Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Le chemin de la subjectivation chez l’enfant

Juan GOMAR

Le corpus théorico-clinique de la psychanalyse pourrait être définit comme l’art qui permet au sujet soit de trouver, soit de retrouver, voire de donner un sens à son chemin par les méandres de la sexualité. Dans le chemin de la subjectivation il s’agira de voir quels sont ces méandres, ces détours mis en place pour l’enfant pour faire face à cette sexualité conçue principalement par la psychanalyse, et notamment par Lacan, comme structurée par un manque.

Dans ce contexte, je vais vous présenter le cas d’un enfant que je suis depuis un peu plus d’un an en CMP à raison d’une fois par semaine. Quelques éléments de l’anamnèse : Il s’agit d’un jeune homme qui à maintenant 8 ans et demi qui est fils unique. Il est en CE2 et a été adressé à la consultation par la psychologue scolaire à cause d’un retrait relationnel à l’école, et de problèmes orthographiques. D’après la psychologue de cet établissement, il aurait un QI au dessus de la moyenne. Il a été suivi également en psychomotricité deux fois par semaine pendant un an et demi. En ce qui concerne le domaine familier, il présente des terreurs nocturnes. Je vais y revenir tout à l’heure.

Le premier jour où je reçois la famille, il vient accompagné seulement par sa mère. Quand je pose la question concernant la présence du père, Madame dit qu’il n’a pas pu venir à cause du travail. Au cours de l’entretien, la mère du jeune homme expose plus amplement les symptômes de son fils, notamment ce qu’on appelle la terreur nocturne. Elle dit que les premiers épisodes ont eu lieu vers la fin du CP, à la suite des vacances passées dans un centre aéré. Ces épisodes se déroulent trois ou quatre nuits de suite puis s’arrêtent pendant quelques semaines puis reprennent à nouveau. Pendant ceux-ci, il crie :   « maman ! » sans s’arrêter et il dit des choses incohérentes. Elle dit aussi que son fils à un rapport sélectif à la nourriture depuis tout petit. Par exemple, il n’aime ni les haricots verts, ni les épinards. Il n’aime pas non plus mélanger les aliments. En revanche, il aime les pâtes et la viande. Il est à remarquer que son père est cuisinier.

Pendant que la mère de Mateo parlait, il lui tourne le dos, comportement qu’il montrera dans un autre entretien. Quand j’invite la mère à sortir, je suis revenu sur son geste pour voir s’il pouvait en dire quelque chose. Il a seulement ajouté «  qu’il ne voulait rien dire avec ce geste ». Je dis « seulement » mais finalement c’est déjà beaucoup dire si nous suivons le texte sur la Verneinung. Dans ce court et dense texte que l’on traduit en français par « négation », Freud nous dit que grâce à ce mécanisme le refoulé peut se frayer un chemin vers le conscient sous peine d’être nié. Il est évident que Mateo en tournant le dos à sa mère quand elle parlait exprime quelque chose qu’il ne peut que nier pour l’instant.

Après ce premier entretien, je propose à la mère de le voir une deuxième fois, puis une fois par semaine, proposition qui est acceptée par ses parents.

J’ai reçu le père pour la première fois un mois après le commencement de la psychothérapie. C’est un Monsieur qui semble angoissé quand je viens chercher son enfant dans la salle d’attente. Cette angoisse s’exprime par la pression qu’il met sur son fils à l’heure de ranger sa D.S. C’est comme s’il ne supportait pas que son fils fasse attendre le psychologue, ne laissant pas à Mateo le temps qu’il lui faut pour ranger ses affaires. Père pressé, père stressé par la présence du psychologue qui viendrait occuper une place Autre, une place tierce. C’est-à-dire une place qui se situe au-delà du partenaire imaginaire, de la dualité, venant introduire par là quelque chose d’extérieur, d’étranger, une différence.

