Le refus anorexique comme solution à la non-séparation de l’Autre parental
Dario MORALES
Pour cette première soirée nous voulons interroger les « vicissitudes à la puberté » dans le vécu d’une jeune anorexique. La clinique nous apprend que la période pubertaire se caractérise par la transformation, restructuration identificatoire et la poussée pulsionnelle. Dans ce processus, nous avons l’impact des transformations du corps sur le sujet mais en même temps ses résistances à ces transformations. Au fond, la jeune découvre à la fois le fait d’avoir un corps et de ne pas être son corps, de ne pas coïncider avec son corps. La clinique nous ouvre des multiples perspectives, le processus de subjectivation propre au passage adolescent ne conduit pas ici à l’assomption de son choix pulsionnel souhaité, le plus souvent révélateurs des symptômes qui ravagent et divisent le sujet à cet âge, – recours à la drogue, refus d’autorité, échec scolaire, fugues, etc. mais vers son refus, refus radical, comme rejet ou rupture, comme l’illustre parfaitement, l’anorexie où souvent il n’y a ni plainte ni interrogation.
Il s’agit ici des solutions que le sujet produit sans le savoir pour traiter les difficultés insurmontables dans le rapport à l’Autre et qui touchent la sphère de la perte mais aussi les manifestations du désir. Ce n’est donc pas un hasard si la boulimie et l’anorexie se déclenchent surtout pendant la période pubertaire, quand le corps se réérotise et installe le sujet à occuper la position d’adulte. Cette dysharmonie que l’on retrouve dans le rapport de l’adolescent à son corps apparait comme une tentative d’anesthésier la rencontre avec le désir qui traverse son corps. De ce point de vue, l’anorexie se présente comme la réponse à cette dysharmonie insupportable et qui tend à désincorporer la pulsion sexuelle de son orientation vers l’autre, pour la dévier vers la direction autoérotique d’une substance inanimée repérable et contrôlable, la nourriture. Au fond, la clinique découvre l’horreur d’une loi surmoïque sans désir, ou bien un désir détaché de l’Autre qui se transforme en volonté absolue d’auto-domination, tentative de mort du corps pulsionnel.
Au cours de cette première soirée, nous nous intéresserons au début anorexique, à la conjoncture qui déclenche la réponse anorexique et à ce qu’elle nous enseigne sur la prise en charge thérapeutique. Au refus en tant que corps assujetti à la domination de l’Autre, souvent parental et qui s’entête, impuissant, dans une sorte de confusion, malgré l’amour qu’il déverse sur leur fille, à ne pas reconnaître l’espace singulier de sa subjectivité émergente ; il y a ainsi quelque chose de « trop plein » ou « trop lisse », dans l’Autre parental, mère et père, qui ne permet pas de libérer ainsi un espace vide que le sujet devrait occuper sans être rempli par l’investissement excessif des parents sur le plan narcissique. En ce sens, le refus de l’Autre pourrait être vécu comme le refus de pouvoir singulariser l’enfant et pour l’enfant d’assentir à sa singularité d’enfant.
En d’autres termes, les parents dans leur trop plein répondent au sujet en lui administrant scrupuleusement des soins et en lui fournissant les objets de besoin, mais en restant aveugles devant la demande fondamentale qui anime son désir, qui est comme on le sait demande d’amour. Le sujet demande un don qui ne soit pas uniquement un objet de satisfaction mais signe d’amour de l’Autre pour elle. On peut imaginer que l’Autre creuse le malentendu en administrant la « bouillie asphyxiante » – gavage qui sature de ce qu’il a, au lieu d’offrir au sujet ce qu’il n’a pas, son manque, c’est-à-dire l’amour.