Depuis plusieurs années la question du traitement des auteurs d’agression sexuelle fait régulièrement l’objet de remaniements juridiques et judiciaires.
Une telle problématique ne saurait laisser insensibles les professionnels qui s’intéressent aux rapports entre clinique et pratiques sociales de la santé.
Qu’y a-t-il de commun entre le sujet qui fréquente les sites pédophiles, le violeur de petites filles, l’exhibitionniste, et le père incestueux, si ce n’est la nature sexuelle de leur délit?
Ce qui fonde le caractère pathologique d’un comportement sexuel n’est pas à rechercher dans ses objets ou ses buts, dont l’inventaire obéit souvent davantage à un contexte socioculturel et ressort de choix éthiques et non de considérations cliniques, mais plutôt dans l’aliénation du sujet à sa sexualité même, dans la perte de sa liberté intérieure.
Devant la « judiciarisation » de ces affaires, le discours politique demande une plus grande sévérité et cherche les solutions les plus radicales, telles l’exclusion définitive des auteurs d’agression sexuelle ou l’approche exclusivement pharmacologique des troubles. Loin des propos simplistes et de déclarations péremptoires, il apparaît urgent de restaurer les voies de la raison, elle pousse à examiner sans indulgence les impasses que rencontre le sujet qui vient à la clinique, et pousse à faire part aussi de la subjectivation du symptôme lorsqu’elle bouscule les impératifs de la jouissance. A l’arrière-plan de cet exposé, s’entend le transfert comme le vecteur par où transite la désupposition des certitudes faisant échec aux postures et aux stratégies purement politiciennes en matière des projets sur les délinquants sexuels.
Il est évoqué habituellement l’impossibilité – s’agit-il d’un préjugé social, point de vue largement partagé par des politiciens ou des administrateurs de la santé ou par des praticiens
se présentant à mi-chemin entre la santé publique et l’autorité judiciaire – comme quoi la catégorie des auteurs de crime sexuel ne saurait pas être accessible aux traitements thérapeutiques. Pour les uns et les autres ; il devrait s’agir d’un simple problème de
« castration chimique » traité par la prise des antis androgènes ; toute mesure thérapeutique leur paraissant en général un luxe inutile, voire dangereux.
Dans mon expérience de clinicien au SMPR, la question ne se pose aucunement en ces termes, le traitement démarre avant le jugement, souvent sans prescription, à la demande du patient ; toutefois, il peut être parfois incité aux soins par la justice, par son avocat, par le personnel de l’administration carcérale, etc. ; le traitement étant ainsi l’objet d’un consensus libre entre le clinicien et le patient.
Mon intervention mettra à l’épreuve, à partir d’une vignette, comment la cure peut conduire à rendre possible l’élaboration d’un symptôme chez un sujet dont l’agir avait été érigé au rang de principe de jouissance. Le fantasme pervers nous servira de fil conducteur. Lorsque le fantasme se soutient de l’identification à l’objet pulsionnel, le sujet se présente comme un maître autodidacte du désir et de la jouissance ignorant sa propre aliénation à une
volonté absolue, dont il n’est que l’instrument. Par ailleurs, en ce qui concerne le transfert, ce sujet ne suppose aucunement le savoir inconscient à l’Autre, incarné par l’analyste, dont il cherche à usurper la place tout en essayant de le rallier à sa cause. Malgré tout, le clinicien relève le défi, une forme de supposition existe et l’on peut supposer qu’elle est suffisamment dialectisable pour que son désir se fasse entendre d’une manière ou d’une autre au cours des entretiens.
