Le titre de cette journée nous suggère l’idée d’un passage. S’agit-il d’un passage des études vers un savoir faire ? Oui mais notre point de départ est de considérer que ce passage est plutôt marqué par le consentement à la rencontre avec une impasse et non pas par la nécessité de démontrer une performance.
Cette impasse est la conséquence de l’écart entre le savoir supposé à partir d’une fonction, et le rapport au savoir propre à une position, celle de celui qui occupe la fonction.
Il s’agit donc dans ce passage, de la mise au travail de la position subjective du clinicien, au un par un, face au savoir.
Poser les problèmes du passage « de la fac au terrain » dans ces termes n’exclut pas la prise en compte des conditions dans lesquelles s’inscrit l’action du psychologue, mais favorise une réflexion plaçant au passage sa responsabilité.
Avec cette direction, le psychologue n’est pas fixé à la place passive de celui qui subit un système, mais plutôt acteur.
Le rapport au savoir dont il s’agit à partir de sa position subjective n’est pas celui d’un expert, malgré les demandes qui lui sont adressées dans ce sens à partir de sa fonction.
Pour penser la relation entre le psychologue et l’institution, je vous propose de nous appuyer sur deux notions :
– Le Sujet supposé savoir, pivot du transfert dans l’orientation psychanalytique et
– Le symptôme.
Avec la première, le S.S.S, nous faisons une lecture du psychologue comme porteur d’une supposition de savoir qu’il aura à subvertir.
Avec la seconde, le symptôme, nous envisageons la fonction du psychologue comme étant celle de décompléter l’institution qui risque de fonctionner comme un tout refermé sur l’intérêt collectif.
- Le S.S.S.
Le Sujet supposé savoir est une notion qui permet de conceptualiser le transfert en termes de « dialectique transférentielle » selon Lacan. Dans cette dialectique le patient s’adresse à l’Autre à partir d’une supposition de savoir qui a à voir avec sa trame subjective et non pas avec le savoir qui possède celui à qui le patient s’adresse.
Dans le discours analytique il s’agit pour l’analyste de se faire dupe du savoir qui lui est supposé, ce qui implique de ne pas y croire mais de permettre un usage. Ce mouvement ne relève pas de l’application d’une technique. Il est la conséquence, la marque, du parcours de celui qui avant d’être analyste a consenti à être analysant. L’analyste pourra se faire dupe du savoir qui lui est supposé, en résonance avec son parcours analytique, dans son lien transférentiel.
Le psychologue et la demande qui lui est adressée.
Considérons l’institution avec la demande qu’elle véhicule, à la place du patient, et entendons dans la supposition de savoir adressée au psychologue la supposition d’un savoir de technicien expert. Admettre cette supposition de savoir pour la subvertir implique de ne pas y croire. Le contraire serait la position de s’identifier à la fonction de celui qui sait, et faire de ce savoir ce qui définit la valeur de sa position.
Autrement dit, le savoir qui lui est supposé à partir d’une fonction devra s’articuler au delà de la fonction à une position subjective, à une position dans le discours. Fonction et position, deux portes d’entrée différentes, pour penser ce qui est en jeu pour le psychologue dans la rencontre avec la réalité du terrain. Pour penser cela, il a à sa disposition des outils comme le contrôle et l’analyse.
L’argument qui présentait cette journée présente l’usage renouvelé du contrôle comme une élaboration constante de la clinique dans l’après-coup, élaboration dans laquelle il ne s’agit pas d’obtenir la garantie d’un savoir faire. De plus en plus le temps nécessaire à l’élaboration et à la réflexion est menacé de disparaître. Ce temps là a été conçu jusque là comme un temps reconnu par l’institution et nommé dans la fonction publique le temps FIR .
Aujourd’hui le psychologue est menacé d’être appelé à inscrire son action dans une machine, pas dans une logique. C’est une machine qui effacerait le temps de la réflexion et de la formation issue de la réflexion sur l’action à partir de ses effets.
L ‘institution machine efface le temps de l’après-coup des actions, et croit à des outils qui lui donnent le pouvoir de l’anticipation des résultats.
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La fonction du psychologue comme symptôme.
Pourquoi ?
Parce que le psychologue, confronté à l’impossible de la guérison, démontre l’impossible de ce pourquoi sa fonction a été créée, à savoir être le garant de la santé mentale. Le psychologue, orienté par la prise en compte du particulier, démontre les limites de la santé mentale en tant qu’ impératif issu d’une logique de l’universel.
La santé mentale est inscrite dans le discours du maître contemporain comme un produit à consommer. Pour cela la contemporanéité a un outil supposé garant d’un savoir, un outil auquel le psychologue sur le terrain devra faire face : le Diagnostique.
Le Diagnostique, un des noms de l’impasse rencontrée par le psychologue sur le terrain.
Le psychologue arrivant sur le terrain aujourd’hui se confronte aux limites du savoir universitaire pour traiter la question du Diagnostique. Conçu comme un savoir théorique qui précède la rencontre avec la clinique, cet outil n’est pas étayé, voir questionné par ce qui émerge dans la relation transférentielle. Il est plutôt préconçu, dans un système qui demande au psychologue de l’appliquer par un « comme un technicien ».
