Philippe Lacadée
Dès sa lettre 46 à Fliess1, Freud situe l’enjeu de l’affect en écrivant « l’excédent sexuel empêche la traduction en images verbales ». Freud explique que ce qui reste non traduit demeure à l’état de traces mnémoniques susceptibles de libérer une certaine énergie, soit un affect, lors de l’éveil d’une autre scène.
Lacan, lui fera valoir que l’excédent de jouissance empêche la traduction en signifiants. C’est ce qui reste ainsi comme intraduit qui mobilise le corps et se met à jour pour le sujet sous la forme d’affects plus ou moins insupportables pour lui.
Robert Musil, dans son livre « Les désarrois de l’élève Torless », écrit lors d’une rencontre avec une scène impliquant l’Autre sexe : « Les mots n’exprimaient pas la chose ; les mots la faisaient plus grave qu’elle n’était ; c’était quelque chose de tout à fait sourd, une sensation d’étouffement dans la gorge, une pensée à peine saisissable et qui ne prendrait cette forme que si l’on insistait pour la traduire en mots ».2
Lors d’une conversation avec un camarade sur la bizarrerie de son père, Torless se met lui aussi à trouver son propre père bizarre, puis son regard est happé par les mains de son ami, qu’il ne cesse d’observer pendant que celui-ci parle : « Elles avaient quelque chose d’obscène. […] qui faisait courir sur le corps de Torless un frisson de dégoût. Il fut lui-même déconcerté et un peu effrayé par cette découverte. C’était la deuxième fois de la journée qu’un élément sexuel s’insinuait ainsi à l’improviste, hors de propos, dans ses pensées »3. L’indication de Musil est très précieuse de nous révéler comment l’élément sexuel, toujours étranger pour un sujet, se manifeste de façon insidieuse et le heurte à un point d’impasse, sans solution de traduction signifiante, sans mots. Il en éprouve alors un affect sur le mode d’un frisson de dégoût. Et c’est alors aussi ainsi que se présente l’issue de l’insulte. Cette insulte, censée viser l’être de l’autre, est en fait une tentative du sujet pour métaphoriser l’en-trop de jouissance rencontré qui l’affecte, soit l’objet indicible de son être, sur le mode du frisson de dégoût, pour s’en séparer en l’excluant, en le projetant vers cet autre : « Torless brûlait de couvrir d’injures son camarade, mais les mots lui manquaient »4. Que faire de ce réel surgi au cœur de son être sur le mode de l’affect là où un éprouvé ne peut être traduit?
Pour Lacan, l’affect est une vraie touche du réel se présentant comme ce qui ne va jamais comme on veut. Lacan n’a jamais tiré l’affect vers l’émotion mais plutôt vers la passion soit ce qui pâtit du rapport du sujet au signifiant, lui accordant une valeur de signal, de signe. Si Lacan qualifia l’affect de ce qui s’exprime en se passant du signifiant, il n’en fit jamais la voix du corps. Il ouvrit plutôt la voie freudienne, celle mettant l’accent sur l’implication du signifiant dans l’affect.
C’est comme cela que Lacan nous a appris à situer la colère qui n’est pas une émotion mais bien pris dans le rapport du sujet à l’Autre. Comme le disait Péguy on se met en colère « quand les chevilles ne rentrent pas dans les petits trous ». S’il s’agit dans l’affect du corps c’est surtout des effets du langage sur le corps.
