Dario MORALES
découverte freudienne a introduit une approche fondée sur l’usage de la parole. Malgré les impératifs de l’époque qui prônent l’uniformisation des pratiques, le discrédit de la pensée, l’idéal des bonnes pratiques, l’évaluation à outrance, la clinique de l’analyse a toujours bonne presse. L’extension des pratiques de la parole s’est généralisée, les cliniciens et les institutions sollicitent les analystes pour assurer une supervision ou un contrôle à l’occasion d’une question, d’une impasse, d’une crise ou d’un remaniement. Le collectif découvre à cette occasion que l’opposition – structurale – entre pratique et théorie n’est pas un écueil ; s’autoriser à parler à la première personne, se destituer de la croyance d’être le seul partenaire auprès du patient, se soustraire en tant que lieu du savoir tout puissant, tout cela n’est possible que si le « superviseur », en adoptant un rapport particulier à l’interprétation, qui relance la pratique sur le plan du désir, préserve et entretient un espace troué de savoir qui permet à tout un chacun de se destituer, tout en étant pleinement responsable des actes qui lui incombent. En somme, la supervision, il faudrait plutôt dire super-audition, est un défi lancé à la pratique clinique, prise ici dans un sens large. Prenons le cas du savoir et du désir. Il s’agit de miser sur la tension et donc sur le déplacement des savoirs, sur la reconnaissance du non-savoir plutôt que sur la stabilité imaginaire des certitudes de l’institution, toujours débordée par l’expérience. Pour ce qui est du désir, la supervision débusque le désir souvent englué dans l’imaginaire des demandes. L’anicroche vient du fait que le sujet du collectif « dépasse » souvent son acte, il croit toujours en être le maître ; au lieu de saisir la dimension du désir en jeu, il ramène sa pratique à un savoir, voire à un savoir-faire. La supervision ne saurait alors se satisfaire de la recherche de la bonne réponse mais de l’émergence de la question comme question.
Le savoir et le non-savoir sont interrogés dans la pratique clinique ; mais on aurait pu également dire : « comment la clinique apprend par la réalité du cas ? » Ce qui est une autre façon d’aborder la conjonction nécessaire de la pratique et de la formation du clinicien.
Ce qui fonde la pratique, le principe de son orientation, c’est la réalité du cas. Or si le cas est au cœur de l’action du clinicien, il peut conduire aussi à l’impasse, menant parfois aux dérives, faute de repérages, faute de la bonne distance, faute de boussole. Pourquoi ? La réalité du cas, produit une disjonction (nécessaire, salutaire, parfois contradictoire, parfois angoissante) de la pratique et de la théorie. Plusieurs situations me viennent à l’esprit. Lorsqu’il s’agit de traduire nos propos à un patient, d’interpréter ou de penser à la construction théorique du cas ; lorsqu’il s’agit de dire quelque chose de notre place du clinicien dans les réunions de synthèse, dans les échanges avec d’autres collègues, enfin, lorsqu’il s’agit de penser aux impasses, au volte face qu’un suivi peut susciter. Ces disjonctions peuvent produire des moments de doute, d’hésitation et de remise en question. Par la rupture que ces disjonctions produisent elles permettent aussi la production d’un savoir, car tout savoir est au fond une résistance au réel, recul forcé qui marque l’articulation entre le domaine empirique et le processus de pensée. Je vais le dire simplement, lorsque nous parlons d’un cas, lorsque nous sommes en entretien avec un patient, lorsque nous sommes à son écoute, nous entrons dans l’univers du langage, du discours, du sens et en même temps nous disons qu’il y a un réel en jeu dans l’expérience. Etrange catégorie que ce réel, qui vient se mêler ici, brusquement dans cet univers marqué par la recherche du sens. Car, le réel et le sens tendent à s’exclure. Or la clinique, nous fait découvrir qu’elle a affaire à un réel incluant du sens. C’est cela qui définit le symptôme, dans le dernier enseignement de Lacan, le symptôme est dans le réel et il a un sens. La clinique, la psychanalyse, tend donc à opérer sur le symptôme afin de le dissoudre dans le réel (Opérer sur le symptôme, cela suppose opérer sur le symbolique inclus dans le réel, lui-même inclus dans l’imaginaire). Opérer sur le symptôme, cela suppose inclure une vérité dans le réel, vérité pouvant être au fond un mensonge. Pour le dire différemment, la clinique ménage en quelque sorte la place où s’inscrit la vérité, la vérité menteuse. Si nous prenons acte de cela, nous comprenons pourquoi la vérité ne peut être que mi-dite. Au fond d’elle gît un trognon de mensonge, qu’on appelle la jouissance.
