Céline MÉLOU
Glenn a beaucoup investi les études, sans la possibilité de les poursuivre dans un établissement habituel avec des directives rigides de normalisation et des programmes scolaires plus exigeants. Il s’agissait donc de ne pas empêcher la poursuite de son cursus qui est une façon pour lui de circuler dans le monde.
Glenn nous est adressé pour intégrer la classe de 2nde à l’IHSEA en Septembre 2010. C’est en 3ème qu’il consulte un psychiatre en CMP pour un épisode aigu où il pensait avoir attrapé le sida, ne se nourrissait plus et était traversé par des idées bizarres, des mots ou expressions qui s’imposaient à lui. Cet épisode fait suite au refus d’une fille de sa classe, Melissa, quant à sa proposition de se voir après les cours. Il dit des filles qui ont compté pour lui que ce sont des « intellos » et que « l’amour rend fou ».
Depuis son arrivée à l’IHSEA, je le reçois en entretien une fois par semaine, Ligia Gorini également et il continue de rencontrer régulièrement son psychiatre en CMP.
« L’encombrement » de Glenn :
A son arrivée dans le service, il se dit et se comporte comme « bipolaire » ayant des hauts et des bas. Les bas correspondant à un repli majeur dans un mutisme et une fermeture corporelle ainsi que l’émergence d’idées suicidaires. Les hauts lorsqu’il se retrouve dans une “boulimie” de parler, de rire, d’acheter des livres et d’écrire. Rapidement, nous repérons son rapport très singulier au langage : il est littéralement encombré et visé par les signifiants des autres entendus ou lus.
Il peut par exemple prendre note de tout ce que disent les professeurs pendant le cours y compris le “bonjour” inaugural. Un jour, je le trouve seul dans une classe, abattu et replié sur lui-même, je lui demande s’il va bien. Il dit être encombré de pensées, telle que « je dois mourir ». Je lui demande alors les circonstances d’émergence de cette pensée. Un de ses camarades de classe lui a dit: « tu devrais sauter une classe ». Il a reçu cette phrase comme impératif dont la signification est figée: « tu dois sauter ». Il va d’ailleurs rester avec cette phrase plusieurs jours en l’adressant à différents intervenants jusqu’à ce que le sens s’épuise dans une pluralisation de significations possibles proposées par les uns et les autres. Il repère d’ailleurs lui-même qu’il « prend tout au pied de la lettre ».
Dans les entretiens, il lui arrivait d’écrire ce qu’il disait ou de me demander de « prendre des notes ». Glenn dit avoir des difficultés pour se concentrer et comprendre en cours. Il explique: « je suis à l’écoute, mais je n’arrive pas à suivre j’ai des airs de musique, des mélodies dans la tête ». La seule chose que Glenn connaisse de son père est qu’il est musicien et c’est ce trait qui fait retour sous forme d’hallucinations musicales. Il se dit être un « intello », « un surdoué » ce qui explique selon lui son isolement vis-à-vis des autres de son âge. Il se charge d’ailleurs souvent de nombreux livres sur les surdoués, les bipolaires et manuels de méthodologies de travail. Cycliquement, il parle de faire des tests de QI, mais n’a jamais fait les démarches pour aller au bout de son idée.
Du travail et des jeux comme défense…
Il dit être dérangé chez lui par les rapports physiques qu’il voit et entend entre sa mère et son nouvel ami. Je profite de l’occasion pour lui demander s’il a déjà eu une copine, il répond : « Mélissa en 3ème, j’étais peut-être amoureux mais je ne voulais pas que ça aille plus loin car la sexualité c’est pas évident ». Lorsque je l’invite à préciser il bouche la question en parlant de l’importance des bonnes notes. La « boulimie » de travail bouchait pour Glenn la question de la réalité sexuelle mais ce n’était jamais assez. « L’important c’est les notes, le travail à l’école » ce qu’il ne faisait que répéter mais ne faisait pas réellement, d’ailleurs ses résultats scolaires n’étaient pas bons. Cette exigence vorace d’ « être l’intello », « le premier de la classe » date du CP : « j’étais le chouchou de la maîtresse, les autres me rejetaient à cause de ça. Je faisais le fayot ».
Glenn ne rencontre son père qu’une seule fois lorsqu’il a 12 ans. Il se souvient d’un épisode où son corps s’est mis à bouger tout seul bizarrement. Cet épisode fait suite selon Glenn aux moqueries des autres de la classe parce que dit-il : « je mangeais une glace. Je me suis senti vexé et seul contre tous ».
Il se rappelle deux phrases de son père: « défends toi contre tes ennemis, serre ton poing » et « cache toi contre les gens méchants ». C’est à partir de là qu’il s’est retrouvé encombré « de pensées qui le rendent différent », et n’a plus réussi à se concentrer en classe. Malgré l’habit de la figure de « l’intello » à laquelle il se raccroche dans le lien aux autres, et qui n’est pas sans le mettre en place de bouc-émissaire chère à son père, ses résultats scolaires chutent.
Depuis le mois d’Août dernier, Glenn passe énormément de temps à « chater » sur des jeux en réseaux, c’est ce qu’il appelle « abuser de l’ordinateur ». C’est par ce biais qu’il rencontre virtuellement une jeune fille. Il revient à l’IHSEA en Septembre, très encombré et atteint par cette histoire à laquelle il pense en boucle et l’empêche d’aller en cours. C’est à ce moment-là que nous lui proposons un accueil trois nuits par semaine à l’UCA. C’est à la faveur d’un résumé établit point par point à l’écrit qu’il pourra subjectiver que la rencontre même virtuelle avec une fille le rend fou et retourner en cours pour quelques mois.