C’est le cas que nous voulons présenter, d’un sujet qui éprouve dans son vécu une forme de gêne, sinon de doute, d’inconfort ou d’insatisfaction dans son mode de jouissance. Quels objectifs peut-on désigner au fil des entretiens ? 1) Il s’agit de responsabiliser le sujet en identifiant sa structure avec son mode de jouissance, dans le sens d’une autorisation subjective et d’une limitation de cette jouissance et non plus d’une aliénation ne pouvant conduire qu’à la transgression. 2) Le travail consistera alors à obtenir une traversée ne serait- ce que partielle du fantasme, en le conduisant à s’interroger sur la réalité d’une telle jouissance, le fil conducteur sera ici un point d’ignorance, le « il ne sait pas ». On s’est demandé, à un moment donné, si la solution préconisée n’était pas celle de le névrotiser, pour le conduire à la question du désir. Il n’en fut rien. Pour le dire vite, il ne s’agissait pas de parvenir à la destitution du sujet supposé savoir, qui n’avait pas de mise ici, mais d’un sujet supposé jouir. L’abandon de cet ancrage de jouissance a quand même été précédé d’irruptions symptomatiques en particulier phobiques ; elles viennent indiquer un point où se noue le désir à la loi. Néanmoins le déchiffrage de ces symptômes physiques a frayé le chemin de la construction d’un symptôme analytique. 3) Ainsi, le mouvement de la cure annonce comment la jouissance peut devenir en quelque sorte compatible avec la coupure de la loi, la loi du désir pour commencer. Qu’au lieu d’une jouissance illimitée, elle devienne une jouissance de la limite, de la coupure de loi. La question qui reste en suspens serait alors de savoir si une perversion analysée, substitue au savoir supposé de la jouissance une jouissance à un savoir partagé avec l’analyste ?
L’homme en question, M. A, âgé de 25 ans, vient voir un analyste pendant trois ans parce qu’à l’issue d’une incarcération de deux années pour agression et tentative d’agression sexuelle sur des femmes, il avait pris la mesure que ce mode de jouissance finirait par le reconduire en prison. Ces intentions ne se sont pas aussitôt traduites en actes. Un événement l’a pourtant précipité à consulter, un médecin généraliste qui l’a mis sur la piste de l’analyse : il rencontre une femme très disposée à son égard qui lui fait savoir qu’elle n’a cure de son prétendu pouvoir de séduction, lui qui avait pris l’habitude de se présenter aux dames en maître autodidacte du désir et de la jouissance. Il avait cru pourtant d’avoir découvert une femme qui se pliait à ses désirs et à certain nombre de ses fantasmes : celui en particulier de mettre des collants de femme ; cette pratique secrète était la condition essentielle pour parvenir au coït, pratique à laquelle ses compagnes successives toléraient sans enthousiasme ni jugement. Cette dernière amie avait en quelque sorte fini par accepter son transvestissement et y trouver même un certain amusement. Mais un jour elle a mis l’accent sur le décalage qu’il y avait entre son « apparent » pouvoir « très virile » de séduction et la pratique perverse de son fantasme : « tu me plais même si je sais que tu es un faux séducteur, lui avait-elle assené ». La dénonciation de cette mascarade s’est traduite par la perte de l’érection. Ce nouveau symptôme se rajoutait à un autre qui avait fini par empoisonner les relations avec ses compagnes : la présence d’une lombalgie cervicale qui se manifestait lors des rapports sexuels. (Si nous résumons la chose, nous avons là la conjonction d’un semblant phallique, la séduction phallique, une esquisse de scène primitive et la castration ; tout cela est au départ caché et inexplicable. Il a fallu du temps pour tenter de démonter ce mécanisme et pouvoir en
fin de compte qualifier le scénario comme symptôme d’une structure névrotique à traits pervers).
Pendant la cure, une scène d’enfance remontant à l’âge de 9 ans, est remémorée : il raconte comment il avait fait ses premières découvertes sexuelles, en épiant ses sœurs aînées à travers le trou de la serrure de la salle de bains, ses sœurs enfilaient des collants avec beaucoup de douceur. Lorsque se sont manifestées les premières érections, est apparue la compulsion d’enfiler sous la couette les collants de sa mère ou de ses sœurs. Un jour son frère aîné l’a vu et il lui a dit « mon vieux, si c’est comme cela que tu vas aller vers les filles, bonjour la drague ! ». A cette pratique il a dû y renoncer un temps à cause du service militaire mais il y songeait souvent. Elle est réapparue ensuite à l’occasion des premiers rapports sexuels. Pour la justifier il la mettait en pratique lors des préliminaires, à l’occasion des jeux érotiques. Cette pratique, comme nous l’avions dit, durait depuis lors et représentait pour lui un remède contre le surgissement de l’angoisse, raison pour laquelle il ne se plaignait pas de ce fantasme. Nous avons là un fantasme bien constitué, la question que l’on aimerait se demander serait comment le déconstruire avec lui dans la cure.
