Fabrice PINON
Le cas dont je vais vous parler aujourd’hui est intéressant concernant le thème de l’itinéraire, pris au sens d’un parcours dans la maladie et de son corrélat au niveau du soin. En effet, le jeune homme dont je vais vous parler, que nous appellerons Pierre, se retrouve notamment confronté, à des crises d’angoisse. Ces dernières constituent un point d’énigme qui va faire fil conducteur à la prise en charge. Si je vous propose d’exposer, puis de mettre au débat, son parcours c’est qu’il est très enseignant du point de vue de la psychose mais aussi du traitement dans la durée que sa rencontre avec un psy à pu dégager. Ce parcours, vous le verrez dans la présentation, est à prendre au sens propre comme au figuré et je tâcherai de vous en faire percevoir les différents tournants, points d’arrêt et reprise sur une période de plus de 10 ans. Rappelons que je suis toujours Monsieur en Centre médico-psychologique. J’ai intitulé le cas « les figures du conflit » tant cette question du conflit est présente dans son existence. Le conflit qui l’empêche, le conflit comme spectacle mettant en scène l’Autre, enfin comme mode de relation à l’Autre. Cet aspect condense ce qui se joue pour lui dans la Krisis et oriente sa conduite dans l’existence. Je vous propose donc de discuter d’un cas, qui à bien des égards nous rappelle que la prise en charge du psychotique revêt beaucoup de difficultés, mais qu’elle peut néanmoins réserver des surprises pas toujours malheureuses. Il s’agit d’un accompagnement sur une période assez longue, ce qui m’obligera donc pour notre propos à condenser certains éléments. Mais aussi, cela nous permettra d’apprécier certaines étapes qui font que Mr N semble aller mieux aujourd’hui.
Commençons par le moment de la rencontre :
Je rencontre Pierre en 2003, dans un cadre quelque peu atypique dont je dois vous préciser les coordonnées. Je suis psychologue dans une équipe de prévention médico-psychologique de type Equipe mobile psychiatrie et précarité, qui mène des permanences en circonscription de la vie sociale. Cette activité propose aux travailleurs sociaux un appui technique aux situations difficiles et la possibilité d’accéder à des entretiens psy débouchant bien souvent sur des prises en charge en CMP. Ce dispositif s’adresse aux bénéficiaires de minimas sociaux n’ayant pas de suivi ou en rupture de soin. Il s’agit, dans une dynamique de prévention, de permettre aux personnes parmi les plus démunies d’accéder aux soins psy. C’est dans ce cadre que je fais la rencontre avec Pierre. Dans un premier temps je suis sollicité par son assistante sociale. Elle souhaite discuter avec moi d’une situation qui la préoccupe. Il s’agit d’un jeune homme de 25 ans, qui vient de rentrer dans le dispositif RMI suite à l’arrêt d’une activité professionnelle dans le secteur de la reprographie. Elle me décrit à l’époque un jeune homme qui l’inquiète de par sa présentation, ainsi que des difficultés dont il lui fait part. « Il parait impulsif …il pourrait être violent…il ne sort plus de chez lui…il ne prend plus les transports et ne travaille plus » tels sont les éléments que je recueille auprès d’elle. C’est un jeune homme qui souffre de phobie l’empêchant d’entreprendre ses démarches d’insertion et l’assistante sociale pense que des entretiens avec un psychologue pourraient l’aider à retrouver confiance en lui. La demande de l’assistante sociale, quoique louable, exprime assez bien la difficulté potentielle que révèle la pratique psy dans un univers qui vise la réinsertion sociale. Les personnes qui sont en souffrance psychique déplacent leur demande à l’endroit d’un travailleur social, qui dans le même décalage entend malgré tout quelque chose de celle-ci pour une éventuelle orientation vers du soin. Il s’agit pour l’assistante sociale de permettre à Pierre de retrouver un travail, une activité facilitant sa sortie du dispositif du RMI. Et cette demande est redoublée par Pierre qui exprime également son souhait d’avoir à nouveau un travail. L’orientation vers moi, s’effectue donc sous une modalité qui se rapprocherait d’une mise en conformité aux attentes sociales de travail, l’assistante sociale parlera même de « sport collectif » pour l’aider à surmonter ses phobies. Elle pense que des RV avec un psy l’aideraient à sortir de chez lui.
