Anne FERRARI
La clinique du domicile est une pratique qui tend actuellement à se développer et qui questionne les modalités d’intervention du psychologue. Aller à la rencontre du patient, de l’autre, s’inscrit ici dans une réalité de territoire, de cadre, de demande, d’accueil qui est autre que celle dont nous avons l’habitude dans nos pratiques institutionnelles ou libérales.
Ecouter l’autre dans son univers familier et singulier nous invite à rester ouverts à l’évolution de nos pratiques, en élaborant une réflexion nouvelle.
Pierre Charazac, psychiatre psychanalyste exerçant en gérontologie, se demande si le fait que la pratique du domicile soit finalement peu développé, et notamment en France, ne serait pas en partie liée au contre transfert du psychothérapeute. « A domicile, la fonction pare-excitante du cadre paraît se renverser ». Le cadre de vie du patient, son enveloppe naturelle, devient excitant pour les sens du thérapeute.
Pourquoi, dans quel cadre, et pour quels patients avons-nous été amenés les uns et les autres dans cette pratique de la consultation au domicile ?
Cette pratique est sous tendue par une position éthique, celle de pouvoir rendre accessible le soin psychique aux patients qui, dans une situation de perte d’autonomie, qu’elle soit motrice, psychique ou cognitive, qu’elle soit du fait d’un handicap, de l’âge, ou d’une maladie, ne peuvent accéder aux dispositifs dits de «droits commun ». Elle s’adresse ainsi à des patients, à des entourages, à priori « inaccessibles » aux consultations psychiatriques ou psychothérapiques, inaccessibles, parce que quelque chose vient empêcher le sujet.
Vous entendrez parler ce soir, à travers plusieurs interventions du Réseau de santé. Il s’agit d’une organisation médicopsychosociale alliant la pluridisciplinarité au lien ville-hôpital. La coordination et le maillage des acteurs de santé qui travaillent ensemble avec l’aide du réseau est sous tendu par l’objectif d’assurer une meilleure continuité des soins. La consultation psychologique à domicile s’inscrit ici dans une démarche globale et pluridisciplinaire.
Au sein du réseau Agékanonix, ce dispositif est mis au service de deux questions qui s’entrecoupent : celle de la « perte d’autonomie », et celle du « maintien au domicile ».
Le réseau est dans les interstices, il est là pour faire lien, pour permettre l’ouverture, l’articulation et faciliter la circulation des professionnels comme des patients dans les différents espaces favorisant une approche globale.
Le Dr Lana va vous faire part d’une autre pratique, rattachée au secteur, et qui met en jeu la question de l’inscription du patient dans le soin.
Cette pratique et la problématique de la « perte d’autonomie » posent d’emblée une question, celle de la prégnance de la réalité, qui prend forme à travers plusieurs questions : la réalité du médical, la réalité du corps empêché, la réalité d’une organisation du quotidien qui est souvent pour les patients comme pour les professionnels la préoccupation première, la réalité d’un lieu, le domicile qui va venir contenir et figurer toutes ces réalités.
Cette réalité qui tend « à fixer notre attention sur le cadre au détriment du monde intérieur de chacun » (P. Charazac) peut mettre en difficulté le thérapeute et le travail psychothérapique.
Le domicile du sujet devient un espace ouvert, où les intervenants extérieurs, médicaux et paramédicaux peuvent être de passage tout au long de la journée. Le nombre des intervenants à domicile vient parfois fragiliser l’intimité, effracter un « chez soi » qui pour certains sujets est équivalent à « soi ». Martine Lamour se demande « Comment faire pour que, métaphoriquement, les murs de l’appartement ne deviennent pas des cloisons de verre, exposant la famille au regard de tous ? ».
Le domicile peut encore se trouver espace figé, privé de subjectivité, où le rythme des soins va venir instrumentaliser un corps, une relation. Mais cet espace peut également se trouver fermé, lorsqu’il y a un refus des interventions professionnelles, un déni d’une pathologie, une relation fusionnelle qui empêche l’accueil de l’autre.
Parfois, il n’y a pas de place pour le psychologue, qui vient introduire un autre temps, un temps subjectif, un temps psychique qui n’est pas le temps des soins.
On retrouve rarement une demande construite. Mais très souvent l’on peut entendre une plainte, un appel, ou une attente. La rencontre, si l’on arrive à l’instaurer, peut faire sortir de cette non-pensée et faire naitre un travail qui permettra de co-construire, d’élaborer et d’inscrire une première demande.
