Stéphane AMAR
Le psychologue en soins palliatifs, orienté par la psychanalyse comme le sont la majorité des cliniciens dans ce champ de la médecine, sont invités, on le devinera, à adapter leur pratique, et comme le souligne singulièrement Magalie, faire preuve de créativité pour inventer un cadre se prêtant aux spécificités de ce que je nommerai les cliniques de la péri- mortalité.
Je proposerai dans un premier temps de survoler ces particularités, puis m’attacherai à aborder la question des enjeux de l’annonce de soins palliatifs faite aux proches (pratique dont on peut parfois en déplorer la fréquence et les motifs…)
1. Spécificités d’un accompagnement psychanalytique des cliniques de la périmortalité
Je vous parlerai brièvement des particularités des cliniques de la périmortalité tout du moins du point de vue du clinicien orienté par la psychanalyse. Thème d‘autant plus important qu’un groupe de psychologues au sein de l‘EAPC est en pleine interrogation sur le sujet et que la psychanalyse, fort représentée en France, pourrait avoir une fois de plus à expliciter son rôle, voire à “fonder la preuve“ de son efficacité!
Les spécificités à entendre à un double niveau : Spécificités donc au sein des SP et spécificités de ces cliniques au sein des pratiques psychanalytiques.
– Une clinique centrée sur le corps, en l‘occurrence au plus haut point défaillant et,
question du rapport à l‘autre et du toucher
question des informations parasitantes (émanant du Réel)
– Une clinique sans demande
– Une clinique questionnant la temporalité de diverses manières
– Une clinique multifocale (question des transferts latéraux)
– Une clinique mobilisant des enjeux transféro–contre-transférentiels singuliers et souvent archaïques
– Une clinique qui confronte à la nécessité d‘exhumer la question controversée, pour ne pas dire enterrée par Freud et les psychanalystes (notamment francophones) d’angoisse de mort
– Question des visées du clinicien (conscientes et inconscientes)
écouter? (mais n‘est pas le seul en SP)
faire parler? (idéal/idéologie SP)
soutenir?
élaborer?
donner du sens ?
faire ce qu‘il peut?
fonction symbolique et symbolisante : lutter contre les mouvements de désubjectivation
2. L’annonce dans la relation médecin–proches
Premier à prendre connaissance d’une mauvaise nouvelle, qui lui fait violence, le médecin est soumis au devoir d’information. D’une compétence diagnostique et pronostique, il lui incombe la lourde tâche d’avoir à transmettre le pire. Se pose à lui la question du destinataire de cette information. S’il se réfère aux textes déontologiques et législatifs, il se confronte à un ensemble de contradictions qui le renvoient, seul, à sa propre subjectivité, car au fond il n’est pas de protocole susceptible de répondre à la singularité de chaque cas, ni à celle des implications de cette relation intersubjective.
Quelles qu’en soient les raisons, et elles peuvent être multiples, il est des cas où il se trouve à informer les proches en lieu et place du patient lui–même sur l’absence de perspective de sa guérison.
Parfois, l’annonce aux membres de l’entourage a pour fonction de faire l’économie du malaise que représente l’information du patient lui–même, « parce que c’est moins difficile », nous confiera un médecin. En effet, nous rappelle Freud, « pour ce qui est de la mort d’autrui, l’homme civilisé évite soigneusement de parler de cette éventualité en présence de la personne dont la mort paraît imminente ou proche », ce qui, précise–t–il, n’est pas encore le cas des enfants (1915 b).
Pourtant, l’annonce faite aux proches, quand elle exclut la personne malade, souvent dans le souci de préserver cette dernière, de pacifier sa fin de vie, contribue fréquemment à la rendre plus seule encore. Le récit de la mort d’Ivan Illitch de Tolstoï traduit bien cette rupture de la communication et le cortège de malaise qu’elle provoque.
Les résonances fantasmatiques à cette exclusion dont se trouve frappé le malade peuvent être diverses.
Mme Z., soixante ans, est transférée dans une Unité de Soins Palliatifs où je la rencontre. Elle montre un état d’anxiété diffuse à laquelle elle ne peut associer de représentation si ce n’est une distance inhabituelle de la part de son mari. Ils avaient jusque-là « tout partagé », mais depuis quelque temps, elle le sentait loin. Elle ne comprenait pas pourquoi elle ne pouvait plus rien avaler, sans référence à son cancer de l’estomac, alors qu’elle avait « tant envie de s’en sortir ». Ce qui me frappait était son impossibilité à en dire plus, comme si elle était frappée d’un interdit de savoir. Si l’état général de Mme Z. semblait préoccupant à son arrivée, ce dernier se stabilisa et les semaines se transformèrent en mois. Pendant ce temps, Mr Z. semblait de plus en plus mal à l’aise, espaçant ses visites, confiant ici et là que c’était long, qu’ « il faudrait que ça s’arrête ». Gênés par cette situation, les soignants lui proposèrent de rencontrer le psychologue, ce qu’il accepta. Dès son entrée dans le bureau, Mr Z. cria d’un ton menaçant : « Je vous préviens, ne lui dites rien, elle ne doit pas savoir quoi que ce soit ! » J’apprendrai par la suite que Mr Z. avait insisté auprès du médecin oncologue pour que ce dernier lui précise l’espérance de vie de son épouse. Il avait fini par entendre qu’il s’agissait d’une question de semaines et, voulant lui épargner la violence qu’il avait lui–même ressentie, avait demandé, au médecin de ne pas en dire quoi que ce soit à cette dernière « qui ne supporterait pas ». Mais cette situation de non–dit, sur laquelle s’étaient mis d’accord le médecin et l’époux, allait participer à rompre toute communication dans le couple. L’annonce avait pris valeur de promesse, que le temps démentait.
L’agressivité initiale de l’entretien laissa place au désarroi, Mr Z. ne supportait plus d’avoir cru que son épouse allait mourir, tout en n’arrivant plus à espérer qu’elle puisse vivre encore. C’est à cette attente insupportable de la mort de Mme Z., temps suspendu, mortifié, que le vœu de mort, à peine formulable, semblait pouvoir mettre un terme : « Je n’arrive plus à la
regarder… Vous vous rendez compte, j’en arrive à me dire qu’il faudrait que ça s’arrête ! » Ce temps de vie, au–delà du pronostic, avait interdit tout investissement.
C’est ici d’une mort symbolique précédant la mort réelle, qui caractérise le « deuil anticipé », dont il est question. Le savoir sur la mort prochaine d’un être cher entraîne immanquablement des modifications dans le rapport à l’autre, malade : attitudes en faux–self, fausses réassurances, évitements seront fréquemment rencontrées (M. Ruszniewski, 1995). L’annonce d’une mort prochaine instaure une attente insupportable. S’il est habituel d’attendre une naissance, il n’est pas d’équivalence dans l’attente de la mort. L’attente d’une naissance peut générer des émotions à tonalité anxieuse, mais ces dernières trouvent une limite dans le caractère joyeux de la nouvelle, tout comme dans le fait que cette attente est circonscrite, bornée par une échéance maximum. Or, il n’en est pas autant du moment de la mort, par nature imprévisible.
Lorsque la mort n’arrive pas, agressivité et demandes d’euthanasie ne sont pas rares, traduisant la conflictualisation que l’épreuve du réel actualise sur la scène psychique : amour/haine, désir de vie/désir de mort, principe de plaisir/principe de réalité…
Ailleurs, c’est la réactivation d’un autre scénario fantasmatique, non sans évoquer la scène primitive, qu’évoque la situation. En effet, nous pouvons trouver là une analogie avec la scène originaire qui, rappelons–le, se caractérise par le fantasme d’une agression du père sur la mère, dont l’enfant est exclu, et qui est de nature à provoquer chez ce dernier une excitation sexuelle, en même temps qu’elle participe à l’émergence de l’angoisse de castration. Car il ne faudrait pas négliger la dimension de séduction que comporte le partage d’un savoir sur l’énigme, en l’occurrence de la mort, y compris dans ses versants traumatogènes.
C’est en effet tout autant le contenu de l’information que la violence ressentie d’avoir été informée que Mme G. cherchera à masquer à son époux malade : « Je ne peux pas lui dire qu’il va mourir, et encore moins ce que m’a fait ce médecin… Vous vous rendez compte, m’assener ça, à moi… Je ne m’attendais pas à ce qu’il me dise de but en blanc que mon mari était perdu ! Comment vais–je aller le voir maintenant ? » Parallèlement, Mr G. suspectera son épouse de « manigancer des trucs avec le toubib dans son dos, des trucs pas clairs » : « Je vois bien qu’elle est bizarre, elle a les yeux fuyants…! Jamais eu confiance en eux ! » Nous saurons que ce « eux » désignait les médecins, et que c’était la profession de son père.
Il est fréquent de constater en effet que la personne malade se trouve dans la position symbolique de l’enfant mis à l’écart du savoir portant sur l’énigme, non ici du sexuel, mais de la mort, et à qui on donne « soit une réponse évasive soit une réprimande pour son désir de savoir » (S. Freud, 1908).
Freud, dès 1907, dans une lettre ouverte, dénonce les réponses, et plus exactement les non- réponses, données aux enfants vis-à-vis du sexuel, soulignant que « l’intérêt intellectuel de l’enfant pour les énigmes de la vie sexuelle, sa soif de savoir sexuel se manifestent en effet même à un âge étonnamment précoce ». Notons que Freud ne traitera pas ici des interrogations liées à la mort, autre énigme pour l’enfant.
Lorsque l’annonce est faite à un proche, ce dernier se trouve parfois seul devant la tâche de dire… ou de taire, et nous savons à quel point ce « choix » ne peut se départir du jeu de projections–identifications qui préside alors dans la relation entre le malade et ses proches. Si Freud a pu dire, à propos des explications sexuelles données aux enfants, qu’il préfèrerait
« que les parents ne se chargent pas du tout de ces explications », préconisant qu’il en soit de la responsabilité du système éducatif (S. Freud, 1908), ne pouvons–nous pas penser a priori qu’il est souhaitable que l’annonce concernant la fin de vie du patient s’inscrive dans le colloque singulier médecin–malade ?