Les attentes de l’assistante sociale, à la lumière des éléments que j’évoquerai plus tard, semblent quelque peu à côté, très dans le faire. Ce décalage constitue néanmoins l’essentiel du travail d’écoute avec le travailleur social, qui au travers de son approche professionnelle singulière entend bien la question de la souffrance à l’œuvre pour ce jeune homme. Cette assistante sociale a permis à ce dernier de faire l’abord, dans un premier temps, de la question psy. Je conviens d’un RV pour rencontrer ce monsieur, dont l’état de souffrance et d’isolement croissant sont préoccupants. Il acceptera de me rencontrer non sans exprimer à son AS ses appréhensions. L’embarras qu’il vit au quotidien aura eu raison de ses résistances à me rencontrer.
Lors des premiers entretiens je fais la connaissance d’un jeune homme très gêné par ses phobies, comme il dit. Sa présentation générale fait état d’une tenue quasi militaire, en effet veste de treillis, sac en bandoulière, étui à couteau, torche, …constitue une sorte de barda dont il se pare dans ses rares pérégrinations urbaines. Il dira plus tard de sa tenue qu’elle le rassure et lui donne l’impression de renvoyer une image forte quand il est hors du domicile maternel. Dans le transfert Pierre déploie une méfiance très importante et les premières rencontres ne peuvent pas excéder quelques minutes. Egalement, il lui est très difficile de rester assis sur une chaise. J’accepte donc de le recevoir selon des modalités auxquelles il conditionne malgré lui sa venue. Il apparait à la fois dans un mouvement d’engagement dans cette rencontre inédite mais aussi dans un mouvement qui révèle l’insupportable de la relation à l’Autre qui l’expérimente chaque jour. C’est dans ce double mouvement que git l’espoir d’aller mieux. Je décide donc d’accepter ces modalités de RV, afin de soutenir quelque chose de cet espoir.
Les symptômes qu’il décrit sont des phobies l’empêchant de circuler librement, des rituels alimentaires l’obligeant à ne consommer que des produits emballés et une angoisse omniprésente. Son histoire est la suivante : Il est fils unique, vivant chez sa mère séparée du père depuis ses 14 ans. Sa scolarité est très difficile et il quitte le système scolaire sans diplôme. Son enfance est marquée par des exigences paternelles au niveau scolaire qui ont été très fortes, il décrit son père comme violent, y compris avec la mère, et intransigeant. Durant l’adolescence Pierre déserte de plus en plus le collège et trouve dans le quartier et les bandes un nouvel espace de réalisation. Il est une sorte de délinquant qui ne refuse pas les bagarres, voire les recherches.
Il essaie de rentrer dans une école militaire prestigieuse quand il a 16-17 ans, mais ses résultats scolaires l’en empêchent. Cette idée lui vient de son goût pour le domaine militaire et le passé militaire de ses deux grands-pères qui sont d’anciens combattants. A sa majorité il intègre la police en tant qu’adjoint de sécurité, qu’il quittera pour des conflits avec la hiérarchie. Il en sera de même pour un emploi qui l’occupe par la suite dans la reprographie où une fois encore les conflits avec le patron l’obligent à quitter cet emploi. Dès lors, sa capacité à se déplacer commence à se réduire et l’isolement ne cesse de prendre de l’ampleur. Il ne se déplace plus qu’entre le domicile de sa mère et le travail de celle-ci, au mieux il peut aller chez sa tante qui habite dans la même ville. Ses déplacements ne s’effectuent qu’à vélo car il se sent plus rassuré ainsi. Il passe ses journées à jouer à la console, au PC, sort le chien dans un périmètre réduit autour du domicile.
Les entretiens débuteront au service social, pendant de longs mois je fais sa connaissance et il faudra faire preuve de beaucoup de patience pour qu’il consente à rester toujours un peu plus longtemps en entretien. Sa tendance à être dans l’agir semble s’atténuer difficilement, il parle alors de son histoire et de ce qui fait énigme pour lui : pourquoi est-il devenu comme cela, si angoissé ? Cette question parcours l’ensemble de sa prise en charge et je lui renouvelle à chaque fois la proposition d’essayer d’en comprendre quelque chose. C’est ce qui lui permet de revenir et d’accepter un travail thérapeutique qui ne démarrera vraiment qu’à partir de l’évocation d’un évènement qu’il relatera en entretien. Il s’agit d’une scène qui se déroule après la séparation de ses parents, lorsqu’il a environ 15 ans. Il surprend sa mère et son amant en train de faire l’amour. Il dit qu’à la vue du visage de sa mère, déformé selon ses dires, il interrompt l’ébat et agresse très violemment l’amant. Il fait preuve alors dans son récit d’une jouissance impressionnante à décrire la violence de son agression. A l’entendre on peut même se demander comment l’amant a pu y survivre. Il dira par exemple « j’ai pris un bec benzène (l’amant est prothésiste et la scène se passe dans son local) et je l’ai frappé au visage à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’il y ait du sang partout ». Il continuera à dire que s’il rencontre cet homme dans la rue il recommencera. C’est le moment que je choisi pour lui proposer de se voir dorénavant au CMP, lui indiquant également qu’il serait souhaitable de rencontrer une collègue psychiatre pour l’aider par rapport à ses difficultés.