La proposition d’une intervention à domicile du psychologue, déjà en elle-même, est là pour dire quelque chose et va influer sur le processus thérapeutique (Cohier Rahban). Cette proposition prend en compte cette réalité à laquelle est confronté quotidiennement le patient, empêché dans ses mouvements, dans ses déplacements, dans son investissement de l’extérieur.
L’introduction du psychologue s’appuie sur un travail pluridisciplinaire, pensé et construit en amont.
Comment d’un professionnel qui arrive au domicile comme beaucoup d’autres, quelque chose de la spécificité du psychologue s’instaure ? Notre intervention n’est ni dans le faire, ni dans le soin, ni dans le rééducatif. Comment le psychologue va-t-il soutenir la différenciation ?
Au sein du domicile, il faut aménager un autre lieu, celui de la rencontre, et de ses effets subjectifs.
Pour reprendre les termes de F. ELLIEN, « Il nous faut permettre l’émergence d’un lien psychique qui autorise une relation à l’autre en dehors de tout objectif (…) Au domicile, il nous faut bricoler un espace et un temps où la parole peut quitter le champs social et familier pour permettre au patient une élaboration psychique ».
Ce qui fait le « psy » finalement, ce n’est ni son espace de travail, c’est la singularité de ce qu’il propose au patient dans la rencontre, c’est la spécificité de cette offre de parole.
Nous sommes face à des sujets qui sont pour des motifs variables, en difficulté pour créer et maintenir des liens, notamment avec l’extérieur, ou ce lien tend exclusivement à être médicalisé.
Aller au domicile, c’est franchir ce seuil, c’est venir du dehors pour entrer. C’est ensuite, repartir. C’est amener des éléments extérieurs, le manteau, les mains froides, l’humidité de la pluie. C’est emmener « on ne sait où » quelque chose d’une parole, d’une intimité qui nous a été accordée par le patient. Trahir auprès d’autres ? La question, « où allez-vous maintenant ?», anodine, et pourtant rituelle, signifiante. Le domicile, le seuil, le déplacement sont des éléments qui prennent sens et nécessitent une élaboration.
En se rendant au domicile, le psy se met en position d’être déstabilisé. Il ne sait ni où ni par qui il sera accueilli. Il va avoir accès d’emblée à un certain nombre d’informations, sans qu’elles soient portées par le langage.
Quel lien le sujet entretient-il avec son domicile, ce lieu réorganisé par la maladie, ce lieu parfois trop ouvert, ce lieu dans lequel il est souvent isolé, en tout cas mis à l’écart d’une réalité extérieure, d’une inscription dans le social.
Le domicile peut à l’image d’un corps qui emprisonne se faire lieu d’enfermement ; ou il peut se faire enveloppe pour des patients souvent habités par la peur du dehors ; en tout cas il prend sa place dans l’économie psychique du sujet et entretient notamment un rapport étroit avec la dimension du narcissisme. La perte d’autonomie et le mode selon lequel elle est vécue va retentir, se rejouer dans des modes particuliers d’investissement de l’espace du domicile. Des angoisses massives peuvent être projetées sur l’extérieur, et le domicile devenir, tel un radeau, le seul lieu dans lequel le sujet se sente rassemblé. La maison devient arrimage. Pour certains patients « L’enveloppe physique du domicile devient alors indispensable pour rester soi même dans la rencontre avec l’étranger » (M. Lamour).
L’espace du domicile vient-il parasiter l’écoute ? Ne peut-il être pris en compte comme une expression du sujet lui-même, sa façon d’être au monde, de l’habiter ? Dans la rencontre avec le psychologue, le domicile devient un espace dynamique où sont transférés, mis en scène différents mouvements psychiques et relationnels. Comment faire une parole de ce qui est dit dans l’espace ?
Peut être ce soir allons nous essayer d’évoquer plus que le travail « au » domicile, le travail « avec le domicile ». Il s’agirait finalement d’intégrer l’espace du domicile dans la prise en charge. Domicile qui au contraire nous permettrait une appréhension du monde interne du sujet ?
Comment faire du domicile un partenaire ou du moins un outil dans la relation thérapeutique ?
En première conclusion, je souhaiterais ajouter que l’intervention à domicile n’est pas une fin en soi. Dans certaines situations, elle va être ce qui permet la rencontre, ce qui permet à travers l’instauration d’un lien de confiance, de contenir et traiter, pour accompagner dans un deuxième temps, le patient ou son entourage vers l’extérieur et créer ainsi de nouveaux espaces, relancer une dynamique relationnelle, une mobilité psychique.