Si l’affect est effet de vérité Lacan a toujours fait valoir qu’il n’était pas réductible au signifiant mais illustrait plutôt qu’il n’est jamais inconscient. Il n’a pas avoir avec le refoulement, ainsi Lacan s’insurgeait contre ceux qui parlait de l’affect comme un sentiment inconscient. C’est là où il est important de rappeler que les pulsions ne sont jamais conscientes que seul le représentant a valeur de signifiant. J-A Miller recommande de revenir au texte de Freud pour saisir comme il opère de façon patente et constante une division entre l’idée représentante, le signifiant de la pulsion et ce qu’il appelle le facteur quantitatif. Si le représentant est refoulé, le facteur quantitatif va lui à la dérive5. Ce facteur quantitatif est l’affect au sens propre. Il est cet intraduisible qui subit des avatars, des vicissitudes propres, c’est ce qui se déplace, se remue, qui agit au niveau du corps du sujet comme désarrimé, poussant certains d’eux à devenir eux mêmes, ces êtres désarrimés, désacccompagnés de la présence de l’Autre.6
La thèse de Freud est claire, précise J-A Miller : seule l’idée, soit le signifiant liée à un affect est inconsciente, refoulée ; l’affect en lui-même n’est jamais inconscient, il est un processus de décharge, le quota d’affect ne subit jamais le refoulement, il est là comme cette énergie pulsionnelle intraduisible. L’affect nous dit Lacan peut être fou, inversé mais pas métabolisé. Il est cet équivalent d’un surplus de libido inutilisé comme un quota d’affect baladeur, cet élément errant qui parfois pousse plus d’un sujet à la vivre cette errance, au nom comme le disait le poète d’un dérèglement de tous les sens, afin de vivre dans la liberté libre ces sensations inédites et immédiates.
C’est pour cela que pour se repérer dans les affects il faut un appareil adéquat soit l’éthique, car il s’agit dans l’affect de ce qui relève du sujet et du signifiant, le sujet est affecté dans ses rapports à l’Autre, et c’est pour cela qu’il nous faut y ajouter un troisième terme la jouissance7.
L’éthique concernant le rapport à la jouissance vise le bien-dire soit l’accord du signifiant et de la jouissance, leur mise en résonnance soit une façon de faire sonner le corps d’une autre façon dans la langue ce qui permet de cerner dans le savoir ce qui ne peut se dire, cet intraduisible.
Jérôme, jeune adolescent schizophrène de 16 ans, rencontré dans l’hôpital de jour pour adolescents : « La demi-lune »8 pour adolescents où j’ai travaillé pendant 35 ans va nous permettre d’interroger les affects qui agitent un sujet en produisant de l’insupportable pour lui mais aussi pour ceux qui l’accueillent.
Dans la psychose, les phénomènes qui affectent le corps révèlent une dimension réelle, la jouissance se faisant invasive. Le pari consiste à soutenir que les affects figés ou fixés sur le corps puissent se transformer en nouveaux affects plus pacifiés. Si la jouissance se délocalise massivement, dans la prise en charge proposée nous avons à nous en faire le partenaire pour tenter de la localiser afin de produire des effets d’apaisement.
Si l’affect type produit par le lien analytique, c’est l’amour de transfert, on va voir comment pour Jérôme grâce au travail en institution, un certain transfert calculé a produit chez lui de l’amour, lui offrant une issue possible aux affects violents de son corps.
La diversité des phénomènes qui vont de l’angoisse, à la dépression, aux idées suicidaires, aux scarifications, aux passages à l’acte ont perturbé la parole de Jérôme et déclenchés des affects souvent insupportables pour l’équipe soignante sous le mode de l’angoisse et ses versions adressées à l’Autre de l’institution soit la plainte et l’impatience.
Pour Jérôme, la fonction de ses organes lui fait problème du fait de sa schizophrénie. S’impose alors à lui de trouver et d’inventer la fonction de chacun de ses organes, sans le recours, dit Lacan, d’aucun discours établi. Ainsi Jérôme du fait d’être hors discours établi, se trouve conduit à faire entrer dans le réel de son corps, à toute force du moins. La soustraction structurale s’inscrit pour lui, dans le réel de son corps, sous la forme de marques traumatiques, de blessures, voire de mutilations répétitives, ou de coups sur celui de l’autre.
Depuis l’âge de cinq ans, suite au divorce des parents, Jérôme est en institution, et en famille d’accueil. Il est orienté d’abord vers un IR, pour « une agitation importante avec accès de violence et incapacité à s’adapter au milieu scolaire ». Il y reste de l’âge de cinq à douze ans, puis change d’institution pour aller dans un ITEP.