Devenirs de l’annonce dans le deuil
« La perte de l’objet d’amour est une occasion privilégiée de faire valoir et apparaître l’ambivalence des relations d’amour. » Deuil et mélancolie (1915a)
L’annonce aux proches comporte plus ou moins intentionnellement une incitation à un désinvestissement de la personne malade. Autrement dit, elle est convocation à l’engagement d’un processus de deuil. Face au refus – ou dirions–nous plus justement à l’impossibilité d’y croire – que l’on rencontre à travers des attitudes de déni, souvent partiel, que soutient le clivage du moi, il n’est pas rare de constater chez les professionnels des réactions d’agacement, voire de réitération de l’annonce initiale, dont l’injonction à entendre peut se faire de plus en plus chargée d’agressivité (« Il faut que vous compreniez maintenant qu’il va mourir ! ») Ces contre–attitudes trouvent d’ailleurs souvent une justification dans un souci prophylactique de limiter les risques d’un deuil pathologique.
Or, les effets d’une telle annonce s’inscrivent dans une reconstruction, dans un après–coup.
Il apparaît, en effet, parfois que le destin du deuil peut être co–déterminé par la manière dont l’annonce de fin de vie aura été « entendue », c’est-à-dire la façon dont elle aura participé à réactiver des motions de haine, et plus exactement des vœux de mort à l’égard de la personne malade.
Mme M., 55 ans, que je verrai pendant deux ans dans les suites du décès de sa mère n’aura de cesse de revenir à chaque début de séance sur ce que lui avait annoncé le médecin : «Votre mère doit aller dans un autre service, nous ne pouvons plus rien faire pour elle ! » Pourquoi cette phrase qui revenait en boucle était–elle singulièrement vécue comme un rejet, un aveu de désamour ? Nous comprendrons au bout d’un an et demi que ce qui fut si violent dans cette annonce, outre son caractère abrupt, était l’écho à la haine inconsciente que Mme M. éprouvait à l’endroit de sa mère. Cette dernière l’avait laissée, à cinq ans, quelques semaines chez une nourrice alors qu’elle attendait un enfant, et avait laissé échapper : « Si tu n’es pas d’accord avec l’arrivée de ton petit frère, j’en ai rien à faire! » Cette phrase avait, dans l’après–coup de l’annonce du médecin, résonné avec le fantasme d’avoir été abandonnée, rejetée, laissée à sa peur de mourir de la séparation, dans un autre lieu… Cet aveu de désamour, qu’avait conforté l’arrivée d’un petit frère, avait généré une colère dont Mme M. n’avait pas gardé de souvenir conscient. La levée du refoulement nous éclaira sur ce que contenait de transférentiel la première phrase que me dit Mme M. lors de notre premier entretien : « Qu’allez–vous pouvoir faire de moi ? »
Nous pouvons ainsi être en présence d’un télescopage entre un désir de mort, plus ou moins ancien, et la mort réelle à venir que le médecin annonce. C’est ainsi que la mort annoncée d’une personne aimée prend le sens de la réalisation d’un vœu inconscient jusque-là refoulé. Signification inconsciente d’une annonce que chacun des protagonistes ignore. C’est ainsi que la mise dans la confidence d’un membre de l’entourage, à l’insu de la personne malade, est de nature à susciter des fantasmes d’assassinat, auquel le médecin associerait le proche. Le terme de collusion me semble ici traduire ce qui peut se jouer sur la scène fantasmatique : « Entente secrète en vue de tromper ou de causer un préjudice » (Le Petit Larousse).
Notons à ce titre, que la déontologie médicale visant à assumer la décision d’un arrêt de traitement aux proches soulage bien souvent ces derniers lorsque cela leur est explicité.
C’est donc bien l’ambivalence qui est ici en jeu. C’est en 1915, dans plusieurs textes, que Freud précise la notion d’ambivalence, notion dont il fait le point de départ de la pensée de l’homme primitif confronté à la mort d’un être cher : « Ce qui poussa l’homme primitif à réfléchir, ce ne fut pas l’énigme intellectuelle ni la mort en général, mais ce fut le conflit
affectif qui, pour la première fois, s’éleva dans son âme à la vue d’une personne aimée et, cependant, étrangère et haïe. C’est de ce conflit qu’est née la psychologie. » (1915 b.) Et de préciser : « Devant le cadavre de la personne aimée prirent naissance non seulement la doctrine des âmes, la croyance à l’immortalité, mais aussi, avec le sentiment de culpabilité humaine, qui ne tarda pas à pousser une puissante racine, les premiers commandements moraux », dont le premier est, rappelle–t–il, « tu ne tueras point ».
L’accompagnement des personnes endeuillées confirme bien souvent que cette ambivalence constitue un point de butée majeur au travail de deuil.
D’autres versants peuvent encore être explorés :
Laurence, âgée de 50 ans, a pris rendez–vous avec le psychologue de l’équipe mobile de soins palliatifs de l’hôpital parisien dans lequel avait été suivi son mari. Cette possibilité de me rencontrer lui avait été proposée quelques mois auparavant, comme c’est souvent le cas, au cours d’une rencontre avec des membres de l’équipe mobile du temps de l’une des aggravations de l’état de son époux. Ce dernier, que je n’avais pas moi–même connu, était mort d’un cancer ORL après une année de traitements et d’aléas alors qu‘il avait 53 ans.
Agent immobilier, Laurence est manifestement une femme active et dynamique. Elle
« pensait surmonter la situation seule », mais se rend bien compte qu’elle ne peut plus : elle
« n’arrive plus à faire face », dira-t–elle sur un ton d‘abdication. Elle ne comprend pas pourquoi, elle tenait si bien pendant tous ces moments difficiles de la maladie.
Aux pleurs incoercibles à la moindre pensée liée à son mari s’associe une sensation de fatigue continuelle, ainsi qu’un sentiment de culpabilité qu’elle ne s‘explique pas.
Elle n’a jamais rencontré de psychologue, bien que cela lui ait été conseillé à plusieurs reprises pendant la maladie de Jacques, son mari qui lui en « voyait une lors de ses hospitalisations ». Elle sait bien, me dit-elle, que je ne pourrai rien faire ni rien lui dire, mais cette fois, sur les conseils insistants d’une de ses filles, elle s’est dite qu’elle pouvait au moins essayer…
J’entends à travers la détresse contenue dans son discours un sentiment de culpabilité auquel semble répondre celui de la honte : « Je devrais y arriver quand même ! Je suis une adulte responsable !… (pleurs) mais je n’y arrive pas… J’ai un poids sur le cœur… pourtant, je sais que j’ai fait tout ce que j’ai pu. »
L’entretien se termine et je lui propose de la revoir la semaine suivante, ce qu’elle accepte en soulignant que c’est la première fois qu’elle « peut parler comme cela, aussi spontanément ». La semaine suivante, Laurence parle longuement de son mari, courageux, bon mari, et du couple heureux qu’ils formaient, « un couple basé sur la confiance, le dialogue et beaucoup d’amour réciproque… »
Après un instant de silence : « Je me demande souvent s’il savait…en fait, c’est une question qui m’obsède, j’y pense tout le temps, on se disait tout, et mais ça nous n’avons pas pu en parler ! »
Je l’invite à poursuivre.
« Bien sûr, quand le Docteur M. nous a annoncé qu’il avait un cancer, ça a été dur, mais il nous avait très vite précisé qu’il avait des traitements à proposer. Il avait confiance en mon mari, il l’aimait beaucoup, vous savez, et c’était réciproque ! Donc à cette époque, mon mari était positif, il a été courageux, vous savez ! Il me parlait parfois de ce qu’il vivait, je vous dis, on se faisait confiance ! De temps en temps, il lui arrivait d’ironiser, de tourner les choses à la plaisanterie, mais c’est vrai qu’il voulait s’en sortir, vous savez ! »
« …Et les choses ont changées… ? »
« Oui, après, ça n’a plus été pareil ! »
« …Après… ? »
« Oui, après ! » Fin de la séance.
Lors de la séance suivante, Laurence reprend sur ce moment de rupture à partir duquel elle était restée : « En fait, le docteur M. m’avait appelée, la veille d’un rendez-vous de contrôle de mon mari. Il voulait me voir seule. Il a fallu que je prétexte d’un truc à faire pour m’absenter, il ne fallait pas qu’il se doute de quelque chose… C’est là qu’il m’a donné les résultats : la tumeur progressait et il n’y avait plus rien à faire… Il est gentil ce médecin, vous savez, il est extraordinaire, en tout cas, mon mari l’adorait, ils s’entendaient bien tous les deux !… Ils avaient beaucoup de points communs, d’ailleurs. Je pense qu’il avait raison, mon mari aurait baissé les bras si on lui avait dit. Bon après cet entretien, il a fallu que j’aille faire un tour pour qu’il ne voit pas que j’avais pleuré, il fallait que je reste positive…»
Il m’apparut que la question portant sur le « savoir » de son mari condensait l’annonce de soins palliatifs et le fait qu’elle ait été informée à son insu.
– Peut-être n’était–ce pas simple pour vous, de devoir porter ce savoir… ? » lui proposai–je.