Ces éléments, aussi bien les troubles de l’érection que son fantasme fétichiste, n’ont pas été évoqués d’entrée dans la cure. Il a bien entendu abordé le mobile de l’incarcération en prenant soin de ne pas l’examiner à fond, se contentant d’exprimer laconiquement un « pétage de plombs ». Il était venu dans l’idée que le psy était le dernier recours devant son problème physique, une lombalgie pour laquelle il avait consulté sans grand remède plusieurs spécialistes. Ayant évoqué devant le médecin généraliste l’apparition des douleurs au moment des rapports sexuels, celui-ci lui conseilla d’aller voir un psy.
On pourrait formaliser la cure en deux grands moments. Rappelons que l’objectif de la cure était pour lui de rendre vivable son symptôme, la lombalgie. Malgré cet objectif, il ne se passait rien. Il est connu, le sujet de la clinique, c’est quelque chose d’instable, de vacillant. La place du sujet c’est celle de l’incertitude dans la mesure où il est l’effet de ce qui s’articule dans la chaîne signifiante : pourtant, il est à la merci de la parole qui peut, malgré ses dénégations, le rattraper. Lors d’une première phase le sujet met beaucoup d’énergie à étaler sous le mode de la provocation, dans un récit très cru et fastidieux, ses petites aventures extraconjugales, sans rien toucher au fantasme qui les soutiennent. D’ailleurs il livre ses fantaisies moins pour saisir par où il est assujetti que pour démontrer comment nous, qui l’écoutions, nous y sommes nous-mêmes assujettis. La conséquence la plus perceptible de cet état est qu’il est arrogant, ne demandant plus au clinicien d’être attentionné, mais plutôt gratifié, d’être face à quelqu’un qui exhibe son savoir sur la jouissance ; bref, le maitre ne veut pas savoir et ne sait pas ce qu’il veut. Il est là pour jouir. De sujet supposé savoir le clinicien se voit ainsi déplacé, dans son discours, d’être en position de sujet-supposé-jouir. Quelle place peut venir occuper le clinicien quand en place du savoir, il y a l’infatuation narcissique du sujet patient ?
Le fantasme, au contraire, est tenu secret. Justement une brèche s’ouvre, la parole se débride un jour où il se vante de son pouvoir sur les femmes en disant qu’il sait ce qui fait jouir la femme. Le corps de la femme et la jouissance devant être Un tout, lui, devait se mettre à leur service. Il étaye ses propos par le souvenir d’un jour où il avait dévisagé dans un RER une femme assise quelques sièges plus loin ; il imaginait la fente de son sexe, il savait qu’elle avait des envies sexuelles. Il se masturbe, la fille devine le manège, sort précipitamment du compartiment, il jouit, fuyant à la station suivante par peur non pas de l’acte, mais de devoir s’expliquer devant la loi, alors que selon lui il n’a rien fait de mal. Au cours de ce récit, sa
certitude vacille, il sait ce que veut dire être séducteur, il sait ce que la femme veut, en exhaussant ainsi la supposée universalité du fantasme présent chez la femme. Néanmoins, il avoue non sans gêne qu’il ne sait pas ce qui le pousse à suivre les filles ni pourquoi parfois il est tenté de vouloir toucher leur poitrine ou de se masturber. Il ne sait pas qu’il cherche à provoquer l’angoisse de l’Autre lorsqu’il s’acharne à suivre et à entraîner des filles dans les cages d’escalier pour tenter de les violer. En somme, il ne sait rien du caractère irréel, violent, dangereux, ridicule voire puéril des solutions fantasmatiques à l’énigme de la jouissance de l’Autre. Mais si la jouissance de l’Autre est affirmée par lui, il ne peut pas ne pas concevoir que l’Autre manque de quelque manière, d’où la nécessité d’être le serviteur. Il venait de faire justement amèrement l’expérience que sa femme ne voulait plus de ce serviteur ; la colère montait en lui, il fallait donc montrer, prouver qu’il pouvait l’être, sa mission étant de permettre le retour de la jouissance vers cet Autre afin de le compléter. Pour un sujet baignant dans ses certitudes, avancer un point d’ignorance, un point où il se montre clivé face à l’objet c’est une occasion pour la cure à ne pas rater. On a cru alors bon de se demander si la solution n’était pas de pousser les éléments névrotiques pour le conduire à la question du désir. Dans son cas, il ne s’agissait pas de parvenir d’emblée à la destitution d’un sujet supposé savoir, qui est très problématique, mais d’un sujet supposé jouir. Nous verrons plus loin quelle voie nous avons appuyé.