Quand il a 10 ans son père récupère la garde de son fils la semaine, Jérôme passant alors le week-end et les vacances chez sa mère.
Le psychiatre de l’ITEP nous l’adresse lors de ses 15 ans car Jérôme se met en danger physiquement. Il se blesse, s’automutile surtout les bras. Mais il est surtout trop violent avec les autres. Il est accueilli alors dans notre hôpital de jour à mi-temps.
Ce qui affecte le corps
D’emblée, dès ses journées d’essai, il nous témoigne d’un insupportable de la demande de l’Autre. Très pris par les signifiants qui se déroulent ainsi en lui, ses mots sont sans aucun nouage à la signification. On relève surtout un point d’impact de certains signifiants sur son corps, lui produisant une jouissance hors sens. Un jour il nous dit : « Au musée du toucher, on a les yeux bandés, c’est pour ça que je les ferme, et les yeux, on les a là » dit-il en montrant ses blessures sur ses bras. Ceci n’est aucunement une métaphore pour lui, mais l’illustration que son rapport au corps est fort perturbé. L’objet regard ne s’est pas séparé de lui, il l’a, là, sur ses avant bras. Cela, dès lors, nous oriente pour saisir l’enjeu de ses marques sur son corps, comme tentative de se séparer de cet objet pulsionnel surgit dans le réel de son corps.
Dans la discussion avec lui, on remarque surtout des moments où dans une phrase, il semble rencontrer un trou et se laisser tomber dans un silence comme si surgissait là, une coupure dans le réel. Il éprouve alors, là, une grande lassitude corporelle tout à fait visible comme s’il effondrait.
Il a un rapport au corps très singulier d’où surgit la mise en scéne de l’insupportable de son corps. Un corps d’aspect bizarre, très malléable, nous disant : « je suis caoutchouc ». Il se présente dans des postures désarticulées, comme un corps objet à regarder en exigeant que l’on regarde ce qu’il sait faire avec son corps. Souvent il arrive dans notre dos, sans que nous nous y attendions, se plaque contre nous, passe son bras droit autour de notre cou en mettant une forte pression courte avec son bras, en disant « meurtre », puis nous lâche rapidement, non sans un rire ironique jouissant de l’affect insupportable ainsi produit.
De l’impossible traduction à l’image verbale
Au cours d’entretien parfois il se lève criant: « Puisqu’on ne veut plus de moi ici, puisque ça ne va pas chez moi, je vais me suicider ». Ainsi, un jour, il quitte le bureau en disant « J’ai eu envie de faire quelque chose qui me fasse vraiment mal ». Un jour aussi il dira « J’ai voulu sortir du corps ma souffrance ». Ces phrases nous donnent le texte de la pantomime de ses comportements, elles sont un vecteur d’orientation sur la fonction de ces actes d’agression et de son pousse-à-la-blessure.
Ce bien-dire nous indique son vouloir localiser dans le réel du corps, une jouissance insituable, afin de l’extraire par un acte.
Il témoigne toujours d’événements singuliers montrant qu’il rencontre des phénomènes de corps où la dimension psychotique est évidente. C’est ce qui déclenche alors ses coups et blessures qui lui servent à arrêter les hallucinations rencontrées toujours dans les moments de vide de ses errances. D’en dire quelques mots avec nous lui permet de passer de ses hallucinations à une traduction en images verbales.
Ainsi, un jour, passant devant un camp de gitans, il voit une tête coupée posée par terre, il s’enfuit et erre longtemps dehors: « c’était dégueulasse », et arrivé au centre de jour il tape un autre adolescent.
Un week-end étant rentré dans un blockhaus construit par les allemands, il dit « j’ai vu des matelas par terre avec des corps pourris tous desséchés ». Il raconte aussi plusieurs fois une scène d’accident, entre une voiture et un piéton, « le piéton avait le corps explosé sur la route, les tripes sur la chaussée ». Il décrit alors confusément un dépeçage par les pompiers du corps « crevé » du piéton. C’est ce qui provoque alors une agression contre des voitures.