– Non ça allait… et puis c’est vrai, il n’aurait pas supporté !… (silence)… Elle éclate en sanglots puis reprend : c’est vrai, c’était infernal ! Vous vous rendez compte, c’était la première fois que mon mari n’était pas là, à cet entretien… Je crois que dans les temps qui ont suivi, je l’évitais, je ne pouvais plus le regarder, l’écouter me parler… J’avais peur de fondre en larmes, et puis, c’est bizarre…comme si j’étais en face de quelqu’un d’autre, comme si ce n’était plus l’homme que j’aimais… Je sais que le docteur M. a fait au mieux, que c’était mieux comme ça… mais alors… C’était comme s’il était…mort, alors qu’il était bien vivant ! »
« Mort » et « vivant », mort–vivant n’est-ce pas ce qui pourrait le mieux décrire ce que désignerait le terme « mourant », un vivant–déjà-mort? Nous serions ici dans la situation inverse de celle du début du travail de deuil. La clinique du deuil, à l’instar de ce que FREUD a pu dire dans Deuil et mélancolie, nous montre en effet pendant un temps, qu’à la réalité de la perte s’oppose un refus psychique et le maintien des investissements libidinaux de l’objet perdu. Tout ce passe comme si, l’annonce faite à l’épouse avait eu pour effet instantané de geler cet investissement. « Il m’a bien dit qu’il ne pouvait plus rien pour lui…d’ailleurs, depuis, je réalise qu’il était beaucoup plus occupé, beaucoup moins disponible… Je comprends en même temps, il a énormément de patients à s’occuper ! »
Le désinvestissement du patient par son médecin révélant son impuissance donne à l’annonce une dimension de condamnation, atteste d’un déjà mort, tout en teintant l‘annonce faite à l‘épouse d‘une dimension sexuelle. Pour Laurence, l’annonce a fait irruption dans ce couple qui « reposait sur la confiance », en la convoquant dans l‘infidélité imaginaire d‘une complicité substitutive, inavouable. L’information délivrée dans le secret, à l’insu de son mari, allait prendre valeur transgressive. L’insistance à dire comme son mari « aimait » son médecin, leurs « points communs », figurent pour moi comme autant d’indices d’un transfert amoureux de Laurence à l’endroit du docteur M. Elle soulignera d’ailleurs, qu’elle n’a jamais pu le recontacter après la mort de son mari : « J’aurais voulu le remercier pour tout ce qu’il a fait, mais je ne sais pas pourquoi, je n’ai jamais osé ! C’est vrai, c’est gênant non ? Il est tellement occupé. »
Contacter le psychologue de l’équipe mobile du même hôpital s’inscrit comme une formation de compromis : je me trouve être le substitut de ce médecin. Par les « points communs » qui pouvaient exister entre ce médecin et moi (elle m‘appelle « docteur), je me trouvais à mon
tour l’objet d’un transfert amoureux. Surprise de me parler si « spontanément », Laurence re– trouve avec moi, le « dialogue » et « la confiance » perdus, et ce d’autant, que c’est cette fois, à l’insu du médecin. Cela éclaire d’une certaine façon les résistances et le temps qu’elle mit à me parler de cet entretien, seule avec le médecin, comme il peut être difficile d’avouer une faute.
Ainsi cette inhabituelle demande d’approbation qu’elle m’adressa : « Maintenant que je vous ai dit ça…Est-ce que tu…vous pensez que je n’aurais pas du accepter ça de ce médecin… que j’aurais du lui dire ? »
L‘adresse de ce « tu » réprimé n’était-elle pas, à travers moi, Jacques, son époux ?
Une autre lecture pourrait nous orienter vers l’hypothèse d’une identification de Laurence à l’agresseur-médecin. L’annonce d’une mauvaise nouvelle est en effet souvent vécue comme une agression, et le médecin comme son agent. J’étais en effet frappé de ne jamais entendre de critique à l’endroit de ce médecin qui lui avait imposé la violence d‘une information (d’autant plus érotisée qu‘elle était tabou), dans la connivence (tout aussi forcée) de la prescription d‘un interdit de dire à son mari.
La colère contre le médecin pour la violence subie tant par le contenu (interdisant tout espoir de jouissance à venir), que la forme (dimension érotique du secret inavouable à son mari), que du fait des conséquences de cette annonce (rupture de la complicité et sentiment de trahison vis-à-vis de son époux), semble réprimée et/ou faire l’objet d’un retournement en son contraire. Ce qui, du sentiment coupable d’avoir menti, pourrait être imputé, tout au moins pour partie, au médecin, ne peut être assumé en tant que tel.
C’est après que je lui aie livré cette association qu’à la séance suivante émergeront des sentiments hostiles vis-à-vis de son mari. Elle s’est dévouée pour lui tout le temps de sa maladie. Elle avait même arrêté de travailler pendant plusieurs mois pour s’occuper de lui. Il était mort sans rien lui dire. Il était mort alors qu’elle avait confiance en lui, qu’il lui avait dit qu’il s’en sortirait (comme l’avait signifié le médecin au début du traitement). Et voilà qu’il l’avait abandonnée ! Voilà qu’elle devait à présent quitter la maison qu’ils avaient aimée et choisie ensemble ! Bien sûr, elle avait pu espérer furtivement que ça s’arrête…surtout lorsqu’elle avait commencé à voir son mari mort (dans les nombreux cauchemars qu’elle fit après l’annonce). Elle aurait tant voulu lui dire, se soulager de ce poids, de ce mensonge ultime…
Il faudra près d‘une année, au cours de laquelle nos entretiens se poursuivirent à un rythme hebdomadaire, pour que se dénoue les résonances fantasmatiques de ce savoir encombrant. Si Laurence ponctuait les propos qu‘elle m‘adressait d‘un « vous savez » au début de nos rencontres, ce n‘était pas comme j‘avais alors pu l’appréhender comme un de ces fréquents tics verbaux qui caractérisent tout un chacun. Cette expression allait dévoiler au fil de son discours une dimension transférentielle dans laquelle le savoir se trouvait dotée d‘une charge érotique à laquelle la pensée magique infantile troublant les frontières entre le penser et l‘agir entretenait une dimension transgressive.
S’il n’est de positionnement idéal, il n’en demeure pas moins que l’annonce ne se limite pas, dans ses imprévisibles sillages, à ce qu’elle prétend dire. Si l’annonce ne peut s’entendre que comme co–construction, ce qui est vrai pour la relation duelle médecin–malade, l’est d’autant plus lorsque se trouve impliqué l’entourage. L’expérience ten
Le psychologue en soins palliatifs : l’annonce aux proches
Stéphane AMAR
Le psychologue en soins palliatifs, orienté par la psychanalyse comme le sont la majorité des cliniciens dans ce champ de la médecine, sont invités, on le devinera, à adapter leur pratique, et comme le souligne singulièrement Magalie, faire preuve de créativité pour inventer un cadre se prêtant aux spécificités de ce que je nommerai les cliniques de la péri- mortalité.
Je proposerai dans un premier temps de survoler ces particularités, puis m’attacherai à aborder la question des enjeux de l’annonce de soins palliatifs faite aux proches (pratique dont on peut parfois en déplorer la fréquence et les motifs…)
1. Spécificités d’un accompagnement psychanalytique des cliniques de la périmortalité
Je vous parlerai brièvement des particularités des cliniques de la périmortalité tout du moins du point de vue du clinicien orienté par la psychanalyse. Thème d‘autant plus important qu’un groupe de psychologues au sein de l‘EAPC est en pleine interrogation sur le sujet et que la psychanalyse, fort représentée en France, pourrait avoir une fois de plus à expliciter son rôle, voire à “fonder la preuve“ de son efficacité!
Les spécificités à entendre à un double niveau : Spécificités donc au sein des SP et spécificités de ces cliniques au sein des pratiques psychanalytiques.
– Une clinique centrée sur le corps, en l‘occurrence au plus haut point défaillant et,
question du rapport à l‘autre et du toucher
question des informations parasitantes (émanant du Réel)
– Une clinique sans demande
– Une clinique questionnant la temporalité de diverses manières
– Une clinique multifocale (question des transferts latéraux)
– Une clinique mobilisant des enjeux transféro–contre-transférentiels singuliers et souvent archaïques
– Une clinique qui confronte à la nécessité d‘exhumer la question controversée, pour ne pas dire enterrée par Freud et les psychanalystes (notamment francophones) d’angoisse de mort
– Question des visées du clinicien (conscientes et inconscientes)
écouter? (mais n‘est pas le seul en SP)
faire parler? (idéal/idéologie SP)
soutenir?
élaborer?
donner du sens ?
faire ce qu‘il peut?
fonction symbolique et symbolisante : lutter contre les mouvements de désubjectivation
2. L’annonce dans la relation médecin–proches
Premier à prendre connaissance d’une mauvaise nouvelle, qui lui fait violence, le médecin est soumis au devoir d’information. D’une compétence diagnostique et pronostique, il lui incombe la lourde tâche d’avoir à transmettre le pire. Se pose à lui la question du destinataire de cette information. S’il se réfère aux textes déontologiques et législatifs, il se confronte à un ensemble de contradictions qui le renvoient, seul, à sa propre subjectivité, car au fond il n’est pas de protocole susceptible de répondre à la singularité de chaque cas, ni à celle des implications de cette relation intersubjective.
Quelles qu’en soient les raisons, et elles peuvent être multiples, il est des cas où il se trouve à informer les proches en lieu et place du patient lui–même sur l’absence de perspective de sa guérison.
Parfois, l’annonce aux membres de l’entourage a pour fonction de faire l’économie du malaise que représente l’information du patient lui–même, « parce que c’est moins difficile », nous confiera un médecin. En effet, nous rappelle Freud, « pour ce qui est de la mort d’autrui, l’homme civilisé évite soigneusement de parler de cette éventualité en présence de la personne dont la mort paraît imminente ou proche », ce qui, précise–t–il, n’est pas encore le cas des enfants (1915 b).
Pourtant, l’annonce faite aux proches, quand elle exclut la personne malade, souvent dans le souci de préserver cette dernière, de pacifier sa fin de vie, contribue fréquemment à la rendre plus seule encore. Le récit de la mort d’Ivan Illitch de Tolstoï traduit bien cette rupture de la communication et le cortège de malaise qu’elle provoque.