D’une certaine manière, c’est aussi un père qui semble s’identifier à la problématique de son rejeton. Par exemple, quand il dit « que lui aussi a du mal à écrire » ou « qu’on a du mal à écrire » ne sachant pas par ce « On » qui est le père et qui est le fils. Par ce « On », pronom impersonnel, ce père montre aussi son agressivité vis-à-vis son fils, il occulte d’un coup la différence générationnelle et laisse Mateo avec la lourde tache de faire face au désir maternel avec un père qui, d’après ce que je viens de vous dire, semblerait avoir des difficultés pour se positionner en tant que tiers.

Maintenant je veux vous faire part d’un dessin que Mateo avait fait dans une séance et qui à mon avis vient questionner pas mal de choses, comme je vais essayer de vous le montrer. Pour ce dessin, je me suis servi de la technique du squiggle. C’est une technique projective créée par Winnicott qui établit une aire de jeu entre l’enfant et l’analyste. Celui ci fait un gribouillis et demande à l’enfant de le transformer, d’en faire quelque chose. Mateo a complété les traits que j’avais commencé en dessinant deux armoires fermées l’une à côté de l’autre, comme vous le voyez sur l’écran. Quand il finit de dessiner, je me suis dit que dans ce dessin, dans ce signifiant (armoire) il y avait quelque chose d’important pour cet enfant au niveau de ses symptômes, de sa structure.

C’est à cause de cela que je suis revenu à plusieurs reprises sur la représentation. Depuis un moment j’avais remarqué que Mateo avait une forte agressivité latente. Il a pu me frapper gentiment « sans faire exprès ». Une autre modalité d’expression se présente lorsqu’il joue avec la pâte à modeler. Il effectue des mouvements agressifs avec un couteau en plastique qui sont très éloquents. Par exemple, il peut lever son bras jusqu’à derrière sa tête et déclencher le coup rapidement, l’ensemble accompagné d’une mimique accordée avec le mouvement et la tonalité affective.

Plus haut, j’ai fait référence au signifiant « armoire ». J’aurais pu aborder autrement son dessin, mais si j’ai fait le choix de prendre ce dessin au niveau du signifiant, en privilégiant le mot plutôt que l’image, c’est pour deux raisons principalement. La première c’est pour une question théorique. Dans ce sens, Lacan, dans son article sur la subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien, parle du « chemin de la subjectivation par le signifiant » quand il est en train d’expliquer la formation du MOI à partir de l’image spéculaire. Deuxièmement, un des symptômes que présente notre jeune homme est lié à l’écriture, particulièrement à la calligraphie. C’est pour cette raison que quand il finit de dessiner, je lui ai demandé d’écrire ce mot là sur la feuille. Il le fait volontiers au feutre rouge, et en détaché. Il est vrai que Mateo est un enfant qui n’aime pas trop être touché par le corps de l’autre, ne serait ce que pour une poignée de mains. Quand il s’arrêta d’écrire, je vois entre les sons « ar » et « re » « MOI ». Alors je couvre avec mes doigts ces lettres et à ce moment là il sourit et dit « qu’il ne se trouve pas joli » surtout ses cheveux et sa tête, « le reste du corps oui ».C’est intéressant ce qu’il dit à ce moment là parce que calligraphie provient des radicaux grecs κάλλος (kállos, « beau ») et γραφεĩν (grapheîn, « écrire »). C’est comme si l’écriture était une projection de l’image qu’il semble avoir de son corps.

Le fait d’employer l’adjectif « joli » nous mettrait peut être sur la piste d’une Œdipe inversé puisque cet adjectif qualificatif  est employé principalement pour décrire la beauté des filles plutôt que celle des garçons. En tout cas, cette question de la féminité ou de la masculinité est une question qui le travaille et qu’il a pu exprimer autrement au cours des séances. Par exemple, il a pu dire que les nombres pairs  « c’est des nombres filles » et les nombres impairs « c’est des nombres garçons ». Il rigole quand je lui fais écrire « pairs » et « père ».