Se faire mal sur le mode de l’acting-out
Jérôme se met physiquement en danger, parfois dans la confusion de son corps avec un autre, il se fait des blessures et empêche les plaies de se refermer. Sa parole que nous essayons d’entendre permet une mise en forme de ses actes sur le mode d’acting-out où il ne tient pas compte de ce qu’il dévoile lui-même. Ce qu’il ne peut dire alors se met en scéne impliquant l’adresse à un autre, la mise en jeu de son corps et surtout l’objet regard.
Il parle alors de sa dernière blessure au bras qu’il n’a de cesse de rouvrir apparue juste après une errance sur les quais où il avait été très perturbé par le salon de l’érotisme, par ce qu’il disait y avoir vu, alors qu’il n’avait pu y entrer, ayant moins de 18 ans.
On repère qu’il trouve dans le fait de se blesser, de se faire mal, de se couper ou se faire saigner, ce qui peut pour lui faire limite. C’est sa façon de trouver une solution à son manque de repères symboliques pour son corps.
Le se faire voir de la pulsion et la mise en jeu de l’objet regard
Dés le début de son séjour nous nous sommes montrés sensibles à ce qu’il présentait de façon insupportable pour l’équipe, sur la scène institutionnelle soit un pousse-à-la-blessure sur lui mais aussi sur l’autre.
Avec ses phénomènes de blessures, il suscite sans cesse la question du regard. Il est une pure cicatrice totalement désarrimée. On a bien là le témoignage que le se faire voir de la pulsion vient répondre dans le réel, au vide de la forclusion et à l’impossible traduction en mots. La phrase de Lacan reprise de Freud, ce qui n’est pas symbolisé revient dans le réel, s’applique aussi bien au passage à l’acte qu’au délire ou à l’hallucination. La rupture qu’il met en jeu avec le lien qu’il noue avec l’institution le laisse face à un vide auquel ne peut que répondre l’exercice de la pulsion de mort dans le réel sur le mode de se faire voir dans l’accès de violence.
Chaque fois qu’une séparation, qu’une rupture surgit dans la vie de Jérôme, l’accés de violence se met en jeu alors sur le mode pulsionnel de se faire battre, se faire blesser, se faire souffrir, se faire voir comme corps blessé.
Lorsqu’il se fait saigner, il pense que son sang va gicler, et dramatise ses atteintes corporelles. Son corps éclaté envahit la scène de l’hôpital. Il dit qu’il n’a pas de bords et que tout ça ne lui fait pas mal et que c’est justement pour ça qu’il tente de se faire mal. Il dit ça avec un grand sourire, montrant son corps blessé à tout le monde. Il se fait voir comme corps marqué par ses blessures.
Le travail à plusieurs mis en place avec nous a permis de mieux situer ce qui relevait de l’acting-out où la dimension du regard était présente sous le mode d’une quête de l’Autre et ses passages à l’acte qui sont l’indice d’un lâchage de la chaîne signifiante, le confrontant dès lors à une déstructuration du corps. Ce n’est pas pareil de penser que ce sont des appels d’abandonnique, que de les situer comme signes de l’affect d’un laisser tomber du corps. C’est bien pour cela que de façon compulsive il se met à faire vivre son corps en trop en l’affectant de blessure comme pousse à chercher ce qui pourrait le limiter. Ce qui le limite consiste soit à se confondre dans le corps de l’autre jusqu’à l’agresser ou l’aspirer, soit se blesser et à empêcher les plaies de se refermer.