Les résonances fantasmatiques à cette exclusion dont se trouve frappé le malade peuvent être diverses.
Mme Z., soixante ans, est transférée dans une Unité de Soins Palliatifs où je la rencontre. Elle montre un état d’anxiété diffuse à laquelle elle ne peut associer de représentation si ce n’est une distance inhabituelle de la part de son mari. Ils avaient jusque-là « tout partagé », mais depuis quelque temps, elle le sentait loin. Elle ne comprenait pas pourquoi elle ne pouvait plus rien avaler, sans référence à son cancer de l’estomac, alors qu’elle avait « tant envie de s’en sortir ». Ce qui me frappait était son impossibilité à en dire plus, comme si elle était frappée d’un interdit de savoir. Si l’état général de Mme Z. semblait préoccupant à son arrivée, ce dernier se stabilisa et les semaines se transformèrent en mois. Pendant ce temps, Mr Z. semblait de plus en plus mal à l’aise, espaçant ses visites, confiant ici et là que c’était long, qu’ « il faudrait que ça s’arrête ». Gênés par cette situation, les soignants lui proposèrent de rencontrer le psychologue, ce qu’il accepta. Dès son entrée dans le bureau, Mr Z. cria d’un ton menaçant : « Je vous préviens, ne lui dites rien, elle ne doit pas savoir quoi que ce soit ! » J’apprendrai par la suite que Mr Z. avait insisté auprès du médecin oncologue pour que ce dernier lui précise l’espérance de vie de son épouse. Il avait fini par entendre qu’il s’agissait d’une question de semaines et, voulant lui épargner la violence qu’il avait lui–même ressentie, avait demandé, au médecin de ne pas en dire quoi que ce soit à cette dernière « qui ne supporterait pas ». Mais cette situation de non–dit, sur laquelle s’étaient mis d’accord le médecin et l’époux, allait participer à rompre toute communication dans le couple. L’annonce avait pris valeur de promesse, que le temps démentait.
L’agressivité initiale de l’entretien laissa place au désarroi, Mr Z. ne supportait plus d’avoir cru que son épouse allait mourir, tout en n’arrivant plus à espérer qu’elle puisse vivre encore. C’est à cette attente insupportable de la mort de Mme Z., temps suspendu, mortifié, que le vœu de mort, à peine formulable, semblait pouvoir mettre un terme : « Je n’arrive plus à la
regarder… Vous vous rendez compte, j’en arrive à me dire qu’il faudrait que ça s’arrête ! » Ce temps de vie, au–delà du pronostic, avait interdit tout investissement.
C’est ici d’une mort symbolique précédant la mort réelle, qui caractérise le « deuil anticipé », dont il est question. Le savoir sur la mort prochaine d’un être cher entraîne immanquablement des modifications dans le rapport à l’autre, malade : attitudes en faux–self, fausses réassurances, évitements seront fréquemment rencontrées (M. Ruszniewski, 1995). L’annonce d’une mort prochaine instaure une attente insupportable. S’il est habituel d’attendre une naissance, il n’est pas d’équivalence dans l’attente de la mort. L’attente d’une naissance peut générer des émotions à tonalité anxieuse, mais ces dernières trouvent une limite dans le caractère joyeux de la nouvelle, tout comme dans le fait que cette attente est circonscrite, bornée par une échéance maximum. Or, il n’en est pas autant du moment de la mort, par nature imprévisible.
Lorsque la mort n’arrive pas, agressivité et demandes d’euthanasie ne sont pas rares, traduisant la conflictualisation que l’épreuve du réel actualise sur la scène psychique : amour/haine, désir de vie/désir de mort, principe de plaisir/principe de réalité…
Ailleurs, c’est la réactivation d’un autre scénario fantasmatique, non sans évoquer la scène primitive, qu’évoque la situation. En effet, nous pouvons trouver là une analogie avec la scène originaire qui, rappelons–le, se caractérise par le fantasme d’une agression du père sur la mère, dont l’enfant est exclu, et qui est de nature à provoquer chez ce dernier une excitation sexuelle, en même temps qu’elle participe à l’émergence de l’angoisse de castration. Car il ne faudrait pas négliger la dimension de séduction que comporte le partage d’un savoir sur l’énigme, en l’occurrence de la mort, y compris dans ses versants traumatogènes.
C’est en effet tout autant le contenu de l’information que la violence ressentie d’avoir été informée que Mme G. cherchera à masquer à son époux malade : « Je ne peux pas lui dire qu’il va mourir, et encore moins ce que m’a fait ce médecin… Vous vous rendez compte, m’assener ça, à moi… Je ne m’attendais pas à ce qu’il me dise de but en blanc que mon mari était perdu ! Comment vais–je aller le voir maintenant ? » Parallèlement, Mr G. suspectera son épouse de « manigancer des trucs avec le toubib dans son dos, des trucs pas clairs » : « Je vois bien qu’elle est bizarre, elle a les yeux fuyants…! Jamais eu confiance en eux ! » Nous saurons que ce « eux » désignait les médecins, et que c’était la profession de son père.
Il est fréquent de constater en effet que la personne malade se trouve dans la position symbolique de l’enfant mis à l’écart du savoir portant sur l’énigme, non ici du sexuel, mais de la mort, et à qui on donne « soit une réponse évasive soit une réprimande pour son désir de savoir » (S. Freud, 1908).
Freud, dès 1907, dans une lettre ouverte, dénonce les réponses, et plus exactement les non- réponses, données aux enfants vis-à-vis du sexuel, soulignant que « l’intérêt intellectuel de l’enfant pour les énigmes de la vie sexuelle, sa soif de savoir sexuel se manifestent en effet même à un âge étonnamment précoce ». Notons que Freud ne traitera pas ici des interrogations liées à la mort, autre énigme pour l’enfant.
Lorsque l’annonce est faite à un proche, ce dernier se trouve parfois seul devant la tâche de dire… ou de taire, et nous savons à quel point ce « choix » ne peut se départir du jeu de projections–identifications qui préside alors dans la relation entre le malade et ses proches. Si Freud a pu dire, à propos des explications sexuelles données aux enfants, qu’il préfèrerait
« que les parents ne se chargent pas du tout de ces explications », préconisant qu’il en soit de la responsabilité du système éducatif (S. Freud, 1908), ne pouvons–nous pas penser a priori qu’il est souhaitable que l’annonce concernant la fin de vie du patient s’inscrive dans le colloque singulier médecin–malade ?
Devenirs de l’annonce dans le deuil
« La perte de l’objet d’amour est une occasion privilégiée de faire valoir et apparaître l’ambivalence des relations d’amour. » Deuil et mélancolie (1915a)
L’annonce aux proches comporte plus ou moins intentionnellement une incitation à un désinvestissement de la personne malade. Autrement dit, elle est convocation à l’engagement d’un processus de deuil. Face au refus – ou dirions–nous plus justement à l’impossibilité d’y croire – que l’on rencontre à travers des attitudes de déni, souvent partiel, que soutient le clivage du moi, il n’est pas rare de constater chez les professionnels des réactions d’agacement, voire de réitération de l’annonce initiale, dont l’injonction à entendre peut se faire de plus en plus chargée d’agressivité (« Il faut que vous compreniez maintenant qu’il va mourir ! ») Ces contre–attitudes trouvent d’ailleurs souvent une justification dans un souci prophylactique de limiter les risques d’un deuil pathologique.
Or, les effets d’une telle annonce s’inscrivent dans une reconstruction, dans un après–coup.
Il apparaît, en effet, parfois que le destin du deuil peut être co–déterminé par la manière dont l’annonce de fin de vie aura été « entendue », c’est-à-dire la façon dont elle aura participé à réactiver des motions de haine, et plus exactement des vœux de mort à l’égard de la personne malade.
Mme M., 55 ans, que je verrai pendant deux ans dans les suites du décès de sa mère n’aura de cesse de revenir à chaque début de séance sur ce que lui avait annoncé le médecin : «Votre mère doit aller dans un autre service, nous ne pouvons plus rien faire pour elle ! » Pourquoi cette phrase qui revenait en boucle était–elle singulièrement vécue comme un rejet, un aveu de désamour ? Nous comprendrons au bout d’un an et demi que ce qui fut si violent dans cette annonce, outre son caractère abrupt, était l’écho à la haine inconsciente que Mme M. éprouvait à l’endroit de sa mère. Cette dernière l’avait laissée, à cinq ans, quelques semaines chez une nourrice alors qu’elle attendait un enfant, et avait laissé échapper : « Si tu n’es pas d’accord avec l’arrivée de ton petit frère, j’en ai rien à faire! » Cette phrase avait, dans l’après–coup de l’annonce du médecin, résonné avec le fantasme d’avoir été abandonnée, rejetée, laissée à sa peur de mourir de la séparation, dans un autre lieu… Cet aveu de désamour, qu’avait conforté l’arrivée d’un petit frère, avait généré une colère dont Mme M. n’avait pas gardé de souvenir conscient. La levée du refoulement nous éclaira sur ce que contenait de transférentiel la première phrase que me dit Mme M. lors de notre premier entretien : « Qu’allez–vous pouvoir faire de moi ? »
Nous pouvons ainsi être en présence d’un télescopage entre un désir de mort, plus ou moins ancien, et la mort réelle à venir que le médecin annonce. C’est ainsi que la mort annoncée d’une personne aimée prend le sens de la réalisation d’un vœu inconscient jusque-là refoulé. Signification inconsciente d’une annonce que chacun des protagonistes ignore. C’est ainsi que la mise dans la confidence d’un membre de l’entourage, à l’insu de la personne malade, est de nature à susciter des fantasmes d’assassinat, auquel le médecin associerait le proche. Le terme de collusion me semble ici traduire ce qui peut se jouer sur la scène fantasmatique : « Entente secrète en vue de tromper ou de causer un préjudice » (Le Petit Larousse).
