Dario MORALES
Pour cette première table ronde dont le titre est « apprendre de la clinique : la réalité du cas » les interventions tournent autour de l’interrogation sur la conjonction nécessaire de la pratique et de la formation du clinicien. Au fond, ce qui fonde la pratique, le fondement de son orientation, c’est la réalité du cas ; le réel c’est la vérité ; ce qui sert de boussole, ce sont les dispositifs qui interrogent les modalités dont le clinicien s’autorise, se positionne comme praticien (1) dans ses actes de thérapeute. Que veut dire cela ?
Premièrement, cela veut dire que la réalité du cas, opère à chaque occasion, produisant une disjonction (nécessaire, salutaire, parfois contradictoire, parfois angoissante) de la pratique et de la théorie ; plusieurs situations me viennent à l’esprit : lorsqu’il s’agit de traduire nos propos à un patient, d’interpréter ou de penser à la construction théorique du cas ; lorsqu’il s’agit de dire quelque chose de notre place du clinicien dans les réunions de synthèse, dans les échanges avec d’autres collègues, enfin, lorsqu’il s’agit de penser aux impasses, au volte face qu’un suivi peut susciter. Ces disjonctions peuvent produire des moments de doute, d’hésitation et de remise en question ; mais par la rupture qu’elles produisent elles permettent la production d’un savoir ; tout savoir est au fond une résistance au réel, reflet banal de la disjonction existante entre le domaine empirique et le processus de pensée. Un psychanalyste anglais, lui-même épistémologue, formulait par exemple que les théories de la psychanalyse sont des théories privées. Pour un autre, la théorie psychanalyse est menteuse. Pour sortir de ces apories, de ces clivages, il faut opérer un recentrage afin de surmonter le pluralisme des théories privées et du discrédit du mensonge (2).
Je vais le dire simplement, lorsque nous parlons d’un cas; lorsque nous sommes en entretien avec un patient, lorsque nous sommes à son écoute, nous entrons dans l’univers du langage, du discours, du sens et en même temps nous disons qu’il y a un réel en jeu dans l’expérience. Etrange catégorie que ce réel, qui vient se mêler ici, brusquement dans cet univers marqué par la recherche du sens. Car, le réel et le sens tendent à s’exclure. Or la clinique, nous fait découvrir qu’elle a affaire à un réel incluant du sens. C’est cela qui définit le symptôme, dans le dernier enseignement de Lacan, le symptôme est dans le réel et il a un sens. La clinique, la psychanalyse, tend donc à opérer sur le symptôme afin de le dissoudre dans le réel. Opérer sur le symptôme, cela suppose opérer sur le symbolique inclus dans le réel, lui-même inclus dans l’imaginaire. Opérer sur le symptôme, cela suppose inclure une vérité dans le réel, vérité pouvant être au fond un mensonge. Vous voyez nous donnons raison en quelque sorte aux épistémologues sans pour autant tomber dans des théories privées. A la différence, qu’ici la clinique ménage en quelque sorte la place où s’inscrit la vérité, la vérité menteuse. Si nous prenons acte de cela, nous comprenons pourquoi la vérité ne peut être que mi-dite. Au fond d’elle gît un trognon de mensonge, qu’on appelle la jouissance.
Lorsque nous entendons la vérité-mensonge de la bouche des patients, nous restons parfois déconcertés. D’où le contrôle, la formation ; venir au contrôle, c’est faire la démarche que le clinicien ne se précipite pas à comprendre mais qu’il peut prendre le temps d’apprendre la langue du patient, c’est s’assurer que l’inconscient est au travail. C’est pour cette raison, pour ce qui est de la boussole, on n’est plus du côté de la vérité, mais du côté du savoir (3). Ici on n’est plus dans la technique mais dans la politique de la clinique dans la mesure où le clinicien s’autorise d’une tactique qui s’inscrit dans la stratégie de la cure, témoignant ainsi des avancées mais aussi des impasses. Il faut savoir également, que souvent sa démarche s’inscrit au sein de l’institution où il exerce. La question est donc comment s’autoriser de son acte, sans se croire le seul partenaire du patient, en sachant recourir aux autres partenaires du collectif dans les jeux permutatifs et inventifs ou contradictoires qui existent dans nos institutions. « Pourquoi voulez vous que le patient revienne ? » « Mon problème, c’est que je ne sais pas comment faire avec mon patient ? » (4). Je veux mettre en tension deux éléments importants à signaler dans les vicissitudes des suivis : qu’il s’agisse des contrôles individuels ou en institution : faire de sorte que le savoir ne soit pas une entrave dans le travail du patient, ni dans la réflexion du clinicien ; cela suppose qu’il faille se destituer de l’illusion d’un lieu du savoir afin que chacun s’autorise en sa personne, et se destitue de l’illusion d’être le seul partenaire.
Lacan indiquait deux aspects du contrôle : les contrôlés sont comme les rhinocéros, ils font à peu près n’importe quoi, ils foncent à l’aveuglette, guidés par leurs oreilles ; le deuxième aspect est qu’il faut jouer de l’équivoque de la langue du patient pour interpréter. En contrôle, on présente un cas, on soumet un texte, il faut un contrôleur qui ne s’identifie à la place supposée du maître pour encourager le travail ; on oublie souvent le rhinocéros, il faut pourtant un long chemin pour que le rhinocéros puisse se laisser enseigner par le symptôme (5) ; mais il faut savoir accompagner son trajet ; il semble que parfois, on ne prend pas cette première étape en compte. Nous allons assister dans cette première table ronde, à l’histoire du rhinocéros ; vous allez pouvoir les situer dans des moments de passage ; où l’on rencontre les questions du clinicien praticien qui est parvenu à formuler des hypothèses du cas et situer ces changements de position lorsqu’elle s’est mise à jouer de la langue anglaise chez Jude ; lorsqu’elle a pris du recul vis-à-vis de la mère de Lili. Ces moments sont en relation avec l’effet formatif du contrôle. Ecoutons ces deux psychologues cliniciennes ; des rhinocéros attentifs à la langue des patients.
1 « La confidence des contrôleurs », La Cause Freudienne, n°52, nov. 2002, p. 126
2 « La « formation » de l’analyste », Miller J.-A, La Cause Freudienne, n°52, nov. 2002, p. 34
3 « La confidence des contrôleurs », op. cit., p. 124
4 « La confidence des contrôleurs », op.cit., p. 130
5 « La confidence des contrôleurs », op.cit., p. 127