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Juan GOMAR
La loi de 2005 préconise l’intégration des enfants handicapés dans les écoles, avec tant que faire se peut, une Assistante de Vie Scolaire nommée par l’éducation nationale.
De nouvelles solutions sont amenées en parallèle aux parents dont la situation financière le permet, avec des associations partenaires spécialisées dans les TED, proposant des AVS privées. Celles-ci sont diplômées pour la plupart en psychologie ou en cours de validation de formation, et sont embauchées par les parents directement ou l’association. Cette dernière fait le lien avec l’école, en supervisant le travail de l’AVS, et entre la famille et l’AVS, en s’assurant du bon déroulement de la prise en charge au cours de l’année.
L’embauche des AVS par les parents et l’intervention éventuelle à domicile posent un cadre particulier, car les parents font les comptes ! Cela peut conduire à une surenchère infernale où l’AVS tend à se retrouver obligée de répondre à leur demande. C’est pourquoi cet accompagnement nécessite une certaine discrétion de l’AVS, à utiliser les signifiants des parents (qui se situent du côté des apprentissages) et préserver l’émergence subjective de l’enfant. Je me souviens de cette maman qui ne pouvait entendre que l’on apprenne les mathématiques en comptant les œufs d’un gâteau au chocolat. L’intervenant doit donc se positionner du côté du tiers, avec un savoir troué. L’enfant peut alors tenter de se décoller de sa mère, et quitter cette position d’objet de jouissance.
La poussée de ce mouvement place les parents comme décisionnaires et gestionnaires, avec parfois des exigences sans limites. Et c’est généralement la mère qui va être porteuse des demandes, sans aucun support symbolique, car souvent le père se retranche derrière elle, se déprime ou se voit évincé du suivi. Maud Mannoni dit « du père et de l’homme qu’il est souvent démissionnaire » (1). Ces parents, blessés narcissiquement par le handicap de leur enfant, peuvent désirer à travers cette intégration un accès à la normalité. Maud Mannoni disait que « l’infirmité d’un enfant atteint la mère sur le plan narcissique… » (2). La tentative de réparation mène fréquemment à une quête sans fin de nouvelles solutions : chaque nouveau médecin, nouvelle association, nouveau pictogramme, est tenté afin de remédier au déficit. Maud Mannoni parle de cette mère qui « oscille entre le dressage et une sorte d’insouciance paisible hors du temps, à l’image de l’enfant qui se sent hors d’un corps et hors d’une relation à l’Autre. » (3).
Là, on voit bien la difficulté, où seul l’introduction d’un nouveau signifiant du côté du soin pourrait mettre du tiers et décharger la mère de cette frénésie de tout contrôler. Ce tiers pourrait être incarné par l’institution de soin, et permettrait à l’enfant de bouger un peu. Cela rejoint ce que dit Antonio Di Ciaccia, psychanalyste : « Le devoir de l’institution est de voiler aux yeux omniscients de ses parents la position subjective de l’enfant » (4).
Présentation de l’accompagnement d’un enfant en CP.
Ce soir, je vais vous parler d’un enfant que j’ai suivi pendant une année scolaire. J’intervenais en tant qu’Assistant de Vie Scolaire (AVS) douze heures par semaine, ce qui correspond à peu près à un mi-temps d’école. Le reste du temps l’enfant, que j’appellerai Lucas, restait en classe sans accompagnateur.
J’essayerai de mettre en relief les éléments qui me sont apparus les plus importants dans cet accompagnement, pour ensuite vous faire part de ma position et les décalages introduits vis-à-vis des trois acteurs principaux de ce scénario: l’enfant, les parents, et l’école représentés par la maîtresse en classe.
Lucas est un enfant de six ans qui a été diagnostiqué selon le DSM-IV de Troubles Envahissants du Développement (TED), terme qui viendrait regrouper ce que nous connaissions avant sous l’appellation d’autisme. Ses parents avaient fait appel a une association qui embauchait des psychologues et c’est par ce biais que je les ai rencontrés. Dans le contrat que j’avais signé au préalable avec eux, était marqué l’objet de la demande: Prise en charge d’un enfant atteint de TED pour son intégration à l’école. On me demandait donc d’accompagner Lucas pour l’intégrer, pour qu’il fasse partie du groupe de la classe et qu’il acquiert les apprentissages attendus à son âge, principalement la lecture et l’écriture. Nous voyons bien comme cette demande n’est axée que sur le plan pédagogique-éducatif. Ses progéniteurs me demandaient de m’occuper d’un symptôme qui se présentait sous le mode d’un refus des activités scolaires sans prendre en compte sa dimension subjective. D’ailleurs, on pourrait se poser la question des raisons qui mènent les parents à un surinvestissement du temps éducatif. Précédemment, ma collègue vous a parlé des blessures narcissiques, mais il y a d’autres raisons que nous ne développerons pas ici, car cela nous éloignerait de notre sujet. Celles-ci seront certainement évoquées par les intervenants suivants.
