Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

La remémoration dans la cure comme expérience qui jugule la répétition

Dario MORALES

En mettant en avant la vie psychique comme soumise au pouvoir de répétition pulsionnelle, Freud met la répétition au cœur du dispositif analytique. Mais en même temps une autre forme de répétition devrait pouvoir amener le sujet à une expérience capable d’effacer la force pulsionnelle, celle, destructrice, démoniaque que Freud a appelée, la pulsion de mort. Pour Freud, la modalité de répétition capable de guérir le sujet de l’inertie et de la jouissance des fantasmes est la remémoration, sorte de répétition provoquée à l’épreuve du transfert dont l’effet thérapeutique vient de l’historicisation des événements traumatiques que qui, jusque-là, n’avaient trouvé d’espace de manifestation que sous la forme de symptômes, des inhibitions ou de l’angoisse. La remémoration serait donc capable de guérir, les blessures du passé. La guérison viendrait de la suppression du négatif produite par le pouvoir de symbolisation pouvant résorber la répétition dans le symbolique. On interrogera ici, la mise en œuvre via le transfert, des processus d’élaboration, de remémoration ; un patient, répétait sans cesse, « je ne me souviens de rien », trois incarcérations pour des faits de pédophilie balayées par cette phrase dont l’énigme résonne encore chez lui par l’absence de trace signifiante face à cette jouissance non jugulée. Il a fallu du temps, beaucoup de patience pour organiser progressivement la trame de ce qui faisait cause !

En fait, on aurait pu imaginer comme titre de la soirée, « la répétition à l’épreuve du transfert » à quoi on pourrait naturellement y opposer la répétition hors transfert qui comme vous le savez fait plutôt penser à l’acte, au passage à l’acte, à la jouissance qui évite la remémoration, c’est-à-dire l’inscription symbolique de sa marque. La clinique nous apprend que derrière la répétition se profile l’immémorial de l’objet perdu, je pèse mes mots, immémorial, terme qui renvoie à ce qui remonte à une époque si ancienne qu’elle sort de la mémoire. La référence à l’immémorial fait penser à l’histoire et donc au dispositif thérapeutique qui fait une place au savoir. La clinique fait usage de la fonction contingente de la rencontre provoquant le déroulé de la chaîne signifiante corrélée à la division du sujet. Le travail thérapeutique scande alors les tours répétitifs de la demande mettant à jour des signifiants-maîtres, des S1. Du coup la cure participe de la construction du fantasme. Revenons au travail de la cure : le patient raconte des choses qui se répètent et qui semblent le gêner, des scénarios fantasmatiques, scénarios de jouissance. Dans la cure il raconte, mais une fois dehors il fait. Dehors il peut s’avérer qu’il répète, répéter c’est comme je le disais en préambule, tenter de retrouver l’objet perdu, c’est cela la jouissance produire un effet de re-trouvaille qui est toujours manquée, retrouvaille qui comme l’a exprimé José Rambeau, fait toujours un effet de nouveau, de première fois. Plus précisément, l’agir, le passage à l’acte est une tentative de réitérer dans le réel, le pas qui ne se fait pas symboliquement. Le répété, c’est aussi de ce point de vue une nouvelle fois, cela veut dire qu’il tente d’inscrire un Un, là où il n’y a pas d’autre marque que celle qui est présente dans l’acte qui vient nouer ainsi la jouissance et le désir. Dans la cure, dans les entretiens initiaux, la visée essentielle est de provoquer le virage de la souffrance en symptôme et, pour cela le sujet doit percevoir la dimension de répétition mais aussi de s’ouvrir aussi au déchiffrage. Ceci implique chez le patient de devoir assumer la responsabilité du désordre dont il se plaint et d’apercevoir sa potentielle réitération. C’est donc la récurrence des signifiants face aux phénomènes qui le rend apte au déchiffrage et donc à sa transformation en symptôme. Exemple, une conduite qui se répète, ou un rêve de répétition, avec la dimension d’énigme qui peut susciter une telle répétition, peut être à l’origine d’une question sur le sens et sa cause et du coup la conduite, le rêve, deviennent des symptômes.

