Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

La puissance du refus anorexique et la « patience » du thérapeute à obtenir sa transformation

La puissance du refus anorexique et la « patience » du thérapeute à obtenir sa transformation

Dario MORALES

L’idée serait d’interroger le refus comme un nœud stratégique dans la solution des troubles du comportement alimentaire avec néanmoins cette précision, le refus permet d’élever ces troubles du pur statut de comportement à la dimension structurale, du plan de la phénoménologie au plan de la structure. Au fond ces troubles laissent percevoir ainsi un au-delà des dimensions purement narcissiques et spéculaires – image du corps par exemple – au profit d’un mode d’articulation du rapport du sujet à l’Autre (pg 108). En effet, à travers ces troubles, ce sont des comportements, des conduites qui sont mis en acte : refus de la nourriture bien sûr, du corps féminin, de la sexualité, du lien social (pg 107). D’autre part, ces refus manifestent également une force, car le sujet rejette également l’entrée en thérapie. Qu’il s’agisse des comportements ou de l’entêtement du sujet à ne rien entreprendre, il s’agit, en tout cas, de prises de positions auprès de l’Autre, positions qui donnent naissance à une jouissance ferme et structurée autour de l’insatisfaction, de la privation (lorsqu’il s’agit d’anorexie), ou du trop (pour la boulimie). La matrice de ces positions trouve son expression premièrement dans le refus comme demande adressée à l’Autre, dans le refus comme tentative de séparation sous la forme de débranchement du sujet dans son rapport à l’Autre, enfin comme refus érigé en jouissance lors des interventions des thérapeutes, refus du transfert, refus de la cure, refus de se nourrir, etc. refus de la demande, tentative de séparation, refus du transfert, autant de mouvements qui poussent les intervenants à rester vigilants et créatifs (pg 249).

La clinique nous pousse à nous interroger sur des cas qui ont tendance à effacer leur subjectivité dans leur solution et à ne faire qu’un avec elle, c’est le cas de l’anorexie. Le sujet anorexique a cette particularité de se présenter devant les intervenants thérapeutes comme si elle avait vécu avec son trouble dans une sorte de lune de miel, sans demande et en rejetant le transfert, à quoi se rajoute également la méconnaissance de sa condition de malade. Ces indicateurs dont les cliniciens tiendront compte – l’état de lune de miel avec la solution et le degré de subjectivation – entravent le commencement d’un travail thérapeutique et la clarification de la structure psychopathologique. En effet, le trouble semble fermer la division du sujet dans les formes névrotiques et compense en quelque sorte la fragmentation dans les psychoses. Pour autant, l’accompagnement pluridisciplinaire finit par trouver un espace lorsqu’une faille – un regard angoissé vivant et désespéré dans un corps squelettique – une certaine perte de la maîtrise imaginaire par exemple, se fait jour dans la solidité compensatoire de la solution anorexique. Du coup, la maladie cesse de se présenter comme forme de jouissance avec laquelle le sujet s’identifie de façon massive. Il sera donc possible et envisageable d’activer le lien à l’Autre et pourquoi pas d’accompagner le sujet dans cette ambivalence naissante qui consiste à transformer la solution silencieuse ravageante et mortifère en symptôme déchiffrable et analysable.