Lorsque nous entendons la vérité-mensonge de la bouche des patients, nous restons parfois déconcertés. D’où le contrôle, la formation ; venir au contrôle, c’est faire la démarche que le clinicien ne se précipite pas à comprendre mais qu’il peut prendre le temps d’apprendre la langue du patient, c’est s’assurer que l’inconscient est au travail. C’est pour cette raison, pour ce qui est de la boussole, on n’y est plus du côté de la vérité, mais du côté du savoir et donc de l’ignorance (1). Il faut savoir également, que souvent sa démarche s’inscrit au sein de l’institution où il exerce. La question est donc comment s’autoriser de son acte, sans se croire le seul partenaire du patient, en sachant recourir aux autres partenaires du collectif dans les jeux permutatifs et inventifs ou contradictoires qui existent dans nos institutions. Le contrôleur justement n’est pas un partenaire en miroir ; il est un tiers, entre le clinicien et son cas ; entre l’équipe et la réalité des cas ; l’écoute du contrôleur, distancé, médiatisé par le récit du contrôlé et le déplacement ainsi rendu possible permettent une nouvelle mise en perspective de la pratique ; un élément important consiste à repérer chez le contrôlé sa position subjective, ses signifiants, sa question qui l’anime, sa position quant à l’objet ; mais un autre élément tout aussi important est celui de repérer comment le contrôleur se fait partenaire du patient, comment installe-t-il le transfert, la coupure interprétative. « Mon problème, c’est que je ne sais pas comment faire avec mon patient ? » (2), à quoi le contrôleur répond « Pourquoi voulez vous que le patient revienne ? » Je veux mettre en tension deux éléments importants à signaler dans les vicissitudes des suivis : qu’il s’agisse des contrôles individuels ou en institution. Faire en sorte que le savoir ne soit pas une entrave dans le travail du patient, ni dans la réflexion du clinicien ; cela suppose qu’il faille se destituer de l’illusion d’un lieu du savoir afin que chacun s’autorise en sa personne, et se destitue de l’illusion d’être le seul partenaire (un mot sur le tableau qui figure sur l’affiche). Lacan indiquait deux aspects du contrôle : les contrôlés sont comme les rhinocéros, ils font à peu près n’importe quoi, ils foncent à l’aveuglette, guidés par leurs oreilles ; le deuxième aspect est qu’il faut jouer de l’équivoque, du malentendu, de la polysémie des mots de la langue du contrôlé pour interpréter. En contrôle, on présente un cas, on soumet un texte, il faut un contrôleur qui ne s’identifie à la place supposée du maître pour encourager le travail. On oublie souvent le rhinocéros, il faut pourtant un long chemin pour que le rhinocéros puisse se laisser enseigner par le symptôme, par la hâte, par l’esquive, par les questions, par les points de buté que produit la pratique (3) ; mais il faut savoir accompagner son trajet. Il semble que parfois, on ne prend pas cette étape en compte, l’étape où le rhinocéros praticien parvient à formuler des hypothèses du cas et à situer ces changements de position ; ces moments que le contrôle dialectise et qui donne un orientation au travail du contrôlé.
(1) Hebe Tizio, « La confidence des contrôleurs », La formation entre Guillemets des pschanalystes, La cause freudienne, 52, novembre 2002, Paris., pg 124
(2) Jorge Chamorro, « La confidence des contrôleurs », op.cit., pg 130
(3) Hebe Tizio, « La confidence des contrôleurs », op.cit., pg 127