Il réclame la présence d’un adulte mais au bout d’un moment, surtout s’il lui est demandé quelque chose dans le cadre de cette relation, il coupe et s’en va. Un savoir y faire avec l’angoisse qu’il produisait a permis, qu’un traitement de la coupure se mette ainsi, en place avec lui en jouant de notre présence/absence: consentir à s’offrir comme présence corporelle pour qu’une coupure se fasse, en jouant de notre là/pas là pour lui. Ainsi lorsqu’il était en relation avec un soignant nous actions une coupure en extrayant ce soignant par une demande paradoxale surprenante pour lui. Cela eu pour effet de l’affecter d’un prélèvement au lieu de se couper lui-même.
Jérôme se sent apaisé d’avoir repris d’une autre façon dans les relations avec les soignants, son rapport traumatique au corps. Il dit qu’il a pu ainsi passer de la position d’être un objet, soumis à la volonté de l’autre, abandonnant son corps à l’autre, à la position d’un sujet se plaignant d’une certaine douleur. Il était en proie à une souffrance indicible. Il a pu subjectiver cette douleur, en être affecté. Comment cela s’est-il réalisé ?
La mise en place d’un circuit bordant son corps et surgissement de l’objet Voix.
Le séjour en institution lui a permis de chercher avec nous des solutions pour habiller son être d’objet qui s’agitait ainsi sans aucun arrimage à l’Autre.
Jérôme, lors de rencontres avec Gérald, infirmier avec lequel il a trouvé un point de confiance lui dit « quand je suis arrivé à la Demi-Lune, j’étais une bombe à retardement, maintenant je peux mieux en parler ». Nous avions décidé, suite à cet énoncé, que Gérald soit celui qui se montre docile à son errance et agressivité, en s’offrant comme recours ou secours d’un discours établissant, lorsque surgit cette pulsion qui passe dans le réel, un bord orienté par le fait de lui dire ce qui peut se faire et ce qui ne peut pas se faire : « je vais passer à l’acte, je ferai de la prison à vie. J’ai eu une enfance malheureuse, je ne supporte plus les petits ».
Un jour, ayant pris le couteau de son père, il le montre à tout le monde dans l’institution en disant qu’il va commettre un meurtre. Il dit l’avoir pris pour se sentir plus fort: « je vais le remettre, autrement, c’est des coups de pied du père ».
Il fait alors état de la violence de son père. On décide que Gérald le raccompagne chez lui pour qu’il remette le couteau à sa place sans que le père le sache.
Il met ainsi avec Gérald un circuit particulier, très souvent, après son départ, Jérôme téléphone à Gérald pour prendre des nouvelles de l’autre ado qu’il vient de blesser. Un jour il dit :« J’ai quelque chose en moi qui veut que tout le monde crie. La violence qui est en moi se renvoie sur tous les autres. Je n’ai pas envie de crier, alors je fais crier les autres ». Jérôme s’en prend souvent aux adolescents, les embête pour faire surgir leurs cris qui semblent être un point de fascination pour lui. Un jour il précisera que ce qui vient arrêter ses agressions, c’est faire crier l’autre en lui faisant peur ou mal, mais surtout qu’alors cela crie en lui comme s’il se sentait pousser à se faire crier de façon indicible. C’est là que s’est mis en jeu l’objet voix venant sonoriser le regard.
Alors Jérôme se mit à parler de son enfance. Ce travail de point d’appui sur Gérald lui permet de nouer son corps morcelé, traversé par le passage de la pulsion dans le réel, à des paroles adressées à l’autre, qui se fait le destinataire de son existence. Il raconte fasciné tout ce qu’il détruisait et surtout les réactions de terreur qu’il pouvait susciter chez les autres. On note le lien entre la destruction des écrans de télévisions et d’ordinateurs avec la mise en actes répétitive dans l’enfance d’une problématique de peur d’éclatement du corps au niveau de son ventre. Son récit de ses actes : « C’est mon corps, c’est mon ventre qui crie » lui déclenche un cri comme rire de jouissance.
Solutions pour traiter les marques du corps dans le réel et se faire un corps
Il va trouver des solutions de recours à un soutien dans un discours à condition que l’on s’en fasse le destinataire.