La lune de miel et la nécessaire perte de maîtrise pour construire le symptôme

Au pic de la maladie, les anorexiques lancent un défi aux cliniciens parce qu’ils se présentent sans demande particulière et développent difficilement un lien transférentiel. Ces éléments constituent des freins au commencement de la prise en charge. Inversement deux éléments pourraient servir d’indicateurs cliniques permettant d’entrevoir des changements dans la position subjective – le degré d’identification du sujet avec sa solution et de l’autre, le niveau de subjectivation de la condition pathogène. Ces indicateurs sont importants, car le plus souvent les patientes ne viennent que rarement d’elles mêmes en consultation – souvent ce sont les parents, les proches qui s’alertent et qui interviennent pour voir des spécialistes ou pour hospitaliser. En effet lorsque l’anorexique fait son entrée dans la maladie – commence pour elle une sorte de lune de miel avec la maladie – le sujet semble se complaire dans le refus. Qu’il s’agisse des comportements ou de l’entêtement du sujet à ne rien entreprendre, on a affaire en tout cas à des prises des positions auprès de l’Autre, positions qui donnent naissance à une jouissance ferme et structurée autour de l’insatisfaction, de la privation (lorsqu’il s’agit d’anorexie), ou du trop (pour la boulimie). La matrice de ces positions trouve son expression premièrement dans le refus comme demande adressée à l’Autre, dans le refus comme tentative de séparation sous la forme de débranchement du sujet dans son rapport à l’Autre, enfin comme refus érigé en jouissance lors des interventions des thérapeutes, refus du transfert, refus de la cure, refus de se nourrir, etc. refus de la demande, tentative de séparation, refus du transfert. D’autre part, les troubles amènent au nom de la maîtrise et du contrôle à denier tout savoir, ce que l’on pourrait appeler l’éclipse du sujet et qui se manifeste par la disparition de sa parole subjective qui dès lors est vidée de toute valeur, le rapport à l’autre devient en quelque sorte inexistant. Cet état comme le savez peut se poursuivre sur une durée plus ou moins longue jusqu’au moment où le sujet se trouve en quelque sorte coincée dans sa solution – les choses semblent bouger lorsque l’écart entre le corps et la parole, le corps et la subjectivité semblent être à leur paroxysme et que l’angoisse se fait jour. Un regard angoissé vivant et désespéré dans un corps squelettique – une certaine perte de la maîtrise imaginaire par exemple, se faisant jour dans la solidité compensatoire de la solution anorexique. Du coup, la maladie cesse de se présenter comme forme de jouissance avec laquelle le sujet s’identifie de façon massive. L’angoisse sous-jacente servira de point d’intersection entre l’expérience du corps et l’expérience de la parole. Cette rencontre avec l’angoisse sera décisive, sans elle le sujet n’aura aucune chance de renouer un rapport avec le désir et de changer de position dans le rapport avec l’Autre et avec la jouissance. Une de mes patientes par exemple avait radicalisé la solution anorexique jusqu’à ne plus avoir d’énergie suffisante pour préparer ses examens – elle n’arrivait plus à se concentrer – la maitrise se fissure – une peur surgit, la possibilité ne plus pouvoir terminer ses études. Se produit alors un double niveau – la présence de l’angoisse qui trouble le sujet – l’expérience d’un effet de perte de la maitrise imaginaire qu’elle pensait pouvoir exercer sur son corps. Ces deux éléments pourraient aider à une mise au travail, mise en symbolisation, dont le mouvement serait par exemple d’asseoir le passage de l’angoisse vers la plainte de sa propre condition à la reconnaissance de sa responsabilité de la condition dont elle se plaint. Thérapeutiquement cette opération fonde ce que Lacan appelle la « rectification subjective », tentative qui peut déboucher dans une mise en parole du vécu du sujet et faire advenir une plainte où le sujet serait moins envahi par la jouissance. Ou bien faire advenir une demande qui garde comme toute demande valeur de demande même si elle est traversée par l’ambivalence. Dans ce mouvement, il s’agit de transformer un quota d’angoisse en une souffrance qui pourrait produire une question, une énigme. Il ne s’agit donc pas de terrasser l’angoisse car elle est un élément potentiellement transformateur de la position du sujet. Pour le dire de façon schématique, dans un premier temps se fissure le temps de la lune de miel par le surgissement de l’angoisse ; dans un deuxième temps, il s’agit d’accompagner le sujet de l’angoisse à la construction du symptôme et de soutenir la transformation de la plainte en demande, demande d’aide par exemple, ou bien demande de thérapie où la patiente veut construire une cause – un symptôme – passant de sa position de malade en patiente.

Or une telle transformation ne serait-elle pas envisageable si le transfert ne se mêlait pas – autrement dit la lune de miel devrait se trouer par la rencontre thérapeutique, trouer la lune de miel veut dire insérer dans ce trou – du savoir – rassurez vous ce phénomène se manifeste et rend actif le transfert – non plus sur un versant imaginaire – qui pousserait à l’identification mais sur un versant symbolique dans le sens de poser les séances comme un lieu de construction de savoir.