Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Le secteur fait le lit du lien

Dario MORALES

Le discours dominant sur la folie s’accole de plus en plus avec la raison néolibérale. Urgence, risque zéro, rentabilité, individu, territoire, santé mentale sont les maîtres mots qui viennent évacuer ou effacer la clinique du sujet. Pourquoi sommes-nous arrivés à cette situation ? Ce n’est pas à nos invités de ce soir d’y apporter une réponse mais de nous montrer plutôt, comme au contraire ils bricolent tout en prenant en compte certains impératifs des nouvelles lois, la HPST avec la nécessité d’assurer des soins pour leurs patients. Ils résistent à leur façon en réintroduisant la clinique du sujet là où le discours dominant s’adresse à des individus ou à des usagers. Je rappelle que le sujet c’est la personne à qui l’on s’adresse dans le cadre d’une écoute. On met en avant le relationnel, l’Autre, ce qu’elle ressent, ce qu’elle désire, à partir de sa singularité. Alors que l’individu, l’usager, est la personne dont seul le comportement ou l’étiquette est pris(e) en compte. C’est la personne prise isolément sans prendre en compte ce qu’elle a à raconter de son histoire singulière. La clinique contemporaine tend à se construire autour de l’individu qui bien entendu dans la vision sociétale, est perçu comme autonome, le symptôme est alors pris dans le registre spécialisé et le clinicien devrait endosser alors le rôle de l’expert capable de traiter le symptôme comme une question technique. La question pour nous est alors la suivante : les soins psy se résument comme le discours le fait croire, à une affaire d’expertise, de standard ou de norme ? Que faire avec les demandes ou plutôt les refus des soins chez les patients psychotiques alors que l’on utilise par la même occasion le terme de besoin et que l’on crée des dispositifs ayant pour soucis la prévention et les chiffres – épidémiologie oblige, et que l’on pratique des distinctions bien serrées entre maladie et handicap. Comment comprendre alors l’articulation entre sanitaire et social, entre l’éducatif et le judiciaire ? Federico Ossola analysera de près ces discours, mais je vois un croissement très particulier, rigide entre deux discours bien volontaires, un discours néolibérale centré sur l’individu et sous couvert d’une telle approche on voit une pratique en même temps de plus en plus totalisante pour ne pas dire totalitaire, où projet de vie et projet de soins se confondent dans une « prise en charge sanitaire ou médico-sociale ».

Dans une première partie, Guy Dana, dans un style très personnel, va donner à entendre son expérience de psychiatre psychanalyste dans le secteur où il exerce. En tant que psychanalyste, il est sensible à une éthique qui tient compte de la parole, du silence, de l’espace entre les mots qui constituent l’expérience même de l’analysant. Il l’oppose au discours contemporain de la langue normée, des paroles imposées et du calcul, la parole trouée des sujets et des institutions où le vide et le manque ne sont pas forcément destructeurs mais des espaces de création. Guy Dana nous invite au fond à réfléchir en cliniciens à partir d’une politique de la folie, c’est-à-dire d’une organisation de l’espace et du temps dans la cité qui puisse faire trame d’une véritable thérapeutique des psychoses. Car la psychose est l’axe central qui troue le discours humain. Il s’agit de réfléchir en quoi les dispositifs du «  secteur » peuvent opérer comme une architecture trouée, liant des espaces hétérogènes, mettant au travail une pluralité des offres de subjectivation. De l’Hôpital au CATTP, du CMP à l’accueil hôtelier les lieux, traversés selon une certaine temporalité, structurent la grammaire d’un parcours, toujours singulier. Une méthode et une éthique s’en déduisent : c’est la singularité d’un parcours qui est recherchée. Le temps n’est pas celui des protocoles et de la rentabilité immédiate, mais celui des parcours de vie, et des créations subjectives.

Dans la deuxième partie de la soirée Federico Ossola va mettre l’accent sur la dimension hospitalo-centriste qui rattache la psychiatrie à la logique médicale et à l’immanence du discours de la science dans les pratiques. Ces deux éléments critiques vont apporter une ouverture et invitent à interroger le secteur dans ses fondements ; Federico Ossola se soutient du discours analytique pour interroger autrement les nouveaux lieux qui entrent dans le paysage du secteur : Clubs thérapeutiques, Groupes d’entraide mutuelle, etc. qui du coup façonnent l’institution à partir de l’extérieur et qui nous rappellent l’enjeu politique de la psychiatrie de secteur.

Pour finir, je voudrais rappeler ceci, peut-être au fond nous sommes des spécialistes, en anxiété, en risques psycho-sociaux, en stress, en suicide, mais avant tout des acteurs obligés et nécessaires dans des secteurs où la maladie va de pair avec la précarité, la répétition avec la chronicisation, mais cré-acteurs, ouverts et attentifs aux changements, à l’évolution de la psyché de nos patients. Nous n’avons pas à proprement parler des lits, mais nous nous appuyons sur des structures, hors les murs, sur le secteur pour assurer les soins les plus lourds, et la chose la plus lourde qui soit, la vie en société.