Dario MORALES
L’acte du crime introduit une autre scène et une nouvelle temporalité. Le passage à l’acte introduit un avant et un après irréversible et il ouvre vers la scène psychique, cause du crime. La question serait de déterminer comment la clinique aborde à partir du réel du passage à l’acte, cette scène, que l’on appelle par commodité « inconsciente », la réalité psychique qui semble être la cause de l’acte, et qui pénalement s’énonce comme le mobile ou le motif.
Inversement, le passage à l’acte ramène la question de la faute (la coulpe) au problème suivant : est-il un levier de l’aveu, de sorte que l’on puisse inférer de celui-ci les raisons psychologiques de son acte ?
Il y a donc deux moments qui nous intéressent : l’acte et ce qui le motive, la raison qui vient de chez l’Autre, la trahison par exemple et qui rencontre le désir inassouvi du sujet, et qui par jalousie, le pousse au meurtre. Inversement, du point de vue pénal la confrontation du sujet à sa faute, pousse à l’aveu – de culpabilité et donc à inférer les raisons qui l’ont poussé à commettre son acte.
Occupons nous d’abord de la causalité de l’acte. Contrairement aux éléments que l’expertise psychiatrique avance habituellement, ce n’est pas tant la confusion mentale qui semble être la cause du passage à l’acte mais quand la psychose est déclarée, l’incapacité à élaborer une suppléance, fut-elle par l’entremise d’une construction délirante, surtout dans les moments mélancoliques ou maniaques. Il s’agit alors de faire advenir une castration symbolique par la soustraction réelle de l’objet. Le sujet peut se sentir encombré par cet objet – par exemple le regard qui vient de l’Autre, et tenter de produire alors une soustraction afin de se libérer de la jouissance délétère dont il se sent encombré. Le crime est paradoxalement vécu à l’après coup comme un apaisement. L’angoisse atteint son paroxysme au moment de l’acte ; la phase qui précède le délire – ou la pensée délirante – va de pair avec une tentative de stabilisation qui tend tragiquement à faire advenir une castration symbolique par la perte réelle de l’objet (maleval pg 62 –Lagouane). Un patient que j’ai reçu pendant une bonne année au SMPR de la Santé, avant son procès, Mr L. raconte que cela n’allait plus avec la mère de sa fille, il se sentait rejeté, trahit, par cette femme qui l’avait aimé, mais suite à son penchant pour l’alcool et lors des violences répétées, elle avait décidé de demander le divorce. Une faille s’ouvre dans le champ symbolique générant beaucoup d’angoisse et de perplexité. Effondré par cette décision il est devenu menaçant, haineux, il la harcèle et des violences physiques lui valent une condamnation avec sursis. Il s’en est suivi une tentative de suicide et une première hospitalisation en psychiatrie pour dépression. Cette période insupportable, est décrite parfaitement en psychiatrie, sous le nom d’incubation de la maladie, période de perplexité. Elle peut plus au moins se prolonger, d’où l’appel selon les cas, à une fonction que nous pouvons appeler symbolique – paternelle – apte à tempérer la jouissance délocalisée. D’où une deuxième période qui s’ouvre. Une pensée, une certitude vient se greffer, il veut absolument garder sa fille âgée de 3 ans auprès de lui, menaçant alors sa femme qui propose jusque là une garde partagée. M. n’en veux pas, malgré la médiation des juges tellement il est persuadé de la faute de sa femme. « Une salope n’a pas le droit de souiller ma fille ». Devant l’impensé de la jouissance de sa femme, il imagine devoir protéger sa fille, il se sent alors plus qu’inquiet, angoissé, il n’arrive plus à travailler, lui chef artisan reconnu de tous. Devant une telle impasse, il perd pied. Une faille insupportable s’ouvre et le captive ne lui accordant plus de repos. L’angoisse atteint son paroxysme un soir, son ex femme lui demande de venir plus tôt chez elle pour qu’il prenne sa fille. Elle doit sortir. Elle est habillée et maquillée, il imagine, un rendez vous galant. La jouissance de l’Autre est ainsi identifiée, il est alors en mesure de pouvoir retrouver une certaine assise, à partir de laquelle il décide. Le père qui surgit de cet ordre est la figure obscène censée mettre fin à la jouissance débridée de sa femme. Il prend la petite dans les bras, il erre dans le quartier ; il se sent vide. Il croit toucher le fond. Mais il est serein. Il trouve une certaine assise. Il se fait acteur de ce qui lui arrive. Il emprunte un pont qui traverse le périphérique. Il porte près de lui sa fille, enveloppée dans un manteau, il la serre fort et il la lâche dans le vide. L’appel à l’ordre est la figure qui met terme à la jouissance débridée de la femme, en portant atteinte à l’objet de la jouissance, ici la petite fille.
Mais pourquoi s’en est-il pris à sa fille ? Au corps de sa fille ? Les liens avec sa femme étaient brisés ; seul restait le corps de l’enfant pour rappeler l’existence de ce lien de jouissance. Depuis sa séparation, il avait l’impression de devoir résoudre un problème, sorte d’énigme dont il ne savait pas comment le poser, plusieurs thèmes apparurent, la haine de l’Autre, l’envie de meurtre, le suicide, et puis au terme la significantisation de la jouissance qui met terme à cette deuxième période , et « si je partais avec ma fille ! ». Ses pensées avaient trop défilé ; un sentiment de perplexité s’étant installé depuis un temps témoignait de la faille du capitonnage dans la chaîne signifiante. Il imaginait sa fille contaminée par la jouissance de son ex femme, et peu à peu une certitude se fait jour ; une signification émerge et bouleverse le sujet. Une pensée étrangère, une jouissance de mort qui l’enjoint à tuer à travers son enfant, l’objet le plus cher de sa femme. Toutes les pensées du coup convergent vers le passage à l’acte sacrificiel, meurtrier et suicidaire. Paradoxalement, il sacrifie sa fille pour punir la jouissance de la femme, mais pour cela il fallait supprimer le signifiant « mère » il se fait alors le législateur meurtrier qui tue par la même occasion le père de la jouissance. Il dira en effet après son acte, je suis mort (maleval pg 152). Le corps de sa fille incarne à ce moment précis de son délire, la jouissance béante devant être tue, qui sépare à jamais Mr L de sa femme, jouissance exposée brutalement lorsque sa femme le quitte pour un autre, du coup, ce corps ne peut être que réduit, détruit, afin d’extirper définitivement cette jouissance de la femme qui menace le sujet. Mais, à la différence de la perversion qui cherche à dégager, à exproprier le corps du signifiant pour libérer la jouissance du corps, il s’agit ici, chez ce sujet psychotique de détruire le signifiant inscrit dans le corps. Cette jouissance de son acte, un peu pacifiée durant la procédure a fait retour et s’est ainsi manifesté avec véhémence et méchanceté lors du procès en cours d’assise dont les jurés n’ont pas cru nécessaire d’atténuer sa peine, il fut condamné à 25 ans de prison. Pour résumer cette ouverture de l’acte sur la scène psychique, on peut le découper en 4 périodes, en première lieu à la perplexité angoissante, deuxième, à la tentative de significantisation de la jouissance de l’Autre, celle de la femme, troisième, identification de la jouissance dans le corps de la fille et quatrième intervention de l’obscénité justicière qui détermine le passage à l’acte. Ces éléments là constituent la trame de ce que l’on pourrait appeler la scène psychique de l’acte dont le mobile sur le plan judiciaire est le corps !corps-cause-v3 copie