Cette demande véhicule une croyance, la prétention d’anticipation par la maîtrise d’un savoir qui élude la prise en compte de la clinique et de son émergence dans le lien transférentiel. Cette logique efface la question de la causalité psychique.
Le psychologue, non par sa fonction, mais oui par sa position éveillée quant au discours dans lequel s’inscrit son action, pourra questionner l’illusion de maîtrise qu’on lui suppose, maîtrise de ce qui dysfonctionne. Dans les problématiques qu’il reçoit, il y a de plus en plus l’attente d’un usage du diagnostique qui lui dirait la technicité de la démarche à suivre avec le patient. Lorsque le psychologue dénonce les limites de la technicité par la prise en compte de la complexité de la démarche diagnostique c’est ainsi qu’il décomplète l’institution.
La subversion concernant le savoir qui lui est supposé, lui permet de démontrer la relation étroite entre causalité psychique et clinique. Pour cela il a besoin de formation au plus prés de la pratique qu’il rencontre.
C’est dans cette logique que le temps de formation reconnu dans la profession comme condition pour la réflexion de son exercice est considéré comme un obstacle aujourd’hui aux fins de l’illusion de la santé mentale. Néanmoins, c’est par l’écart entre l’attente de ce qui lui est supposé pouvoir régler et la prise en compte de l’impossible de la guérison, l’impossible de la santé mentale, que la nécessité du temps de formation après la Fac ne disparaîtra pas.
Autrement dit, dans le passage de la fac au terrain, chacun aura à faire avec les effets de la rencontre avec le statut de la santé mentale comme objet de consommation. Ceci étant une des conséquences de l’alliance du discours de la science avec celui du maître, comme Lacan nous l’a indiqué.
Face à cette contemporanéité, nous ne pouvons pas réduire notre réflexion à localiser un coupable : le gouvernement, telle ou telle instance de la santé mentale. Nous constatons que c’est un mouvement mondial, propre au discours contemporain.
Depuis Lacan, nous pouvons conceptualiser que c’est de ce sujet forclos, sujet qui constitue l’inconscient lui même, que la psychanalyse s’occupe.
Qu’en est-il de la psychologie ? Elle est supposée favoriser cette forclusion mais, dans l’appui qu’elle peut prendre sur la psychanalyse, la psychologie peut faire symptôme de ce qui lui est demandé et répondre à partir de là.
Ce qui semble changer aujourd’hui concernant l’effacement de la prise en compte de la causalité psychique, argument pour rendre inutile le besoin de formation à mesure que le parcours se fait sur le terrain, ce qui semble changer donc, sont les modalités de forclusion du sujet car elles sont liées au pousse à l’extrémisme dans la recherche des solutions.
Le monde contemporain indique ainsi qu’il n’y a pas le temps pour le conflit psychique car ce qui presse c’est l’obsession par la trouvaille des solutions universelles qui favorisent le contrôle.
Pour conclure, le discours contemporain faisant de la santé mentale un objet de plus à consommer, prétend substituer:
- au symptôme le trouble,
- à la causalité psychique, la causalité environnementale ou biologique,
- au psychologue clinicien, le psychologue technicien.
L’abord psychanalytique, y compris dans sa version psychanalyse appliquée à la psychothérapie, ne favorise pas une théorie qui se déplie indépendamment d’une pratique.
Cette pratique est celle que nous appelons la clinique du sujet. Cette clinique oppose à l’application du protocole la prise en compte du transfert, opérateur qui requiert de la formation continue à partir du terrain.
A cette orientation, est opposée aujourd’hui la formation dans la prévention, formation qui justifie l’importance donnée à l’évaluation préventive. Nous constatons le risque que cette tendance s’impose au détriment d’une formation rigoureuse en psychopathologie clinique et concepts psychanalytiques et cela nous éveille quant à l’importance de favoriser des réflexions comme celle que cette après-midi propose aujourd’hui.
Nous défendons, par le biais des questions que la rencontre avec la clinique permet de soulever, que la formation du psychologue orienté par la psychanalyse requiert une rigueur dans sa propre formation, rigueur qui va au delà du savoir théorique acquis. Cette rigueur inclut le consentement à se soumettre au contrôle de sa clinique, afin de favoriser le processus qui lui permettra de se défaire de la supposition faite à la théorie de pouvoir donner des réponses à tout.
La théorie, y compris psychanalytique, sans la réflexion à partir de la tension qu’introduit la clinique, fait prisonnier le psychologue d’un cadre qui paradoxalement peut s’assimiler par son usage au protocole, au guide de traitement que la contemporanéité lui impose.
Le psychologue, par sa mission impossible de guérir, d’assurer une place dans les dispositifs de la santé mentale, incarne dans sa position une réponse « à ce qui du réel ne cesse pas de ne pas s’écrire », expression inventé par Lacan pour nommer l’impossible de l’harmonie.