Revenons à la première phase. C’est donc au cours de cette période, au moment même où il fait part de sa solution fantasmatique sur le plan sexuel que le revirement de la cure s’opère. Délesté de son impossible ignorance, le sujet vide son sac, A) il reconnaît éprouver depuis son adolescence, depuis qu’il s’interroge sur son désir sexuel, une forme de gêne, sinon de doute, d’inconfort. Le clivage de l’objet s’est fait ainsi sentir. Avec celles qu’il aime, le désir se fait inquiétant, il s’arrange pour mettre des collants, alors que dans ses aventures extraconjugales, l’objet est ravalé, donc moins angoissant. Il explique qu’après plusieurs rencontres décrites comme passagères, il a rencontré sa femme actuelle qui se soustrait à la série de femmes anonymes, posant pour lui la question de sa jouissance fétichiste. La relation avec cette femme en est le symptôme dont le fétiche est le témoignage de sa castration. Si l’on distingue jouissance et désir, on pourrait dire que ce sujet emprunte le fantasme pervers (en s’identifiant au phallus maternel) pour soutenir un désir qui se fait défaillant.
Il raconte des faits de son enfance, les premières découvertes sexuelles en épiant sa mère et ses sœurs ainées à travers le trou de la serrure de la salle de bains. Il imaginait, en se contemplant dans la glace la jouissance que pouvait sentir une femme, portant des collants. Le savoir d’une telle jouissance le rapprochait secrètement des femmes, et l’éloigne définitivement du père, qu’il tient à cette époque pour une brute. Lorsque se sont manifestées les premières érections est apparue la compulsion d’enfiler les collants de sa mère ou de ses sœurs. Il devait dissimuler ses pratiques masturbatoires sous la couette, devant arquer son corps, le rendant quasiment imperceptible à la présence des frères ; cette tension devait être suffisamment importante car il éprouvait à chaque fois une grande douleur au dos. Cette pratique cessa pendant quelques années, car elle ravivait souvent des interrogations angoissées autour d’une éventuelle homosexualité. Quelque temps après ce récit, la lombalgie cesse.