Notons à ce titre, que la déontologie médicale visant à assumer la décision d’un arrêt de traitement aux proches soulage bien souvent ces derniers lorsque cela leur est explicité.
C’est donc bien l’ambivalence qui est ici en jeu. C’est en 1915, dans plusieurs textes, que Freud précise la notion d’ambivalence, notion dont il fait le point de départ de la pensée de l’homme primitif confronté à la mort d’un être cher : « Ce qui poussa l’homme primitif à réfléchir, ce ne fut pas l’énigme intellectuelle ni la mort en général, mais ce fut le conflit
affectif qui, pour la première fois, s’éleva dans son âme à la vue d’une personne aimée et, cependant, étrangère et haïe. C’est de ce conflit qu’est née la psychologie. » (1915 b.) Et de préciser : « Devant le cadavre de la personne aimée prirent naissance non seulement la doctrine des âmes, la croyance à l’immortalité, mais aussi, avec le sentiment de culpabilité humaine, qui ne tarda pas à pousser une puissante racine, les premiers commandements moraux », dont le premier est, rappelle–t–il, « tu ne tueras point ».
L’accompagnement des personnes endeuillées confirme bien souvent que cette ambivalence constitue un point de butée majeur au travail de deuil.
D’autres versants peuvent encore être explorés :
Laurence, âgée de 50 ans, a pris rendez–vous avec le psychologue de l’équipe mobile de soins palliatifs de l’hôpital parisien dans lequel avait été suivi son mari. Cette possibilité de me rencontrer lui avait été proposée quelques mois auparavant, comme c’est souvent le cas, au cours d’une rencontre avec des membres de l’équipe mobile du temps de l’une des aggravations de l’état de son époux. Ce dernier, que je n’avais pas moi–même connu, était mort d’un cancer ORL après une année de traitements et d’aléas alors qu‘il avait 53 ans.
Agent immobilier, Laurence est manifestement une femme active et dynamique. Elle
« pensait surmonter la situation seule », mais se rend bien compte qu’elle ne peut plus : elle
« n’arrive plus à faire face », dira-t–elle sur un ton d‘abdication. Elle ne comprend pas pourquoi, elle tenait si bien pendant tous ces moments difficiles de la maladie.
Aux pleurs incoercibles à la moindre pensée liée à son mari s’associe une sensation de fatigue continuelle, ainsi qu’un sentiment de culpabilité qu’elle ne s‘explique pas.
Elle n’a jamais rencontré de psychologue, bien que cela lui ait été conseillé à plusieurs reprises pendant la maladie de Jacques, son mari qui lui en « voyait une lors de ses hospitalisations ». Elle sait bien, me dit-elle, que je ne pourrai rien faire ni rien lui dire, mais cette fois, sur les conseils insistants d’une de ses filles, elle s’est dite qu’elle pouvait au moins essayer…
J’entends à travers la détresse contenue dans son discours un sentiment de culpabilité auquel semble répondre celui de la honte : « Je devrais y arriver quand même ! Je suis une adulte responsable !… (pleurs) mais je n’y arrive pas… J’ai un poids sur le cœur… pourtant, je sais que j’ai fait tout ce que j’ai pu. »
L’entretien se termine et je lui propose de la revoir la semaine suivante, ce qu’elle accepte en soulignant que c’est la première fois qu’elle « peut parler comme cela, aussi spontanément ». La semaine suivante, Laurence parle longuement de son mari, courageux, bon mari, et du couple heureux qu’ils formaient, « un couple basé sur la confiance, le dialogue et beaucoup d’amour réciproque… »
Après un instant de silence : « Je me demande souvent s’il savait…en fait, c’est une question qui m’obsède, j’y pense tout le temps, on se disait tout, et mais ça nous n’avons pas pu en parler ! »
Je l’invite à poursuivre.
« Bien sûr, quand le Docteur M. nous a annoncé qu’il avait un cancer, ça a été dur, mais il nous avait très vite précisé qu’il avait des traitements à proposer. Il avait confiance en mon mari, il l’aimait beaucoup, vous savez, et c’était réciproque ! Donc à cette époque, mon mari était positif, il a été courageux, vous savez ! Il me parlait parfois de ce qu’il vivait, je vous dis, on se faisait confiance ! De temps en temps, il lui arrivait d’ironiser, de tourner les choses à la plaisanterie, mais c’est vrai qu’il voulait s’en sortir, vous savez ! »
« …Et les choses ont changées… ? »
« Oui, après, ça n’a plus été pareil ! »
« …Après… ? »
« Oui, après ! » Fin de la séance.
Lors de la séance suivante, Laurence reprend sur ce moment de rupture à partir duquel elle était restée : « En fait, le docteur M. m’avait appelée, la veille d’un rendez-vous de contrôle de mon mari. Il voulait me voir seule. Il a fallu que je prétexte d’un truc à faire pour m’absenter, il ne fallait pas qu’il se doute de quelque chose… C’est là qu’il m’a donné les résultats : la tumeur progressait et il n’y avait plus rien à faire… Il est gentil ce médecin, vous savez, il est extraordinaire, en tout cas, mon mari l’adorait, ils s’entendaient bien tous les deux !… Ils avaient beaucoup de points communs, d’ailleurs. Je pense qu’il avait raison, mon mari aurait baissé les bras si on lui avait dit. Bon après cet entretien, il a fallu que j’aille faire un tour pour qu’il ne voit pas que j’avais pleuré, il fallait que je reste positive…»
Il m’apparut que la question portant sur le « savoir » de son mari condensait l’annonce de soins palliatifs et le fait qu’elle ait été informée à son insu.
– Peut-être n’était–ce pas simple pour vous, de devoir porter ce savoir… ? » lui proposai–je.
– Non ça allait… et puis c’est vrai, il n’aurait pas supporté !… (silence)… Elle éclate en sanglots puis reprend : c’est vrai, c’était infernal ! Vous vous rendez compte, c’était la première fois que mon mari n’était pas là, à cet entretien… Je crois que dans les temps qui ont suivi, je l’évitais, je ne pouvais plus le regarder, l’écouter me parler… J’avais peur de fondre en larmes, et puis, c’est bizarre…comme si j’étais en face de quelqu’un d’autre, comme si ce n’était plus l’homme que j’aimais… Je sais que le docteur M. a fait au mieux, que c’était mieux comme ça… mais alors… C’était comme s’il était…mort, alors qu’il était bien vivant ! »
« Mort » et « vivant », mort–vivant n’est-ce pas ce qui pourrait le mieux décrire ce que désignerait le terme « mourant », un vivant–déjà-mort? Nous serions ici dans la situation inverse de celle du début du travail de deuil. La clinique du deuil, à l’instar de ce que FREUD a pu dire dans Deuil et mélancolie, nous montre en effet pendant un temps, qu’à la réalité de la perte s’oppose un refus psychique et le maintien des investissements libidinaux de l’objet perdu. Tout ce passe comme si, l’annonce faite à l’épouse avait eu pour effet instantané de geler cet investissement. « Il m’a bien dit qu’il ne pouvait plus rien pour lui…d’ailleurs, depuis, je réalise qu’il était beaucoup plus occupé, beaucoup moins disponible… Je comprends en même temps, il a énormément de patients à s’occuper ! »
Le désinvestissement du patient par son médecin révélant son impuissance donne à l’annonce une dimension de condamnation, atteste d’un déjà mort, tout en teintant l‘annonce faite à l‘épouse d‘une dimension sexuelle. Pour Laurence, l’annonce a fait irruption dans ce couple qui « reposait sur la confiance », en la convoquant dans l‘infidélité imaginaire d‘une complicité substitutive, inavouable. L’information délivrée dans le secret, à l’insu de son mari, allait prendre valeur transgressive. L’insistance à dire comme son mari « aimait » son médecin, leurs « points communs », figurent pour moi comme autant d’indices d’un transfert amoureux de Laurence à l’endroit du docteur M. Elle soulignera d’ailleurs, qu’elle n’a jamais pu le recontacter après la mort de son mari : « J’aurais voulu le remercier pour tout ce qu’il a fait, mais je ne sais pas pourquoi, je n’ai jamais osé ! C’est vrai, c’est gênant non ? Il est tellement occupé. »
Contacter le psychologue de l’équipe mobile du même hôpital s’inscrit comme une formation de compromis : je me trouve être le substitut de ce médecin. Par les « points communs » qui pouvaient exister entre ce médecin et moi (elle m‘appelle « docteur), je me trouvais à mon
tour l’objet d’un transfert amoureux. Surprise de me parler si « spontanément », Laurence re– trouve avec moi, le « dialogue » et « la confiance » perdus, et ce d’autant, que c’est cette fois, à l’insu du médecin. Cela éclaire d’une certaine façon les résistances et le temps qu’elle mit à me parler de cet entretien, seule avec le médecin, comme il peut être difficile d’avouer une faute.
Ainsi cette inhabituelle demande d’approbation qu’elle m’adressa : « Maintenant que je vous ai dit ça…Est-ce que tu…vous pensez que je n’aurais pas du accepter ça de ce médecin… que j’aurais du lui dire ? »
L‘adresse de ce « tu » réprimé n’était-elle pas, à travers moi, Jacques, son époux ?
Une autre lecture pourrait nous orienter vers l’hypothèse d’une identification de Laurence à l’agresseur-médecin. L’annonce d’une mauvaise nouvelle est en effet souvent vécue comme une agression, et le médecin comme son agent. J’étais en effet frappé de ne jamais entendre de critique à l’endroit de ce médecin qui lui avait imposé la violence d‘une information (d’autant plus érotisée qu‘elle était tabou), dans la connivence (tout aussi forcée) de la prescription d‘un interdit de dire à son mari.
