Michèle Bouvard
Le parcours de Claire, que Martine François et Laurent Cueff,1 nous ont présenté lors de la soirée de l’APCOF, du mercredi 21 octobre 09, est assez exemplaire du parcours de ces patients autistes qui, devenus adultes, aboutissent à l’hôpital psychiatrique, faute d’autre solution.
L’autisme infantile ne concerne pas seulement les enfants.
Les enfants autistes, comme les autres, grandissent, vieillissent, et il vient un temps où ils n’ont plus leur place dans les institutions pour enfants ou adolescents.
Pour certains, qui n’ont pas acquis suffisamment d’autonomie, ou dont les comportements restent très dérangeants, se pose alors la question d’une orientation à la sortie de ces institutions. En France, il existe très peu de lieux capables de les accueillir. C’est pourquoi on a souvent recours à la Belgique ! En France, le lieu qui continue à remplir une fonction d’asile, (et encore pour combien de temps ?), c’est l’hôpital psychiatrique.
Quand on veut montrer l’hôpital psychiatrique dans les médias, il y a une image spectaculaire, facile à faire, celle d’une personne au sexe indifférencié, en chemise de gâteux, qui se balance inlassablement sur une chaise, ou qui se frappe en poussant des cris inintelligibles, le tout dans un décor désaffecté. Un autiste. L’image même de l’abandon, de la déshumanisation, de la maltraitance dont serait capable le milieu psychiatrique.
Cette image qui scandalise l’opinion publique, nous serons d’accord pour dire qu’elle est quelque peu caricaturale, mais nous savons aussi qu’elle dit quelque chose d’une réalité, à savoir qu’il y a effectivement des malades qui sont ainsi dans une position de déchet ; de déchet de la société, et en bout de course de déchet de l’institution psychiatrique. Bien sûr, ce sont les cas les plus sévères d’autisme qui arrivent à l’hôpital. Ceux, comme Claire, qui sont en proie à une jouissance bien difficile à limiter. Cette jouissance débordante a épuisé les équipes, les unes après les autres. Ce qu’elles ont à transmettre, c’est essentiellement la répétition. La temporalité dans sa chronologie, avec ses moments marquant, ses scansions, s’efface, au point que, souvent, ces sujets n’ont plus d’histoire, ou que cette histoire se résume au passage d’une institution à une autre.
Dans ces conditions, on peut s’attendre au pire, en effet. Mais le pire n’est jamais sûr. Les Petites Maisons Spécialisées pour Adultes Autistes sont nées du refus d’une équipe psychiatrique d’accepter ce qui pourrait apparaître comme une fatalité, et de leur souci de traiter ces patients autistes comme des sujets à part entière.
Ce fut une longue histoire qui a demandé beaucoup de temps et de patience, il serait difficile d’en tirer une image choc, comme celle à laquelle je me référais. Jean-Jacques Carron développe les trois temps de cette histoire qui a abouti à un partenariat du secteur psychiatrique avec une association du milieu médico-social, l’APAJH 91. Ce montage dissocie l’hébergement et la vie quotidienne d’une part, pris en charge par l’association, et d’autre part, le soin qui continue à être assuré par le secteur.
Aujourd’hui, quatre Maisons ont été ouvertes, maisons dans la ville. Dans chacune vivent quatre résidents, accompagnés d’une équipe éducative. Ils sont des citoyens dans la ville, bénéficiant des mêmes services de santé auxquels tout un chacun a droit. Ils ont un médecin traitant, et vont sur le CMP de secteur pour des consultations spécialisées, ou des activités thérapeutiques séquentielles.
L’objectif des Maisons n’est pas éducatif, d’autant moins que nous n’avons pas affaire à des enfants, les résidents ont entre 20 et 60 ans. Il s’agit plutôt, de faire en sorte qu’ils vivent le mieux possible chez eux. Les éducateurs, AMP et TISF, sont là pour les y aider. Ce qui est demandé aux équipes, c’est d’être attentif à chacun des résidents, et à partir de là de tenter d’organiser quand même une vie collective.
Simple mais pas facile. C’est pourquoi les équipes des Petites Maisons et les équipes de secteur, travaillent ensemble régulièrement. On se réunit tous les quinze jours pour parler librement de ce qui se passe avec les résidents, les difficultés rencontrées, les tentatives de réponse inventées etc… Une fois par trimestre, nous travaillons sur des textes, ou sur une question plus précise. La psychanalyse oriente notre réflexion.
Mais tout cela est très fragile. L’originalité même de notre fonctionnement, à savoir le partenariat au quotidien des équipes psychiatriques et éducatives, le rend fragile. Il tient au désir des personnes, qui peut se heurter à tout moment à d’autres logiques, logique gestionnaire en particulier.
Pourtant c’est au prix de ces échanges, qu’il nous semble qu’un travail peut être soutenu auprès de ces patients autistes.
Le témoignage de Martine François et Laurent Cueff montre comment ce travail peut amener les équipes à se laisser interroger, sans se dérober, à se laisser enseigner par les sujets autistes auxquels ils ont affaire.
Et quand on a affaire à l’autisme, la question du corps est très présente, c’est-à-dire un corps qui n’est pas pris dans le langage, un corps qui est une sorte de montage plus ou moins opérationnel. C’est une difficulté de comprendre cela, pour nous qui sommes fascinés par l’imaginaire, et toujours en quête de sens. Il s’agit là d’accueillir les choses avec le moins de préjugés possible, le moins de significations. C’est aussi de cette opération de déprise que parlent Martine et Laurent au nom de leur équipe.
1 Martine François, TISF, et Laurent Cueff, éducateur spécialisé, travaillent aux Petites Maisons spécialisées pour Adultes Autistes