Pour revenir aux armoires, je ne sais pas si vous le savez mais cet endroit était le lieu où l’on gardait les armes. Ce parfum belliqueux a été confirmé davantage par un lapsus énoncé par Mateo quand je lui ai demandé ce que faisaient les armoires. Je lui ai posé cette question parce qu’il avait répondu par oui quand je lui ai demandé si l’on pouvait penser qu’il s’agissait d’une armoire adulte et d’une armoire enfant. Alors il a répondu « ils se bagarrent » au lieu « ils se baladent ». Donc nous avons « armoire » ou un Moi en armes qui vient illustrer la tension agressive propres du registre imaginaire. Dans une autre séance, j’ai de nouveau essayé d’avoir plus d’éléments sur le dessin. Il a pu dire que « dans l’armoire petite il y a des piles chargées et déchargées » et que dans la grande armoire il y avait « des vêtements de filles et de garçons ». Comme Mateo l’exprime très bien par lui même, la question de fille et garçon, de grand et de petit, de père et fils, de mère et fils, bref la différence générationnelle et de sexe est aussi posée dans le dessin. J’ai appris par ailleurs, qu’en français l’on appelle armoiries l’ensemble de divises, signes et ornements de l’écu d’un état, d’une ville ou d’une famille, posant par là également la question de la filiation.

Mateo à maintes occasions a pu se lever et faire comme s’il défonçait la porte du placard qui se trouve dans mon bureau. Il a pu associer « avoir la clef » avec « avoir les boules ». Précisément, il y a quelque chose autour de la clef, d’une clef. Un jour, il a exprimé que la clef est sous une Mygale et qu’il attend qu’elle parte. Mise à part la position passive de Mateo, cette représentation inquiétante d’une araignée qui porte sous ses pattes une clef me semble très intéressante. L’araignée est un animal qui fait peur aux enfants, peut être parce qu’elle viendrait représenter l’altérité de l’Autre, son étrangeté. La clef pourrait être une figure métaphorique du phallus gardé d’une manière redoutable par l’Autre. La psychanalyse se pose la question de savoir qui a le phallus. Cet objet cause du désir, signifiant du désir est attribué par l’enfant dans un premier temps à la mère. Peut être que la Mygale est une représentation archaïque que Mateo se fait de l’Autre maternel.

Je ne voudrais pas finir sans commenter aussi un rêve que notre jeune homme avait livré et qui à mon avis est lié aussi à une problématique phallique. Voici ce que dit l’enfant : « j’ai rêvé que j’allais chez mon oncle et je devais prendre un train et ça me faisait peur ». Dans ce rêve nous ne savons pas s’il a peur d’aller chez son oncle ou de monter dans le train, de prendre le train. Nous voyons aussi que dans oncle il y a le son « cle». De la même manière qu’il attend que l’araignée parte pour avoir la clef, il a peut être également peur de prendre le train. Nous voyons que dans les deux exemples, l’un autour d’une clef et l’autre autour d’un train, cet enfant vient nous indiquer l’embarras dans lequel il se trouve vis-à-vis du phallus. Il a aussi des difficultés a prendre la parole, il parle peu ou quand il parle il le fait sur un mode soit indéfini, « quelqu’un » soit probable « peut être », soit par la négation « je ne sais pas ». Il serait intéressant de se demander pourquoi Mateo a « peur » de prendre le train. Je vous propose l’hypothèse suivante : si Mateo a peur de prendre le train c’est peut être parce que le fait de prendre le train le mettrait face au manque maternel, donc en face de la castration. Avec sa position d’attente et de peur, il est probable qu’il s’épargne ce risque là. Risque qu’il semble mieux gérer après un an de travail puisque il a réussi à ouvrir cette armoire qui au début était fermée. Il a pu également, d’après ses parents, se montrer plus à l’aise en public et réussir son année scolaire.

En guise de conclusion, il me semble que Mateo, dans le chemin de sa subjectivation, se trouve à la gare de la castration. Cet arrêt avec celui de l’intégration de l’image spéculaire et de la mise en place du fantasme constitueraient les trois stations principales dans l’itinéraire du dit chemin qui, peut être, feront l’objet d’une autre journée d’étude à l’APCOF.