La colère contre le médecin pour la violence subie tant par le contenu (interdisant tout espoir de jouissance à venir), que la forme (dimension érotique du secret inavouable à son mari), que du fait des conséquences de cette annonce (rupture de la complicité et sentiment de trahison vis-à-vis de son époux), semble réprimée et/ou faire l’objet d’un retournement en son contraire. Ce qui, du sentiment coupable d’avoir menti, pourrait être imputé, tout au moins pour partie, au médecin, ne peut être assumé en tant que tel.
C’est après que je lui aie livré cette association qu’à la séance suivante émergeront des sentiments hostiles vis-à-vis de son mari. Elle s’est dévouée pour lui tout le temps de sa maladie. Elle avait même arrêté de travailler pendant plusieurs mois pour s’occuper de lui. Il était mort sans rien lui dire. Il était mort alors qu’elle avait confiance en lui, qu’il lui avait dit qu’il s’en sortirait (comme l’avait signifié le médecin au début du traitement). Et voilà qu’il l’avait abandonnée ! Voilà qu’elle devait à présent quitter la maison qu’ils avaient aimée et choisie ensemble ! Bien sûr, elle avait pu espérer furtivement que ça s’arrête…surtout lorsqu’elle avait commencé à voir son mari mort (dans les nombreux cauchemars qu’elle fit après l’annonce). Elle aurait tant voulu lui dire, se soulager de ce poids, de ce mensonge ultime…
Il faudra près d‘une année, au cours de laquelle nos entretiens se poursuivirent à un rythme hebdomadaire, pour que se dénoue les résonances fantasmatiques de ce savoir encombrant. Si Laurence ponctuait les propos qu‘elle m‘adressait d‘un « vous savez » au début de nos rencontres, ce n‘était pas comme j‘avais alors pu l’appréhender comme un de ces fréquents tics verbaux qui caractérisent tout un chacun. Cette expression allait dévoiler au fil de son discours une dimension transférentielle dans laquelle le savoir se trouvait dotée d‘une charge érotique à laquelle la pensée magique infantile troublant les frontières entre le penser et l‘agir entretenait une dimension transgressive.
S’il n’est de positionnement idéal, il n’en demeure pas moins que l’annonce ne se limite pas, dans ses imprévisibles sillages, à ce qu’elle prétend dire. Si l’annonce ne peut s’entendre que comme co–construction, ce qui est vrai pour la relation duelle médecin–malade, l’est d’autant plus lorsque se trouve impliqué l’entourage. L’expérience tend en effet à montrer que les échanges touchant à la mort des uns et à la perte future des autres ne peuvent se faire que dans l’interaction d’une triangulation s’inscrivant dans une unité sp
Le psychologue en soins palliatifs : l’annonce aux proches
Stéphane AMAR
Le psychologue en soins palliatifs, orienté par la psychanalyse comme le sont la majorité des cliniciens dans ce champ de la médecine, sont invités, on le devinera, à adapter leur pratique, et comme le souligne singulièrement Magalie, faire preuve de créativité pour inventer un cadre se prêtant aux spécificités de ce que je nommerai les cliniques de la péri- mortalité.
Je proposerai dans un premier temps de survoler ces particularités, puis m’attacherai à aborder la question des enjeux de l’annonce de soins palliatifs faite aux proches (pratique dont on peut parfois en déplorer la fréquence et les motifs…)
1. Spécificités d’un accompagnement psychanalytique des cliniques de la périmortalité
Je vous parlerai brièvement des particularités des cliniques de la périmortalité tout du moins du point de vue du clinicien orienté par la psychanalyse. Thème d‘autant plus important qu’un groupe de psychologues au sein de l‘EAPC est en pleine interrogation sur le sujet et que la psychanalyse, fort représentée en France, pourrait avoir une fois de plus à expliciter son rôle, voire à “fonder la preuve“ de son efficacité!
Les spécificités à entendre à un double niveau : Spécificités donc au sein des SP et spécificités de ces cliniques au sein des pratiques psychanalytiques.
– Une clinique centrée sur le corps, en l‘occurrence au plus haut point défaillant et,
question du rapport à l‘autre et du toucher
question des informations parasitantes (émanant du Réel)
– Une clinique sans demande
– Une clinique questionnant la temporalité de diverses manières
– Une clinique multifocale (question des transferts latéraux)
– Une clinique mobilisant des enjeux transféro–contre-transférentiels singuliers et souvent archaïques
– Une clinique qui confronte à la nécessité d‘exhumer la question controversée, pour ne pas dire enterrée par Freud et les psychanalystes (notamment francophones) d’angoisse de mort
– Question des visées du clinicien (conscientes et inconscientes)
écouter? (mais n‘est pas le seul en SP)
faire parler? (idéal/idéologie SP)
soutenir?
élaborer?
donner du sens ?
faire ce qu‘il peut?
fonction symbolique et symbolisante : lutter contre les mouvements de désubjectivation
2. L’annonce dans la relation médecin–proches
Premier à prendre connaissance d’une mauvaise nouvelle, qui lui fait violence, le médecin est soumis au devoir d’information. D’une compétence diagnostique et pronostique, il lui incombe la lourde tâche d’avoir à transmettre le pire. Se pose à lui la question du destinataire de cette information. S’il se réfère aux textes déontologiques et législatifs, il se confronte à un ensemble de contradictions qui le renvoient, seul, à sa propre subjectivité, car au fond il n’est pas de protocole susceptible de répondre à la singularité de chaque cas, ni à celle des implications de cette relation intersubjective.
Quelles qu’en soient les raisons, et elles peuvent être multiples, il est des cas où il se trouve à informer les proches en lieu et place du patient lui–même sur l’absence de perspective de sa guérison.
Parfois, l’annonce aux membres de l’entourage a pour fonction de faire l’économie du malaise que représente l’information du patient lui–même, « parce que c’est moins difficile », nous confiera un médecin. En effet, nous rappelle Freud, « pour ce qui est de la mort d’autrui, l’homme civilisé évite soigneusement de parler de cette éventualité en présence de la personne dont la mort paraît imminente ou proche », ce qui, précise–t–il, n’est pas encore le cas des enfants (1915 b).
Pourtant, l’annonce faite aux proches, quand elle exclut la personne malade, souvent dans le souci de préserver cette dernière, de pacifier sa fin de vie, contribue fréquemment à la rendre plus seule encore. Le récit de la mort d’Ivan Illitch de Tolstoï traduit bien cette rupture de la communication et le cortège de malaise qu’elle provoque.
Les résonances fantasmatiques à cette exclusion dont se trouve frappé le malade peuvent être diverses.
Mme Z., soixante ans, est transférée dans une Unité de Soins Palliatifs où je la rencontre. Elle montre un état d’anxiété diffuse à laquelle elle ne peut associer de représentation si ce n’est une distance inhabituelle de la part de son mari. Ils avaient jusque-là « tout partagé », mais depuis quelque temps, elle le sentait loin. Elle ne comprenait pas pourquoi elle ne pouvait plus rien avaler, sans référence à son cancer de l’estomac, alors qu’elle avait « tant envie de s’en sortir ». Ce qui me frappait était son impossibilité à en dire plus, comme si elle était frappée d’un interdit de savoir. Si l’état général de Mme Z. semblait préoccupant à son arrivée, ce dernier se stabilisa et les semaines se transformèrent en mois. Pendant ce temps, Mr Z. semblait de plus en plus mal à l’aise, espaçant ses visites, confiant ici et là que c’était long, qu’ « il faudrait que ça s’arrête ». Gênés par cette situation, les soignants lui proposèrent de rencontrer le psychologue, ce qu’il accepta. Dès son entrée dans le bureau, Mr Z. cria d’un ton menaçant : « Je vous préviens, ne lui dites rien, elle ne doit pas savoir quoi que ce soit ! » J’apprendrai par la suite que Mr Z. avait insisté auprès du médecin oncologue pour que ce dernier lui précise l’espérance de vie de son épouse. Il avait fini par entendre qu’il s’agissait d’une question de semaines et, voulant lui épargner la violence qu’il avait lui–même ressentie, avait demandé, au médecin de ne pas en dire quoi que ce soit à cette dernière « qui ne supporterait pas ». Mais cette situation de non–dit, sur laquelle s’étaient mis d’accord le médecin et l’époux, allait participer à rompre toute communication dans le couple. L’annonce avait pris valeur de promesse, que le temps démentait.
L’agressivité initiale de l’entretien laissa place au désarroi, Mr Z. ne supportait plus d’avoir cru que son épouse allait mourir, tout en n’arrivant plus à espérer qu’elle puisse vivre encore. C’est à cette attente insupportable de la mort de Mme Z., temps suspendu, mortifié, que le vœu de mort, à peine formulable, semblait pouvoir mettre un terme : « Je n’arrive plus à la
regarder… Vous vous rendez compte, j’en arrive à me dire qu’il faudrait que ça s’arrête ! » Ce temps de vie, au–delà du pronostic, avait interdit tout investissement.
C’est ici d’une mort symbolique précédant la mort réelle, qui caractérise le « deuil anticipé », dont il est question. Le savoir sur la mort prochaine d’un être cher entraîne immanquablement des modifications dans le rapport à l’autre, malade : attitudes en faux–self, fausses réassurances, évitements seront fréquemment rencontrées (M. Ruszniewski, 1995). L’annonce d’une mort prochaine instaure une attente insupportable. S’il est habituel d’attendre une naissance, il n’est pas d’équivalence dans l’attente de la mort. L’attente d’une naissance peut générer des émotions à tonalité anxieuse, mais ces dernières trouvent une limite dans le caractère joyeux de la nouvelle, tout comme dans le fait que cette attente est circonscrite, bornée par une échéance maximum. Or, il n’en est pas autant du moment de la mort, par nature imprévisible.