- B) Il aborde ensuite des éléments signifiants de ce fantasm Troisième et dernier garçon d’une fratrie de huit enfants, il était le « poupounne » de sa mère ; elle lui prodiguait des soins intensifs, le baignant et le pouponnant jusqu’à ce qu’il ait 12 ans. Le père était le cousin éloigné de sa mère. La mère était issue de la branche cultivée, le père au contraire, provenait d’une famille plus modeste. Une fois mariés, ils étaient venus s’installer en France,
la mère devient directrice d’un foyer alors que le père avait stagné comme ouvrier. Le père, un homme assez effacé, tyrannisait tout le monde à la maison et se montrait très brutal et impulsif. Un soir, alors que M. A avait 8 ans, le père était arrivé visiblement très éméché et devant tous les enfants avait trainé sa mère jusqu’à la chambre pour avoir un rapport. Une fois revenue de la chambre, la mère restée de marbre avait simplement commenté que le père s’était définitivement discrédité comme père. Si la fonction du père est d’unir le désir et la loi, il doit céder, accepter de perdre la jouissance ; il s’efface ainsi pour que la jouissance soit partagée ou redistribuée, la jouissance par exemple de la mère avec son enfant. Mais si le père refuse, on aura comme Lacan l’indique, un piétinement d’éléphant qui introduit, par son caprice, le fantasme de la toute-puissance, non pas du sujet mais de l’Autre. Le père qui accapare la jouissance ne permet pas la constitution d’un pacte pour partager la jouissance. C’est là que la mère peut discréditer le père en l’empêchant de donner une norme au fils, au lieu de châtrer le fils pour le soumettre à la loi du père. Un tel père destitué de sa fonction fait que la mère retient le fils hors la loi, conservant pour elle la jouissance avec son fils et du même coup, la loi paternelle n’est rien d’autre qu’un caprice. Ce père n’a plus le droit au respect. Que M. A. soit parvenu à évoquer et déconstruire cette scène de séduction traumatique réelle entre le père et la mère ou qu’il s’agisse d’un fantasme inconscient, importe peu, puisque dans un cas comme dans l’autre, il est déterminant dans la vie du sujet.
Dès lors, on pourrait ordonner quelques propositions : la présence du fétiche désavoue ce que le sujet a bien dû reconnaître, à savoir que l’Autre maternel est châtré. Du coup, il laisse dans l’ombre l’agent par lequel la castration a lieu : le père réel. Mais ce père ne peut pas être perdu même si le sujet ne le reconnait pas comme tel. Le sujet le situe comme agent non de la castration mais de la privation. Cette scène du coït forcé signifie que la mère est châtrée par le père, mais au sens de la privation. Et ce que le sujet ne veut surtout pas entendre c’est que la mère puisse désirer le père et qu’elle soit désirée par lui. Il est clair que d’un côté il y a une mère aimée et désirée, objet de la convoitise, de l’autre, malgré sa présence, un père discrédité de sorte que pour ne pas succomber totalement à la mère et préserver la chance d’un symptôme, le sujet doit faire du père un privateur. Si désaveu il y a, il porte « sur le désir de la mère pour le père », désaveu dans lequel le sujet se piège. Et ce piège a pour nom, la falsification du phallus.
Dans cet ordonnancement subjectif on peut avancer la présence de deux versants du transfert correspondant à deux modes d’énonciation bien distincts : avant, celui qui célèbre le triomphe du discours macho et vantard sur la nature sexuelle de la femme, se caractérise par la subversion radicale de la position du sujet-supposé-savoir, le clinicien faisant face à un maître du savoir sur la sexualité et sur la jouissance des corps. D’autre part, il se comporte comme pourrait le faire le névrosé, oscillant entre deux positions, celle où il s’identifie à l’objet, au collant de sa mère, à ses sœurs, mais aussi aux victimes, dont l’Autre est censé se repaître et la position où il s’affirme comme sujet à la condition de se castrer de son être imaginaire (le faux séducteur pour sa compagne). Si l’on formalisait ce mouvement dans la cure, l’intérêt que revêt ce cas vient de la quasi-impossibilité à trancher entre ce qui se présente selon deux faces apparemment contradictoires : d’un côté une soumission docile se faisant objet de la jouissance de l’Autre, de l’autre des tentatives réitérées de transgression de la loi. Si perversion il y a, elle viendrait justement de cette tentative désespérée de vouloir se faire l’exception «objet a », plus particulièrement à l’adresse de l’Autre féminin.