Voici mon premier point de décalage par rapport à la demande des parents. Dans un premier temps, et malgré les difficultés du cadre, je me suis positionné dans le registre du soin psychique. Ce n’est que dans un deuxième temps, que les apprentissages ont pu être abordé par Lucas. C’est à dire que dans un premier temps, j’ai proposé une sorte de contenant pour que Lucas puisse s’étayer, et à partir de là, qu’il arrive à s’intéresser aux activités scolaires. C’est à partir de jeux simples, que je suis allé aux centres d’intérêts de cet enfant, lesquels étaient d’ailleurs loin de ceux qui occupaient le programme scolaire, pour instaurer un lien transférentiel. Par exemple, sachant qu’il était très intéressé par les trésors, par les pièces de monnaie en or, j’en avais fabriqué quelques unes pour lui donner en fin de matinée. Ce système que j’utilisais au début, je l’ai retiré progressivement vu les mouvements transférentiels sauvages que cela pouvait provoquer. Ce transfert, était pour moi le moteur de mon travail avec lui, une sorte de locomotive où j’essayais d’accrocher Lucas.
Ma position était orientée par la posture de celui qui n’a pas le savoir. A mon sens, un des effets de ces écarts que je viens de vous citer, a été la possibilité de créer d’abord un aménagement de l’espace qui est devenu ensuite un lieu grâce à la mise en place du transfert. L’aménagement de l’espace était simple: je m’asseyais à côté de Lucas dans la classe et faisais l’interphase entre lui et la maîtresse. En ce qui concerne la transformation de cet espace en lieu grâce à l’intervention du transfert correspond au deuxième décalage, c’est-à-dire celui introduit vis à vis de l’enfant. Il faisait allusion à la mise en place d’une adresse de la part de Lucas à mon endroit. Cette adresse proposait une petite marge de manœuvre lui permettant de respirer. Dans ce sens, je ne répondais pas tout de suite à ce qu’il exigeait ou en tout cas je laissais un temps pour qu’il puisse se manifester. Il répondait souvent par un « je ne peux pas !» quand je l’invitais à réaliser une tâche qui pouvait être écrire un mot.
Il me semble que tous ces écarts ont pu contribuer à la transformation d’un espace imaginaire en une place, appartenant au registre symbolique, au registre de l’Autre.
Finalement, ma position concernant la maîtresse, donc troisième décalage, j’ai dû introduire également un écart. Comme je disais plus haut, l’institutrice se situait dans une demande pédagogique, comme celle des parents. Il fallait que Lucas suive le programme scolaire. Dans les moments de classe, je me faisais partenaire de la maîtresse, afin de médiatiser l’échange avec son élève. J’essayais de maintenir une posture flexible et non menaçante, basée sur une bienveillance sans attente spécifique: mon but était de temporiser la demande que la maîtresse lui adressait. Au début, quand elle lui donnait une consigne directement, notre élève s’enfermait, fronçait les sourcils et tournait la tête vers le bas, donnant une mimique de douleur. Avec le temps, Lucas se repliait de moins en moins et arrivait même à prendre la parole en pleine classe pour appeler la maîtresse. Cet appel de l’élève vers l’enseignante venait aussi replacer chaque auteur. C’est-à-dire qu’à ce moment là, la maîtresse était convoquée par son savoir sur les apprentissages de Lucas et non pas sur sa symptomatologie. Ce mouvement de notre jeune homme avait aussi des effets sur le pronostic que l’école lui collait dessus. Autrement dit, grâce à ces petits changements, le cadre dans lequel cet enfant était immergé se flexibilisait, permettant une approche de l’institution scolaire plus personnalisée.
En guise de conclusion, et pour répondre à la question de la soirée « est-ce que l’école est un lieu de soins? », nous avons envie de dire que dans notre cas particulier « oui ». Mais il est vrai que la plupart du temps, les AVS n’ont pas de formation en psychopathologie. Dans ce sens, même si l’école, d’une manière générale, est un lieu qui peut avoir indirectement des effets thérapeutiques, quand elle n’est pas sensibilisée à la problématique de certains enfants, cette orientation peut être contre-indiquée. C’est pour cela que la formation des AVS nous semble indispensable pour réaliser cet accompagnement et non pas seulement de boucher les trous à une place définie par la législation. Il ne suffit pas seulement de proposer des AVS: l’Etat doit aussi se préoccuper du contenu.
(1) Mannoni M. (1964), L’enfant arriéré et sa mère : Seuil, p.29
(2) Idem, p.26
(3) dem, p.35
(4) Di Ciaccia A. (1989), Travail préliminaire au traitement d’enfants psychotique Préliminaire, 1