J’insisterais sur trois points :

Premièrement, L’expérience de la clinique s’oriente à partir du symptôme et exige sa formalisation. La répétition montre cette première dimension. Car elle est l’indice d’un échec dans la symbolisation. Mais je précise le clinicien donne à la répétition son caractère insistant, de compulsion et qui tient à ce que Lacan désigne avec le terme de jouissance. Mais alors pourquoi la jouissance insiste-t-elle ? Je rappelle que la répétition n’est pas – contrairement à ce que l’on dit habituellement, un retour d’un besoin mais la rencontre manquée. Ce qui exige la répétition est la commémoration – de l’immémorial – commémoration de l’échec, du ratage à attraper l’objet. Dans ce sens, ce qui conditionne la répétition c’est la scène traumatique où une irruption de jouissance s’ordonne ou non dans le fantasme, lequel est à la base de la répétition (pg 97). Je rappelle que le fantasme oriente le rapport du sujet à l’objet (a) et détermine l’opération du chiffrage. C’est ici qui que diverge la lecture que l’on peut avoir du rapport que le sujet entretient avec le fantasme. Je dirais que le clinicien bute toujours sur la question du chiffrage. Le chiffrage est l’opération qui vise à passer la jouissance au symbolique. Il vise à transformer la jouissance en signifiant. Or il arrive parfois qu’un réel fait fasse effraction dans le corps, cause de jouissance restant hors du symbolique, se dérobe au déchiffrage. Strictement parlant, nous dirions alors que le retour de la jouissance relève d’un retour du même.

Deuxièmement, dans l’événement du corps, ce qui fait office de trauma c’est le fait que le sujet est confronté à l’expérience de séparation entre le corps et la jouissance. On peut imaginer qu’avant la scène traumatique le corps et la jouissance ne font qu’Un. Or pour le sujet la rencontre avec le sexuel revêt ce caractère traumatique, de ciselure, de surcroit lorsque l’assentiment du sujet n’est pas demandé. Mais une fois confronté à cette béance du corps et de la jouissance, à défaut de pouvoir l’éviter, le sujet va tenter tant bien que mal, de la suturer tout au long de son existence. Que nous apprend la répétition ? Lacan évoque le terme d’entropie, je traduis cela par transformation, étalement de jouissance qui détermine que chaque répétition comporte une différence avec la précédente. Mais à la différence d’une entropie ou de transformation qui s’étalerait à perte de vue, grâce au travail de la cure effet, la répétition permet l’inscription et l’émergence de l’objet a. C’est précisément ici qui se situe une clinique différentielle du retour à la jouissance qui n’annule pas ce que nous disions précédemment, à savoir le retour du même.

Si je mixe un et deux, je dirais que d’un côté, un retour de jouissance est de l’ordre d’un retour du même, sous la forme d’une jouissance dans le réel, insymbolisable ; rappelez-vous l’enfant autiste qui reproduit les mêmes gestes, les mêmes actes et qui tourne inlassablement dans la cour de récréation autour de l’arbre ; ici le réel ne cesse pas de se répéter ; pour d’autres, c’est la rencontre avec l’Autre qui fait émerger l’objet a, le regard par exemple, qui concerne le retour d’un signifiant comportant une jouissance, s’associant à l’imaginaire dans le mixte réel-imaginaire, présent dans l’érotomanie ou dans la paranoïa, comme venant de l’Autre. Mais d’un autre point de vue, chaque tour de la répétition de la jouissance n’est pas le même. La rencontre avec l’Autre peut s’associer à la perception de son manque et être à l’origine de la quête de l’Un, mouvement qui engendre alors l’émergence du désir. La répétition est ainsi cause de désir en ce sens qu’elle produit le désir. Et à l’occasion elle peut se produire à des fins d’actes, c’est-à-dire que le sujet peut s’autoriser à faire des actes. C’est justement ce point que via la remémoration, j’évoque ici. (pg 123)

C’est donc dans le maniement du transfert que Freud va tenter d’enrayer cette répétition qu’on appelle la compulsion de répétition et va la transformer en une raison de se souvenir pour le sujet, qui passe de la morbidité de la répétition de sa névrose à une névrose dite de transfert. Freud appelle ce mouvement le « triomphe du traitement ».