Tout d’abord, il va mettre en place une façon d’extraire l’en-trop de jouissance qui avant sortait par le sang de ses blessures, en crachant des crachats sanguinolents sur les murs de la maison. Il dit ne pas en être l’auteur. Il traite ainsi les marques de son corps par le sang en les produisant hors corps.
Puis il va inscrire son refus alimentaire très précis, en se nommant l’aspirateur pour signifier qu’il mange beaucoup, vite et n’importe quoi. Il avait au moment de la rencontre avec la nourriture une tendance à l’agression avec accès de violence. Il va se mettre alors à servir les autres de façon impérative de ketchup. C’est pour lui une façon métaphorique de faire circuler son sang. Il le dit « je vous donne mon sang ». Puis, il remplit les corbeilles de pain, ou remplit les pichets d’eau. C’est une façon de border son errance lors des repas, que l’on a soutenu car elle lui offrait la possibilité de s’inscrire dans un discours établi en institution.
Dés lors on constate une diminution de ses auto-mutilations, et accès de violence, un mieux être.
Un jour une éducatrice reçoit un cadeau au moment où Jérôme est là, il veut savoir ce que c’est, elle ouvre en sa présence et lui dit que c’est une place pour un concert de Grand Corps Malade (un slameur). Elle lui dit qu’elle allait certainement pleurer à certaines chansons ce qui le fait jubiler car il l’aime bien même s’il ne connaît pas ses chansons. Elle lui amène le CD et ils l’écoutent ensemble. Il a une préférence pour « Attentat Verbal », il l’écoute plusieurs fois le début en boucle. Il lui demande d’écrire ce texte qu’il met sur ordinateur et il va faire avec elle un usage précis de ce texte pour y loger avec ses mots à lui, dans le texte de l’Autre son corps blessé. Ce fut sa façon d’établir son corps dans le texte de Grand Corps Malade.
Etre le beau gosse et être amoureux.
Lors d’une ballade à Biarritz avec l’hôpital de jour, il croise une équipe de photographes de mode. Aussitôt il dit qu’il pourrait être top model. Il commence à se dire « beau gosse, c’est ma carrure ». Il précise que « beau gosse, c’est comme ça qu’on m’appelle ».
Puis s’appuyant sur le secours de « je suis un beau gosse ou un héros aux pouvoirs magiques » il parlera de son autre « facette recto-verso », soit il peut être très gentil soit il peut faire le mal.
C’est ce nouage précis d’une construction d’une image recto-verso qui est venue en lieu et place de son corps désorganisé, puis entamé, puis blessé. Ainsi il amène un parfum dont il s’asperge régulièrement dans des moments d’angoisse, il se met du gel dans les cheveux et soigne sa tenue vestimentaire. Un souci de plaire à l’Autre surgit au près de nous, nous demandant comment on le trouve. Puis il va dire qu’il est amoureux de Mathilde. Il va souvent voir l’instituteur pour écrire avec lui l’énigme amoureuse que soulève sa relation avec Mathilde. Il lui demande d’être son scribe. Ainsi il va trouver le secours du discours être amoureux et aura recours à l’écriture de la poésie.
1 Freud Sigmund, Naissance de la psychanalyse, « Lettre à Fliess, n°46 », PUF 1956, p 145.
2 Musil Robert, Les désarrois de l’élève Torless, Paris, Seuil Points , 1960, p 25, cité dans Vie éprise de parole de Lacadée Philippe, « Le surgissement de l’insulte comme traitement de la jouissance », Editions Michèle, 2O12, pp 215-222 .
3 Ibid p 31.
4 Ibid p 32.
5 Miller Jacques Alain, « A propos des affects dans l’expérience analytique », in « Les affects et l’angoisse dans l’expérience analytique », Actes de l’Ecole de la cause freudienne, Novembre 1986, pp 119-125.
6 Lacadée Philippe, « La vraie vie à l’école », Editions Michèle, 2O13, p 56.
7 Miller J-A, op, cit.
8 Centre de jour « La demi-lune » , Villenave d’Ornon, près de Bordeaux.