Le passage à la prise en charge thérapeutique :
La nécessité d’une prise en charge médico-psychologique est capitale tant les symptômes et les contextes d’agressions dans la rue ou en bas de son immeuble sont fréquents. Les épisodes où il est impliqué dans une situation d’expression de violence sont très répétés. Ses déplacements rares et déterminés ne lui évitent pas d’être en relation avec l’Autre. Un regard ou une parole à son endroit, ou perçu comme lui étant adressée, appelle chez lui à une réponse qui ne peut que déboucher sur l’altercation et le conflit physique. Dans l’après coup, il ne comprend pas ce qui se passe, il reste perplexe sur les raisons de l’embrasement pulsionnel dont il est le siège. C’est ce qui légitime l’accroche à une structure de soin, ainsi je continue de le suivre au CMP à raison d’une fois par semaine et la psychiatre environ toutes les trois semaines. Egalement il fait la connaissance de l’équipe infirmière qu’il pourra solliciter en dehors de nos RV. Une institution est là, pouvant recueillir ses demandes, écouter ses angoisses et ses doutes. Il vient parler de ses altercations dans la rue à l’équipe d’infirmier dans l’intervalle entre les RV. Durant une période de rupture du suivi, il pourra garder le lien avec le CMP par le biais des infirmiers qu’il continue de voir, parfois en visite à domicile. Cet arrimage à l’institution ne revêt pas un caractère aliénant mais d’avantage contenant, apaisant.
En entretien, il peut dire que son isolement est un moyen de se tenir à l’écart, à distance de l’Autre. Sa solution est donc d’éviter la confrontation, le contact, tout lien social en somme.Il peut faire l’expérience de se raconter, ainsi que de revenir sur des épisodes d’extrême violence déjà évoqués mais repris sous un nouveau jour. Il va reprendre l’épisode où il surprend sa mère et son amant, qui peut revêtir l’aspect d’un déclenchement. Une première version de ce récit situe la conclusion de la scène dans un accès de violence déchaînée de Pierre, l’évocation est vivante et crue. Il apporte comme un argument qui légitimerait son accès de violence la présence d’un ami à lui, témoin de la scène. Une deuxième version, obtenue plus tard au cours du traitement, fait état d’une certaine chute du sujet devant la scène car il n’a pas agressé l’amant et regrette de ne pas l’avoir fait. L’ami qui l’accompagnait n’a pas été témoin de la scène, et le moment qui suit cette vision est relaté par Monsieur comme un temps où il ne veut pas qu’on l’approche, ni même qu’on le touche, un moment où la sidération est à son paroxysme dans son psychisme et dans son corps. C’est un épisode de grande souffrance, car la trahison semble le cerner et il choit : son père violent d’une part et sa mère adultérine d’autre part. Cette réalité substituée rend compte d’une impossibilité pour le sujet à élaborer une autre issue que la chute, l’évanouissement subjectif devant le trauma.
Dès lors la violence du père, déjà largement emprunté par lui, doit recouvrir cet impensable. Ce sentiment devenu sien, comme dans le discours du père, de s’être fait avoir. Ce signifiant « se faire avoir » est le fil conducteur dans son histoire. Il doit s’en prémunir à tout prix.
Cette question est sans doute à l’origine de ses conflits dans le travail car il s’agissait là de ne pas se laisser faire par un autre jouisseur. Cette question gravira d’ailleurs un échelon supplémentaire, voire décisif lors de son passage dans la police. En effet, pendant la période où il commence à travailler et à avoir des revenus, il fait l’acquisition d’une voiture à crédit.