Lorsque la mort n’arrive pas, agressivité et demandes d’euthanasie ne sont pas rares, traduisant la conflictualisation que l’épreuve du réel actualise sur la scène psychique : amour/haine, désir de vie/désir de mort, principe de plaisir/principe de réalité…
Ailleurs, c’est la réactivation d’un autre scénario fantasmatique, non sans évoquer la scène primitive, qu’évoque la situation. En effet, nous pouvons trouver là une analogie avec la scène originaire qui, rappelons–le, se caractérise par le fantasme d’une agression du père sur la mère, dont l’enfant est exclu, et qui est de nature à provoquer chez ce dernier une excitation sexuelle, en même temps qu’elle participe à l’émergence de l’angoisse de castration. Car il ne faudrait pas négliger la dimension de séduction que comporte le partage d’un savoir sur l’énigme, en l’occurrence de la mort, y compris dans ses versants traumatogènes.
C’est en effet tout autant le contenu de l’information que la violence ressentie d’avoir été informée que Mme G. cherchera à masquer à son époux malade : « Je ne peux pas lui dire qu’il va mourir, et encore moins ce que m’a fait ce médecin… Vous vous rendez compte, m’assener ça, à moi… Je ne m’attendais pas à ce qu’il me dise de but en blanc que mon mari était perdu ! Comment vais–je aller le voir maintenant ? » Parallèlement, Mr G. suspectera son épouse de « manigancer des trucs avec le toubib dans son dos, des trucs pas clairs » : « Je vois bien qu’elle est bizarre, elle a les yeux fuyants…! Jamais eu confiance en eux ! » Nous saurons que ce « eux » désignait les médecins, et que c’était la profession de son père.
Il est fréquent de constater en effet que la personne malade se trouve dans la position symbolique de l’enfant mis à l’écart du savoir portant sur l’énigme, non ici du sexuel, mais de la mort, et à qui on donne « soit une réponse évasive soit une réprimande pour son désir de savoir » (S. Freud, 1908).
Freud, dès 1907, dans une lettre ouverte, dénonce les réponses, et plus exactement les non- réponses, données aux enfants vis-à-vis du sexuel, soulignant que « l’intérêt intellectuel de l’enfant pour les énigmes de la vie sexuelle, sa soif de savoir sexuel se manifestent en effet même à un âge étonnamment précoce ». Notons que Freud ne traitera pas ici des interrogations liées à la mort, autre énigme pour l’enfant.
Lorsque l’annonce est faite à un proche, ce dernier se trouve parfois seul devant la tâche de dire… ou de taire, et nous savons à quel point ce « choix » ne peut se départir du jeu de projections–identifications qui préside alors dans la relation entre le malade et ses proches. Si Freud a pu dire, à propos des explications sexuelles données aux enfants, qu’il préfèrerait
« que les parents ne se chargent pas du tout de ces explications », préconisant qu’il en soit de la responsabilité du système éducatif (S. Freud, 1908), ne pouvons–nous pas penser a priori qu’il est souhaitable que l’annonce concernant la fin de vie du patient s’inscrive dans le colloque singulier médecin–malade ?
Devenirs de l’annonce dans le deuil
« La perte de l’objet d’amour est une occasion privilégiée de faire valoir et apparaître l’ambivalence des relations d’amour. » Deuil et mélancolie (1915a)
L’annonce aux proches comporte plus ou moins intentionnellement une incitation à un désinvestissement de la personne malade. Autrement dit, elle est convocation à l’engagement d’un processus de deuil. Face au refus – ou dirions–nous plus justement à l’impossibilité d’y croire – que l’on rencontre à travers des attitudes de déni, souvent partiel, que soutient le clivage du moi, il n’est pas rare de constater chez les professionnels des réactions d’agacement, voire de réitération de l’annonce initiale, dont l’injonction à entendre peut se faire de plus en plus chargée d’agressivité (« Il faut que vous compreniez maintenant qu’il va mourir ! ») Ces contre–attitudes trouvent d’ailleurs souvent une justification dans un souci prophylactique de limiter les risques d’un deuil pathologique.
Or, les effets d’une telle annonce s’inscrivent dans une reconstruction, dans un après–coup.
Il apparaît, en effet, parfois que le destin du deuil peut être co–déterminé par la manière dont l’annonce de fin de vie aura été « entendue », c’est-à-dire la façon dont elle aura participé à réactiver des motions de haine, et plus exactement des vœux de mort à l’égard de la personne malade.
Mme M., 55 ans, que je verrai pendant deux ans dans les suites du décès de sa mère n’aura de cesse de revenir à chaque début de séance sur ce que lui avait annoncé le médecin : «Votre mère doit aller dans un autre service, nous ne pouvons plus rien faire pour elle ! » Pourquoi cette phrase qui revenait en boucle était–elle singulièrement vécue comme un rejet, un aveu de désamour ? Nous comprendrons au bout d’un an et demi que ce qui fut si violent dans cette annonce, outre son caractère abrupt, était l’écho à la haine inconsciente que Mme M. éprouvait à l’endroit de sa mère. Cette dernière l’avait laissée, à cinq ans, quelques semaines chez une nourrice alors qu’elle attendait un enfant, et avait laissé échapper : « Si tu n’es pas d’accord avec l’arrivée de ton petit frère, j’en ai rien à faire! » Cette phrase avait, dans l’après–coup de l’annonce du médecin, résonné avec le fantasme d’avoir été abandonnée, rejetée, laissée à sa peur de mourir de la séparation, dans un autre lieu… Cet aveu de désamour, qu’avait conforté l’arrivée d’un petit frère, avait généré une colère dont Mme M. n’avait pas gardé de souvenir conscient. La levée du refoulement nous éclaira sur ce que contenait de transférentiel la première phrase que me dit Mme M. lors de notre premier entretien : « Qu’allez–vous pouvoir faire de moi ? »
Nous pouvons ainsi être en présence d’un télescopage entre un désir de mort, plus ou moins ancien, et la mort réelle à venir que le médecin annonce. C’est ainsi que la mort annoncée d’une personne aimée prend le sens de la réalisation d’un vœu inconscient jusque-là refoulé. Signification inconsciente d’une annonce que chacun des protagonistes ignore. C’est ainsi que la mise dans la confidence d’un membre de l’entourage, à l’insu de la personne malade, est de nature à susciter des fantasmes d’assassinat, auquel le médecin associerait le proche. Le terme de collusion me semble ici traduire ce qui peut se jouer sur la scène fantasmatique : « Entente secrète en vue de tromper ou de causer un préjudice » (Le Petit Larousse).
Notons à ce titre, que la déontologie médicale visant à assumer la décision d’un arrêt de traitement aux proches soulage bien souvent ces derniers lorsque cela leur est explicité.
C’est donc bien l’ambivalence qui est ici en jeu. C’est en 1915, dans plusieurs textes, que Freud précise la notion d’ambivalence, notion dont il fait le point de départ de la pensée de l’homme primitif confronté à la mort d’un être cher : « Ce qui poussa l’homme primitif à réfléchir, ce ne fut pas l’énigme intellectuelle ni la mort en général, mais ce fut le conflit
affectif qui, pour la première fois, s’éleva dans son âme à la vue d’une personne aimée et, cependant, étrangère et haïe. C’est de ce conflit qu’est née la psychologie. » (1915 b.) Et de préciser : « Devant le cadavre de la personne aimée prirent naissance non seulement la doctrine des âmes, la croyance à l’immortalité, mais aussi, avec le sentiment de culpabilité humaine, qui ne tarda pas à pousser une puissante racine, les premiers commandements moraux », dont le premier est, rappelle–t–il, « tu ne tueras point ».
L’accompagnement des personnes endeuillées confirme bien souvent que cette ambivalence constitue un point de butée majeur au travail de deuil.
D’autres versants peuvent encore être explorés :
Laurence, âgée de 50 ans, a pris rendez–vous avec le psychologue de l’équipe mobile de soins palliatifs de l’hôpital parisien dans lequel avait été suivi son mari. Cette possibilité de me rencontrer lui avait été proposée quelques mois auparavant, comme c’est souvent le cas, au cours d’une rencontre avec des membres de l’équipe mobile du temps de l’une des aggravations de l’état de son époux. Ce dernier, que je n’avais pas moi–même connu, était mort d’un cancer ORL après une année de traitements et d’aléas alors qu‘il avait 53 ans.
Agent immobilier, Laurence est manifestement une femme active et dynamique. Elle
« pensait surmonter la situation seule », mais se rend bien compte qu’elle ne peut plus : elle
« n’arrive plus à faire face », dira-t–elle sur un ton d‘abdication. Elle ne comprend pas pourquoi, elle tenait si bien pendant tous ces moments difficiles de la maladie.
Aux pleurs incoercibles à la moindre pensée liée à son mari s’associe une sensation de fatigue continuelle, ainsi qu’un sentiment de culpabilité qu’elle ne s‘explique pas.
Elle n’a jamais rencontré de psychologue, bien que cela lui ait été conseillé à plusieurs reprises pendant la maladie de Jacques, son mari qui lui en « voyait une lors de ses hospitalisations ». Elle sait bien, me dit-elle, que je ne pourrai rien faire ni rien lui dire, mais cette fois, sur les conseils insistants d’une de ses filles, elle s’est dite qu’elle pouvait au moins essayer…
J’entends à travers la détresse contenue dans son discours un sentiment de culpabilité auquel semble répondre celui de la honte : « Je devrais y arriver quand même ! Je suis une adulte responsable !… (pleurs) mais je n’y arrive pas… J’ai un poids sur le cœur… pourtant, je sais que j’ai fait tout ce que j’ai pu. »
L’entretien se termine et je lui propose de la revoir la semaine suivante, ce qu’elle accepte en soulignant que c’est la première fois qu’elle « peut parler comme cela, aussi spontanément ». La semaine suivante, Laurence parle longuement de son mari, courageux, bon mari, et du couple heureux qu’ils formaient, « un couple basé sur la confiance, le dialogue et beaucoup d’amour réciproque… »
Après un instant de silence : « Je me demande souvent s’il savait…en fait, c’est une question qui m’obsède, j’y pense tout le temps, on se disait tout, et mais ça nous n’avons pas pu en parler ! »
Je l’invite à poursuivre.
