir au domicile oblige à réinventer les modalités de la rencontre et du cadre. Rien n’est connu à l’avance de ce que nous allons rencontrer. Nous devons à chaque fois adapter nos outils au contexte environnemental.
Cette patiente n’était pas dans la réflexion ou l’élaboration psychique.
Elle n’aurait jamais pu effectuer une demande de thérapie et se rendre chez un thérapeute. Il a fallu me situer dans une immédiateté relationnelle pour poser, par des actes concrets dans son espace, un cadre délimitant un espace à vivre ; un espace que la personne a pu ensuite habiter.
Ceci est inconnu dans une pratique en cabinet.
Dans cette pratique, il est nécessaire d’être souple et inventif et surtout d’avoir un ancrage personnel suffisamment important pour ne pas se trouver englouti par l’environnement de ces patients hors les murs.