Pierre fait régulièrement l’acquisition de nouvelles voitures, ces moyens de locomotion assurant également une certaine identification phallique et virile « sans voiture, on n’a pas de meufs ». C’est lors d’un échange de véhicule, lui permettant d’obtenir contre sa voiture un véhicule plus puissant, qu’il s’aperçoit que ce dernier est un véhicule volé. Il dira alors qu’il « s’est fait avoir ». Il n’a plus de voiture et des crédits importants le conduisent à une reprise de sa dette par la Banque de France, il devient bénéficiaire du RMI. C’est à partir de ce moment-là, que la conviction que l’Autre est hostile s’installe durablement, que la nécessité de ne plus se faire avoir s’érige en la mise à distance systématique de l’Autre.
Le se faire avoir résonne comme une position de passivité féminine, comme un signifiant qu’il faut exclure. Conjurer cette jouissance de l’Autre sur soi, qui amène chez lui à un recours à l’isolement, l’angoisse vient faire écran à cette modalité désirante de Pierre.
Ces symptômes, qui de prime abord, feraient penser à l’obsessionnel, sont pris dans une structure psychotique où la constitution de l’objet paranoïaque s’accentue progressivement. Le registre de l’image est au premier plan, mais rend compte d’une impossibilité à faire avec la version du père dont la jouissance par la violence reste problématique pour Pierre, elle reste cependant un trait unaire accroché à l’Autre.
L’objet regard:
Chez Pierre l’objet regard et au premier plan du symptôme selon deux modalités. La première concerne évidemment le regard de l’autre sur lui. C’est l’enjeu majeur de ses altercations dans la rue et de l’interdit d’emprunter les transports en commun, haut lieu de la promiscuité avec une part intime de l’autre. Les endroits d’anonymat sont des espaces qui induisent fortement pour lui une part très imaginaire dans le désir et les intentions de l’Autre. C’est que l’extraction de l’objet a n’a pas eu lieu en témoigne un autre épisode dans la prise en charge. Il évoque lors d’un entretien que les marques qu’il a parfois sur les bras ne sont pas des griffures de son chat comme il le laissait entendre auparavant, mais des coupures peu profondes effectuées avec une paire de ciseau. Je lui demande si ces marques lui procurent des sensations, il précise que non, qu’elles lui permettent d’avoir une image forte. Il se regarde dans le miroir avec ses marques comme des témoignages de combats, comme l’ancien combattant exhibe ses blessures. La présence d’un éprouvé corporel qui viendrait juguler l’angoisse n’est pas confirmée par lui, nous retiendrons tout de même la dimension de la coupure sur le corps qui témoigne d’un retour dans le réel de l’imaginaire. L’autre modalité de l’objet regard réside dans le spectacle de l’horreur sur internet ou dans les jeux vidéo. En effet, il passe énormément de temps à regarder des vidéos de catastrophes, de tueries, des images qui place l’Autre dans un contexte d’horreur.
Dans le domaine du jeu, il affectionne les « survival horror » joués à la première personne, qui se déroulent dans des univers déshumanisés et peuplés de morts vivants. Il dit toujours jouer en mode difficile, ce qui le confronte indubitablement à l’échec, ce qui a comme effet de majorer son excitation et sa frustration. Il ressort très éprouvé par ses moments de jeu, qui l’amène à trouver une solution également très couteuse, à savoir revendre sa console ou désinstaller son pc. A titre d’exemple il achètera puis revendra un vingtaine de console sur une période d’un an et demi.
Le spectacle de l’horreur nourrit la pulsion scopique chez Pierre, ce qui faisait déjà jour dans son expérience avec la police, que les faits divers et les accidents n’ont pas manqué d’alimenter. Une fascination est à l’œuvre là mais aussi un épuisement, le laissant dans un détachement certain par rapport à la réalité. C’est le moment où il est isolé.
L’isolement comme l’espace-temps du délire :
Ces moments de retrait sont marqués par une activité psychique délirante intense, ce qu’il nomme son monde, son univers. Ces éléments seront évoqués par lui de façon progressive à mesure que son accroche se confirme. Précisons qu’il accepte de prendre de l’Aprazolam, mais pas de neuroleptique, craignant d’être trop ralenti, peut être comme un mort vivant. Il commencera donc à parler de son monde, de ces moments de coupure avec la réalité. Il est un ange dont les pouvoirs sont colossaux, qui élimine siné dié l’humanité car elle est fautive de ce qui arrive à la terre et des exactions perpétuées comme les guerres et les génocides. Il épargne néanmoins la flore et la faune dans ses scénarii. Cette position de démiurge qui réarrange le monde parle en creux de son impuissance dans la réalité, c’est sa construction délirante pour sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve. Il construit donc à ses fins un personnage composite créé à partir de prélèvements effectués çà et là dans les comics book et les mangas japonais. Je vous propose d’y faire un détour rapide car l’intérêt porté à ces éléments lui a permis de pouvoir en parler et porter hors de soi par le discours le délire et donc d’en faire un certain traitement.