« Bien sûr, quand le Docteur M. nous a annoncé qu’il avait un cancer, ça a été dur, mais il nous avait très vite précisé qu’il avait des traitements à proposer. Il avait confiance en mon mari, il l’aimait beaucoup, vous savez, et c’était réciproque ! Donc à cette époque, mon mari était positif, il a été courageux, vous savez ! Il me parlait parfois de ce qu’il vivait, je vous dis, on se faisait confiance ! De temps en temps, il lui arrivait d’ironiser, de tourner les choses à la plaisanterie, mais c’est vrai qu’il voulait s’en sortir, vous savez ! »
« …Et les choses ont changées… ? »
« Oui, après, ça n’a plus été pareil ! »
« …Après… ? »
« Oui, après ! » Fin de la séance.
Lors de la séance suivante, Laurence reprend sur ce moment de rupture à partir duquel elle était restée : « En fait, le docteur M. m’avait appelée, la veille d’un rendez-vous de contrôle de mon mari. Il voulait me voir seule. Il a fallu que je prétexte d’un truc à faire pour m’absenter, il ne fallait pas qu’il se doute de quelque chose… C’est là qu’il m’a donné les résultats : la tumeur progressait et il n’y avait plus rien à faire… Il est gentil ce médecin, vous savez, il est extraordinaire, en tout cas, mon mari l’adorait, ils s’entendaient bien tous les deux !… Ils avaient beaucoup de points communs, d’ailleurs. Je pense qu’il avait raison, mon mari aurait baissé les bras si on lui avait dit. Bon après cet entretien, il a fallu que j’aille faire un tour pour qu’il ne voit pas que j’avais pleuré, il fallait que je reste positive…»
Il m’apparut que la question portant sur le « savoir » de son mari condensait l’annonce de soins palliatifs et le fait qu’elle ait été informée à son insu.
– Peut-être n’était–ce pas simple pour vous, de devoir porter ce savoir… ? » lui proposai–je.
– Non ça allait… et puis c’est vrai, il n’aurait pas supporté !… (silence)… Elle éclate en sanglots puis reprend : c’est vrai, c’était infernal ! Vous vous rendez compte, c’était la première fois que mon mari n’était pas là, à cet entretien… Je crois que dans les temps qui ont suivi, je l’évitais, je ne pouvais plus le regarder, l’écouter me parler… J’avais peur de fondre en larmes, et puis, c’est bizarre…comme si j’étais en face de quelqu’un d’autre, comme si ce n’était plus l’homme que j’aimais… Je sais que le docteur M. a fait au mieux, que c’était mieux comme ça… mais alors… C’était comme s’il était…mort, alors qu’il était bien vivant ! »
« Mort » et « vivant », mort–vivant n’est-ce pas ce qui pourrait le mieux décrire ce que désignerait le terme « mourant », un vivant–déjà-mort? Nous serions ici dans la situation inverse de celle du début du travail de deuil. La clinique du deuil, à l’instar de ce que FREUD a pu dire dans Deuil et mélancolie, nous montre en effet pendant un temps, qu’à la réalité de la perte s’oppose un refus psychique et le maintien des investissements libidinaux de l’objet perdu. Tout ce passe comme si, l’annonce faite à l’épouse avait eu pour effet instantané de geler cet investissement. « Il m’a bien dit qu’il ne pouvait plus rien pour lui…d’ailleurs, depuis, je réalise qu’il était beaucoup plus occupé, beaucoup moins disponible… Je comprends en même temps, il a énormément de patients à s’occuper ! »
Le désinvestissement du patient par son médecin révélant son impuissance donne à l’annonce une dimension de condamnation, atteste d’un déjà mort, tout en teintant l‘annonce faite à l‘épouse d‘une dimension sexuelle. Pour Laurence, l’annonce a fait irruption dans ce couple qui « reposait sur la confiance », en la convoquant dans l‘infidélité imaginaire d‘une complicité substitutive, inavouable. L’information délivrée dans le secret, à l’insu de son mari, allait prendre valeur transgressive. L’insistance à dire comme son mari « aimait » son médecin, leurs « points communs », figurent pour moi comme autant d’indices d’un transfert amoureux de Laurence à l’endroit du docteur M. Elle soulignera d’ailleurs, qu’elle n’a jamais pu le recontacter après la mort de son mari : « J’aurais voulu le remercier pour tout ce qu’il a fait, mais je ne sais pas pourquoi, je n’ai jamais osé ! C’est vrai, c’est gênant non ? Il est tellement occupé. »
Contacter le psychologue de l’équipe mobile du même hôpital s’inscrit comme une formation de compromis : je me trouve être le substitut de ce médecin. Par les « points communs » qui pouvaient exister entre ce médecin et moi (elle m‘appelle « docteur), je me trouvais à mon
tour l’objet d’un transfert amoureux. Surprise de me parler si « spontanément », Laurence re– trouve avec moi, le « dialogue » et « la confiance » perdus, et ce d’autant, que c’est cette fois, à l’insu du médecin. Cela éclaire d’une certaine façon les résistances et le temps qu’elle mit à me parler de cet entretien, seule avec le médecin, comme il peut être difficile d’avouer une faute.
Ainsi cette inhabituelle demande d’approbation qu’elle m’adressa : « Maintenant que je vous ai dit ça…Est-ce que tu…vous pensez que je n’aurais pas du accepter ça de ce médecin… que j’aurais du lui dire ? »
L‘adresse de ce « tu » réprimé n’était-elle pas, à travers moi, Jacques, son époux ?
Une autre lecture pourrait nous orienter vers l’hypothèse d’une identification de Laurence à l’agresseur-médecin. L’annonce d’une mauvaise nouvelle est en effet souvent vécue comme une agression, et le médecin comme son agent. J’étais en effet frappé de ne jamais entendre de critique à l’endroit de ce médecin qui lui avait imposé la violence d‘une information (d’autant plus érotisée qu‘elle était tabou), dans la connivence (tout aussi forcée) de la prescription d‘un interdit de dire à son mari.
La colère contre le médecin pour la violence subie tant par le contenu (interdisant tout espoir de jouissance à venir), que la forme (dimension érotique du secret inavouable à son mari), que du fait des conséquences de cette annonce (rupture de la complicité et sentiment de trahison vis-à-vis de son époux), semble réprimée et/ou faire l’objet d’un retournement en son contraire. Ce qui, du sentiment coupable d’avoir menti, pourrait être imputé, tout au moins pour partie, au médecin, ne peut être assumé en tant que tel.
C’est après que je lui aie livré cette association qu’à la séance suivante émergeront des sentiments hostiles vis-à-vis de son mari. Elle s’est dévouée pour lui tout le temps de sa maladie. Elle avait même arrêté de travailler pendant plusieurs mois pour s’occuper de lui. Il était mort sans rien lui dire. Il était mort alors qu’elle avait confiance en lui, qu’il lui avait dit qu’il s’en sortirait (comme l’avait signifié le médecin au début du traitement). Et voilà qu’il l’avait abandonnée ! Voilà qu’elle devait à présent quitter la maison qu’ils avaient aimée et choisie ensemble ! Bien sûr, elle avait pu espérer furtivement que ça s’arrête…surtout lorsqu’elle avait commencé à voir son mari mort (dans les nombreux cauchemars qu’elle fit après l’annonce). Elle aurait tant voulu lui dire, se soulager de ce poids, de ce mensonge ultime…
Il faudra près d‘une année, au cours de laquelle nos entretiens se poursuivirent à un rythme hebdomadaire, pour que se dénoue les résonances fantasmatiques de ce savoir encombrant. Si Laurence ponctuait les propos qu‘elle m‘adressait d‘un « vous savez » au début de nos rencontres, ce n‘était pas comme j‘avais alors pu l’appréhender comme un de ces fréquents tics verbaux qui caractérisent tout un chacun. Cette expression allait dévoiler au fil de son discours une dimension transférentielle dans laquelle le savoir se trouvait dotée d‘une charge érotique à laquelle la pensée magique infantile troublant les frontières entre le penser et l‘agir entretenait une dimension transgressive.
S’il n’est de positionnement idéal, il n’en demeure pas moins que l’annonce ne se limite pas, dans ses imprévisibles sillages, à ce qu’elle prétend dire. Si l’annonce ne peut s’entendre que comme co–construction, ce qui est vrai pour la relation duelle médecin–malade, l’est d’autant plus lorsque se trouve impliqué l’entourage. L’expérience tend en effet à montrer que les échanges touchant à la mort des uns et à la perte future des autres ne peuvent se faire que dans l’interaction d’une triangulation s’inscrivant dans une unité spatio–temporelle.
En guise de conclusion
Ces exemples nous montrent combien la complexité du sujet divisé ne saurait se laisser évacuer par les tendances actuelles de la médecine moderne à réduire l’humain à un simple sujet conscient. Il appartient au psychologue de tenir cette position nécessairement subversive, et singulièrement en terrain somatique, pour que puisse être entendu le Sujet.
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En guise de conclusion
Ces exemples nous montrent combien la complexité du sujet divisé ne saurait se laisser évacuer par les tendances actuelles de la médecine moderne à réduire l’humain à un simple sujet conscient. Il appartient au psychologue de tenir cette position nécessairement subversive, et singulièrement en terrain somatique, pour que puisse être entendu le Sujet.
d en effet à montrer que les échanges touchant à la mort des uns et à la perte future des autres ne peuvent se faire que dans l’interaction d’une triangulation s’inscrivant dans une unité spatio–temporelle.
En guise de conclusion
Ces exemples nous montrent combien la complexité du sujet divisé ne saurait se laisser évacuer par les tendances actuelles de la médecine moderne à réduire l’humain à un simple sujet conscient. Il appartient au psychologue de tenir cette position nécessairement subversive, et singulièrement en terrain somatique, pour que puisse être entendu le Sujet.