Depuis les dernières vacances, il a repris les jeux intensivement et fait à nouveaux la rencontre de plusieurs filles plutôt bienveillantes à son égard. Il relate qu’il a été insulté par d’autres joueurs garçons, traité « d’homosexuel », de « pédophile ». Glenn vient tous les jours à l’IHSEA, ses écouteurs en permanence sur les oreilles et son sac à dos rempli de livres. II ne va plus en cours et passe ses journées à parler de ses pensées, des rencontres qu’il fait sur l’ordinateur ou à écrire des histoires sans fins qu’il tient à lire aux uns et aux autres.
A l’énigme de son propre corps :
Dans les entretiens, il revient tant sur ses pensées qui l’encombrent que sur les phrases qui l’aident. Il évoque certaines pensées de viol et de meurtre, mais précise qu’il ne veut pas en parler. Je lui pointe sa position de jouissance en lui indiquant que c’est très singulier de sa part de choisir de garder des idées qui l’encombrent.
Au rendez-vous suivant, il vient avec cette conviction : « si je suis trop gentil, je me fais bouffer par les autres ». J’insiste alors pour qu’il m’explique comment il sait cela. Il y consent la séance suivante en écrivant en même temps qu’il m’explique : « ça me travaille la question de la copulation depuis l’âge de 9 ans, un garçon de douze ans a abusé de moi, il m’a fait une fellation alors des fois je rêve que je viole un bébé, c’est étrange, bizarre. Et puis je me réveille et j’ai éjaculé dans mon lit ». Je lui fais remarquer que c’est peut-être ce qui s’est passé dans son corps qui lui a fait bizarre. Il me regarde surpris et laisse pour la première fois son écrit.
Lors d’une discussion avec d’autres garçons de l’IHSEA concernant les filles, Glenn donne sa version du rapport sexuel sous la forme de l’infection orale. Il propose alors ironiquement cette devinette : « quel est le point commun entre les filles et les champignons? Tous les deux sont vénimeux ».
A deux reprises, Glenn accepte de s’entretenir avec Yves-Claude Stavy dans le cadre de la Section clinique Paris-IDF. La première fois a eu lieu trois mois après son admission, et la deuxième fois la semaine dernière. A cette occasion, sa mère transmet les éléments signifiants qui jalonnent l’existence de Glenn. Le père de Glenn la quitte enceinte de quelques mois. Selon elle, c’est un Don Juan qui satisfait les femmes pour mieux les abandonner par la suite. Elle trouve cette version du rapport sexuel avec le père de Glenn en lisant un livre et précise l’importance de son côté artiste musicien. Cette femme reprend d’ailleurs la lecture en 2009, cherchant dans les livres de psychologie un mode d’emploi pour répondre aux troubles de son fils.
A son entrée à l’école maternelle, elle consulte pour les attitudes bizarres de son fils mais ne poursuit pas les entretiens. Plus tard, des examens permettent de repérer un problème d’audition qui nécessite la pose d’un yoyo et apaise jusqu’à la puberté cette tendance aux bizarreries de comportements et de langage. Glenn précise aussi comment certaines phrases lues et prélevées peuvent l’aider à savoir y faire avec l’énigme de son propre corps. Lors d’une chute en skis, il se rappelle avoir répété à voix haute une phrase lue qui lui a permis de se relever.
Lors du deuxième entretien, nous avons pu entendre Glenn témoigner précisément de ce qu’il avait pu subjectiver de ce qui lui arrive : « A l’école, je ne me sens pas adapté. C’est difficile les relations avec les autres. Dès que je ne me sens pas bien, je vais sur les jeux. Je préfère jouer avec les filles parce que j’ai des problèmes avec les garçons, ils me rejettent ». A la question sur ce qui le préoccupe vraiment, il répond : « je peux pas le dire. Tous les jeunes sont préoccupés par leur sexualité, moi je ne sais pas ce que c’est, je trouve ça étrange ». « Quand il y a un problème, j’arrive pas à me concentrer, je suis pas libre dans ma tête. Ca m’énerve, je retiens tout, ça m’encombre l’esprit, je pense beaucoup aux mots et aux phrases ».
Lorsque le Dr Stavy lui demande s’il y a eu des filles qui ont vraiment comptées pour lui, il parle de trois filles qui l’attiraient par leur intelligence qui les rendaient différentes des autres de la classe et conclut : « on était pareils ». Lorsque le Dr Stavy lui propose qu’il a peut-être confondu le fait d’être attiré par une fille et d’être comme elle, Glenn acquiesce et précise « oui c’est vrai. En fait, on a des centres d’intérêts communs mais on est différents ». Au fil des entretiens, Glenn s’est rendu compte que l’école est pour lui le lieu où l’on apprend à lire et à écrire, ce qui a considérablement apaisé la pression des évaluations et l’a conduit à se remettre à écrire des histoires et scène de théâtre qu’il aime lire aux autres rencontrés.
Dans le transfert, je tente de lui servir de yoyo pour lui faire entendre ce qui s’est inscrit dans son corps, issu de la rencontre entre les mots de la langue et son corps qui se jouit. Ainsi, il peut se faire une méthode singulière de lecture et d’écriture. Cette méthode bricolée à sa mesure produit un savoir inédit et singulier dont il peut s’enseigner pour l’avenir.