Deux personnages se dégagent :
Le Darkness : c’est super héros de comics book américain, ex-tueur de la Mafia qu’il avait rejoint à l’âge de 16 ans. Il a abusé d’une vie faite de sexe et de violence. Mais à 21 ans, il découvre qu’il a un sombre héritage. Avec ses supers pouvoirs, il peut créer tout ce qu’il désire pendant la nuit, même si tout tombe en poussière à l’aube. Si une femme devient enceinte de ses œuvres, l’enfant héritera de son pouvoir et il mourra. Il doit donc réfréner ses activités sexuelles, pour sa plus grande frustration.
C’est donc un héros considéré comme très puissant mais pour qui l’interdit du rapport sexuel est vital. Question que nous retrouverons pour Pierre, nous y reviendrons.
L’autre personnage est Tobi, issu du manga japonais Naruto. Il apparaît comme un être enfantin, puéril, belliqueux et cruel. Il ambitionne un monde meilleur, par l’illusion de tout être vivant, afin de se hisser au plus haut rang, celui de dieu. Il dispose du Sharingan et du Rinnegan qui sont des pouvoirs ninjas très puissants dont le siège est l’œil, le regard. Enfin, ce personnage veut installer une paix durable et bannir toute la haine de ce monde, il est même prêt à créer une paix « factice » en hypnotisant chaque humain grâce à une immense illusion. Cette illusion ultime peut plonger le monde dans un rêve où tout est accessible, celui-ci dure éternellement et plonge le monde dans des arcanes infinis. Ce personnage compte l’utiliser pour régner sur le monde grâce au plan Œil de la Lune. Il est d’ailleurs très différent des autres personnages du manga par son usage de la haine. Il est insensible à celle-ci et semble ne vouloir avoir de lien avec personne allant jusqu’à renier son propre nom qui demeure inconnu.
Grace à ces deux personnages et de bien d’autres encore, il se maintient dans le délire qui le coupe du lien social. Il est, dans ces moments-là, comme débranché. Il dira en entretien qu’il sort de sa poche ses personnages à volonté, comme des cartes, selon ses besoins. Jacques Lacan nous rappelait que le psychotique a l’objet a dans sa poche, nulle nécessité de faire avec l’Autre dès lors. Entre interdit du rapport sexuel et anéantissement de l’humanité, son délire se déploie et son isolement fera qu’un temps il ne viendra plus aux entretiens tout en gardant le lien avec l’équipe infirmière du CMP, qui tente de le convaincre de se faire hospitaliser. Il reviendra néanmoins pour dire qu’il se sentait trop mal, qu’il était trop angoissé. Le travail d’accompagnement reprend, l’effort de dire ses difficultés se réamorce car l’énigme reste tenace. C’est à ce moment-là qu’il fait la connaissance d’une voisine dans son immeuble. Cette dernière patiente du secteur, souffre de troubles de l’humeur. Elle va l’accompagner à sa manière sur le chemin de la sexualité.
La question sexuelle :
Pierre n’a jamais eu de relation sexuelle. Au sortir de l’adolescence il a fréquenté une jeune fille de son âge. Il fuit la relation, même s’il semble donner des gages d’une certaine liaison. Il se convertira à l’Islam pour des raisons de convenance sociale car elle est musulmane. Mais rien ne se passera, il met fin à cette relation, il dira lui-même sa difficulté dans l’abord de la femme par un « les femmes on ne sait pas ce qu’elles veulent ». Mais sait-il seulement ce qu’il veut lui ?
