Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Être ou ne pas avoir

« Être ou ne pas avoir »

Dario MORALES

La femme, le féminin et la féminité. Pour comprendre ce qu’est le féminin il faut le distinguer de la féminité. La féminité c’est la représentation, l’imaginaire, alors que le féminin c’est le pas-tout, manque-à-être recouvert par le masque, la mascarade de la féminité. Le féminin est recouvert par le voile de la féminité. Autrement dit, la seule manière de toucher le féminin c’est le masque lui-même et non pas ce qu’il ya derrière le masque. Car au fond derrière le masque de la féminité il y a le manque propre à tout sujet, ici le rien du féminin. Il faut savoir que la féminité se constitue via l’identification au signifiant phallique et le désir de la femme est désir d’être désirée. Pour le dire de façon plus concrète, le masque, la mascarade est liée à l’insigne, à l’emblème phallique. Rappelez vous les petites filles, les filles, s’intéressent aux emblèmes maternels ou de la féminité. En général les femmes côtoient davantage leur mère. Rappelez vous de l’intérêt pour les objets maternels, les bijoux, les chaussures, les vêtements. Les objets qui recouvrent le corps de la femme. Et lorsque la petite fille veut avoir les objets maternels, on peut supposer qu’il s’agit de prendre à son compte, la transmission de ces objets pour les transformer ou les élever à la hauteur de l’insigne et de l’emblème phallique pour constituer son masque. Mais de l’autre, comme le rappelait Bergman de façon si savante dans Scènes de la vie conjugale, dans un ton mi savant mi amusant « Chaque femme vit avec un saboteur en elle qui a la voix de la mère ». Chaque femme doit se dépendre, autant qu’elle le peut, du désir de la mère, pour qu’elle développe normalement, c’est-à-dire de façon névrotique, sa maturation subjective d’être désirée. Ces deux éléments qui constituent l’être féminin, s’identifier au signifiant phallique et se dépendre du désir de la mère se heurtent cependant aux visées d’être mère, à entendre « avoir » des enfants. Tout indique que si la mère leste la femme dans la famille, cela sera plutôt la femme en tant qu’elle n’est pas mère qui relance le désir, au prix même de rompre le lien familial. Autant dire que pour le désir de la femme, selon Lacan, le pire est de rencontrer cette sorte d’insatisfaction qui menace le désir au sein du lien conjugal, où la femme mère stagne en tant que femme. La femme, que Lacan nomme la « vraie » femme, serait donc celle qui ne se soucierait pas ou plus, de masquer le rien, celle qui ne désirerait plus le signifiant, l’emblème du phallus et qui s’élève contre la mère pour exiger la part qui revient au désir, quitte à déclencher le drame et à frapper ainsi dans le réel, cet objet qui pour un temps, matérialise, le désir de la mère.

Le manque, le rien. Si l’on résume autrement ce que je viens de dire, la question du manque concerne tout autant les hommes que les femmes. Mais les femmes ont un rapport plus intime avec ce manque, car c’est à deux absences qu’elles doivent faire face : le phallus comme signifiant, et puis le manque propre à tout sujet qu’elle partage avec l’homme aussi. L’homme en voulant marquer une distance avec le manque, met un voile, il se sert de l’organe par exemple pour dénier son manque et s’imaginer en sujet héroïque, phalliquement puissant. Or si l’homme met un voile sur le manque, il le fait par peur de la castration, il détourne ainsi les yeux sur son rien. La femme quand à elle, s’élève contre la mère, pour exiger la part qui revient au désir, s’affronte à son manque, à son manque-à-être. Elle ne veut pas l’avoir mais elle ne peut pas non plus résoudre la question d’être car l’être n’est qu’une absence, un rien. Au fond, dans cette nouvelle configuration elle ne peut qu’avoir le deuil de l’avoir et de l’être. Ainsi donc, tuer le désir de la mère, c’est couper la partie par laquelle est nouée son manque-à-être au fantasme de l’autre, ou bien, c’est couper l’enfant, au manque à être de la mère, à ce titre, il est compréhensible que l’on parle de deuil. C’est justement ce que me dit une patiente qui a tué son fils, elle portait une affection à son enfant et la perte la plonge dans quelque chose d’irremplaçable. Bien entendu, toute mère infanticide ne réalise pas cet acte pour exiger sa part qui revient au désir, loin de là, n’est pas Médée qui le veut, il faut des coordonnées précises, celles par exemple, où elle a accepté de vivre dans le fantasme de son mari, à l’ombre de cet homme, dont elle eut finalement un « sursaut », « un réveil », c’est son expression, autour des doutes sur l’amour qu’il avait pour elle, elle avait commencé à penser qu’elle n’était pas reconnue à cette place. Cet homme était très violent avec elle. Elle avait donné son héritage pour que cet homme ouvre un commerce, mais il a modifié les registres auprès du notaire, et il a empoché la somme pour acheter un bien mobilier ; il l’a non seulement spoliée mais plus tard il a spolié sa famille, les biens de son père et de son frère. Il disait chérir leur fils mais il ne s’occupait jamais de lui. L’enfant était né handicapé moteur, la trahison financière lui semblait difficilement acceptable, elle avait repoussé le plus loin possible les concessions qu’une femme peut faire à un homme, jusqu’à être la mère de son fils, mais l’insupportable a été atteint lorsque devenant ainsi membre de la famille, il s’intéresse à ses biens, la prive, avant de s’attaquer aux biens du père et du frère. En être privée de ses biens personnels, cela passait encore par l’amour qu’elle lui vouait mais trahir sa famille, non ! Le comble de l’outrage fut alors atteint ; son acte de tuer l’enfant implique certes infliger un châtiment au mari, mais signifie surtout pour elle, retrouver la légitimité à l’expoliation. En tuant le fils, elle arrache ce qui avait donné point d’ancrage et légitimité au mari, au risque de tout effacer, c’est le prix à payer de sortir du fantasme où le mari ne faisait d’elle qu’un objet parmi d’autre à détruire. Elle s’est indignée du fait qu’elle ne soit pas l’objet précieux, mais quand il eut touché aux biens de la famille, la donne a tout bouleversé, et à la place de l’amour, c’est la haine qui s’installe. Tout cela semble violent mais parfois un sujet n’entrevoit comme « solution » pour stabiliser son « être » que d’inscrire « un manque » que rien ne pourra désormais recouvrir. Ne pourrait-on pas alors considérer cet acte comme une sorte d’identification au symptôme, je veux dire, comme une voie qui rend possible la sortie du fantasme où l’Autre ne faisait du sujet qu’un objet à détruire ? C’est ainsi que l’on peut comprendre cet acte fou, d’abandonner ainsi son désir de posséder un enfant qui masque comme phallus, son manque, c’est à ce moment-là que son désir de femme, apparaît. Du coup, à l’instar de Médée, cette femme n’est plus le phallus qui donnait un statut à son mari, elle est enfin elle-même, « vraie », ne dépendant plus du fantasme d’un Autre.

Si les hommes possèdent un pénis, les femmes en manquent ; pour elles, « avoir » est une solution qui les rapproche des hommes. Mais lorsqu’une femme choisi « d’être » au lieu « d’avoir », elle devient une vraie femme. Elle devient un manque, un rien, un trou. Devenir elle-même son manque, toute la question thérapeutique est de savoir comment peut-elle réussir à porter le deuil du vide, du manque dans cet acte dont elle peine à se représenter sans produire ni sens ni utilité et vivre ainsi dans la privation. corps-cause-v7-