Nous avons évoqué les difficultés de l’installation du transfert, et en même temps on a rendu compte des ordonnancements du discours. Le point de rupture pourrait venir du symptôme, si celui-ci parvient à s’émanciper de son asservissement au fantasme. Il s’agit donc de repérer la
modalité selon laquelle « le désir assujettit ce que l’analyse subjective ». Le sujet n’est tel, c’est-à-dire constitué par sa division, qu’à partir du moment où il introduit avec un symptôme, quel qu’il soit, le grain qui permet d’enrayer la volonté de jouissance inhérente à l’Autre, maternel d’abord. Tant qu’il n’est pas confronté à la fonction phallique, le symptôme chez l’enfant peut se saisir comme signe de ce que l’Autre est incomplet, et ce n’est qu’avec la mise en place de la fonction phallique, par la confrontation avec la possibilité de la castration de l’Autre maternel, que se pose la nécessité structurale de cette incomplétude. Or en interprétant la castration comme une privation, le sujet se trouve aux prises avec la menace d’être entièrement livré à la volonté de jouissance de l’Autre, mais cette fois, voilà le paradoxe, l’Autre est le père. Dès lors, pour contrer cette menace, il doit s’élever contre la fausseté du phallus. Il est faux qu’un homme soit une femme. Et c’est cela justement ce que M. A. oppose en faisant valoir un symptôme qui entame la volonté de jouissance de l’Autre qui voudrait lui imposer de se soumettre à cette falsification. Disons alors le symptôme : il est vrai que l’homme est femme. Ce trait pervers, le travestisme, veut faire croire que le « faux est vrai », tel est le message du symptôme que M. A, veut imposer à son partenaire privilégié. Le sujet est bluffé par cette promesse d’une jouissance mais sans y pouvoir prétendre, parce que cette jouissance – la mère castrée serait le « gouffre », ce pourquoi il greffe à ce message du symptôme son point complémentaire, la possibilité d’être joui par le père.
Quels objectifs peut-on désigner au fil des entretiens ? Nous avons évoqué les difficultés de l’installation du transfert dans le discours du maître, et en même temps on a rendu compte du changement du discours ; le pari est de laisser ouvert un point resté en suspens, pour que l’angoisse que suscite la mise en tension de la question du désir puisse être le lieu d’une interrogation, par exemple autour du moment où le désir se noue à la loi ; cette situation s’est présentée récemment au cinéma, il s’était assis près d’une femme seule ; en l’épiant furtivement, au moment même où sur l’écran se déroule une scène érotique, il croit percevoir par des gestes à peine perceptibles une excitation sexuelle chez elle ; très excité à son tour, il tente de se masturber, mais se rappelle aussitôt qu’il possède un abonnement et son numéro devant être répertorié, il imagine alors qu’il peut être arrêté. Sans attendre la fin du film, il fuit, en proie à une crise d’angoisse. Cette tentative de passage à l’acte articule loi et désir ; il s’agit en effet d’une mise en avant de l’interdit, tentative de vouloir inclure la jouissance du sujet dans son fantasme ; le sujet se faisant regard de la jouissance prétendue du corps de l’Autre, avec pour scène primitive l’écran du cinéma. Dit d’une autre façon, l’entrée de l’objet imaginaire dans le scénario remplace le réel de la jouissance, établissant un écran séparateur entre le sujet et la jouissance, transformant cet objet imaginaire (en un condensateur de la jouissance).
La voie que le transfert indique est donc de responsabiliser le sujet en identifiant sa structure avec son mode de jouissance, dans le sens d’une autorisation subjective et d’une limitation de cette jouissance et non plus d’une aliénation ne pouvant conduire qu’à la transgression. Tout le travail sera alors de le conduire à s’interroger sur la réalité d’une telle jouissance et à trouver ce qu’il ne sait pas. En somme, le mouvement de la cure annonce comment la jouissance peut devenir en quelque sorte compatible avec la coupure de la loi, la loi du désir pour commencer. Qu’au lieu d’une jouissance illimitée, elle devienne une jouissance de la limite, de la coupure de loi. Ceci permet de restituer à l’Autre, non pas l’objet fétiche, dans son rapport au S1, mais un nouveau trait qui brise cette conjonction a/S1 d’où pourrait émerger un savoir inédit comme une nouvelle jouissance. La question qui reste en suspens serait alors de savoir si une perversion analysée substitue au savoir supposé de la jouissance un savoir partagé avec le clinicien !