De la sexualité il en parle comme d’une horreur à laquelle il ne veut pas être confronté. Il pense « être nu comme un ver » en face de la femme. La rencontre avec une voisine va cependant permettre à Pierre de faire l’expérience de la sexualité avec une de ses amies. Est-ce là une histoire substituée ? Nous ne pouvons le dire à l’heure actuelle, toujours est-il qu’il veille sur elle quand elle va mal, la convainc d’être hospitalisée quand elle est dans des moments d’excitation et d’agitation aigue. Il peut être aidant et en retour elle va l’aider aussi en lui faisant considérer le sexuel comme moins menaçant. C’est à ce moment qu’il accepte une orientation vers des ateliers thérapeutiques pour faire un masque qui représente un des personnages évoqués plus haut. Beaucoup d’hésitations et de doutes encore, mais il parvient à aller à ses ateliers, dire sa demande, revenir à plusieurs reprises faire ce masque auquel il tient tant. C’est dans ce processus de création qu’il élabore quelque chose autour du visage caché, une tentative pour constituer une sorte d’écran entre lui et le monde. C’est un objet auquel il tient, il passe donc du temps pour le constituer mais ce qui me semble décisif c’est qu’il a besoin de l’autre pour le réaliser. Il doit faire l’expérience encore une fois de la parole, d’un échange sans quoi rien ne pourrait se faire avec les intervenants de l’atelier. La voisine a une sexualité délurée et sans pudeur, ce qui fait quelque peu déchoir l’ange. Pierre est donc initié par elle à la chose sexuelle. Cet aspect ne lui permet pas un abord névrotique du sexuel, mais il traite cette question comme secondaire car il aurait passé le rite. Il n’est plus « puceau », comme il dit, même si la dimension amoureuse et sexuelle demeure éloignée, il est plus apaisé.
Vers un certain dégagement :
Il y a un an et demi, la voisine qu’il fréquente régulièrement lui suggère un jour d’aller voir un psychiatre en ville pour qu’il aille mieux. Il m’en fait part et je ne m’y oppose pas, même s’il est déjà suivi au CMP par une collègue psychiatre. Le psychiatre effectue des consultations de thérapie cognitivo-comportementales. Ce dernier lui explique que « des gens comme lui il en reçoit 10 par jour » et que son état est classique. Il lui explique, que dans son système nerveux, l’alarme qui le prévient du danger est bloquée, restée en marche en mode alerte. Il lui propose des entretiens et évoque avec lui un traitement à base de Paroxetine. Il ne verra ce psychiatre qu’à deux reprises. Il n’arrête pas pour autant ses diverses prises en charge au CMP, et se fait prescrire ce traitement par sa psychiatre habituelle. Dès lors il commence à aller mieux et reprend une circulation sans vélo dans la cité. Sa mère qui s’alcoolisait tous les jours arrête cette addiction car il fait dépendre la prise de son nouveau traitement à la condition qu’elle arrête l’alcool. Actuellement il attend une réponse de la MDPH pour pouvoir retravailler, il s’est inscrit dans une salle de sport et va quotidiennement faire de la musculation.
Conclusion :
Entre prise en charge médico-psychologique et contingence de ses divers rencontres, Pierre semble avoir échafaudé d’autres solutions à son impasse existentielle. Le délire demeure mais dans des proportions apparemment plus contenues. Il mange désormais sans rituels alimentaires. Il a retrouvé un certain lien social plus apaisé avec ses proches, excepté son père, et les petits autres avec lesquels la violence était de mise par le passé. Cette opération subjective a été longue et d’échecs en améliorations s’est actualisée la question de ce qui l’agitait dans l’angoisse. La réponse reste ouverte mais néanmoins ne revêt plus le centre de ses préoccupations. L’itinéraire quasi militaire qui lui faisait dire qu’il ne pouvait se déplacer que dans un périmètre précis autour du domicile maternel s’est étendu au reste du monde. D’un imaginaire en expansion continu et débordant, il s’est agi d’introduire la dimension symbolique à l’œuvre dans le travail de discours au cours des entretiens. Accepter que le soin au sens général, pour ce monsieur, s’expérimente avec d’autres personnes (infirmier, voisine, thérapeute cognitivo comportemental, etc) c’est se rappeler que le soin du psychotique s’élabore dans la pluralité de l’Autre et surtout pas dans une relation duelle, aliénante, très violente pour ce patient. De la patience aussi pour que d’entretiens en entretiens, quelque chose d’un itinéraire singulier émerge avec un décalage propice à un soulagement de la souffrance. Rien n’est résolu pour autant, le réel reste articulé à un Autre menaçant, néanmoins l’expérience du bien dire ce qui lui arrive lui a redonné une capacité de mouvement, de manœuvre. Il est étonnant d’observer par ailleurs que l’un des points de départ des consultations de l’AS, le sport, en d’autres termes le corps, se retrouve au centre de ses préoccupations aujourd’hui.
Je vous remercie.