Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

De quoi ai-je encore faim ?

De quoi ai-je encore faim ?

Flora HOLLANDE

L’alimentation est rentrée dans le langage et dans nos expressions quotidiennes : « ça me pèse », « je suis vidé » « dur à avaler » « j’ai pas digéré ce qu’il m’a dit » ou encore « croquer la vie à pleine dent » « avoir du poids, peser lourd dans la balance » etc… Toutes ces expressions témoignent du lien étroit que nous entretenons avec l’oralité et avec les limites entre le dedans et dehors. Cette sphère constitue notre façon d’entrer en lien avec la vie et les autres dès les premiers temps de notre développement.

I. Définitions et prévalence

La boulimie touche plus largement la femme et débute souvent au cours de l’adolescence dans un contexte de fragilité narcissique. On estime un homme pour dix femmes pour l’anorexie et la boulimie. On distingue différents types de boulimie : avec ou sans purge. La forme la plus commune est la forme compulsive dite « normo pondérale » c’est-à-dire sans prise de poids avec la survenue de conduites purgatives (vomissements, prise de laxatifs, sport…). – L’obésité avec différentes formes : obésité constitutionnelle (génétique) et acquise (facteur déclenchant la prise de poids). Dans le binge eating desorder, il n’y a pas de stratégies compensatoires mais on parle davantage de suralimentation que l’on nomme l’hyperphagie boulimique. La restriction alimentaire bien plus présente dans la boulimie pure.

Prévalence de la boulimie sur la vie entière : 1-3 % chez la femme et 0,1-0,5% chez l’homme. L’hyperphagie boulimique : 0,7 en population générale et 9 à 15 % des femmes consultant en surpoids. 70% des patientes boulimiques ont un poids normal, les autres sont soit obèse ou en surpoids. L’hyperphagie boulimie touche la personne plus âgée et représente proportionnellement deux hommes pour trois femmes.

Je travaille avec la personne obèse. L’obésité d’une personne se définit par son indice de masse corporelle : poids divisé par ta taille au carré. Quand celui-ci est supérieur à 25, on parle de surpoids. Quand supérieur à 30 on parle d’obésité. A partir de 35 d’IMC et avec une complication médicale associée, on propose la chirurgie bariatrique chez la personne qui a fait plusieurs tentatives de régimes échoués. L’obésité ne marque pas en soi un TCA. Chez les patients que je vois certains ne mangent pas trop. C’est important de garder la diversité des tableaux cliniques en tête. D’où la nécessité d’évoquer l’histoire du poids : Obésité constitutionnelle (facteur génétique ou terrain familial), acquise (facteurs déclenchant la prise de poids) ou un TCA avec le binge eating disorder et la restriction alimentaire.

Notion de vomissement non réellement provoquée chez la personne obèse avec sensations abdominales désagréables où le corps indique qu’il ne peut plus recevoir de l’alimentation (au-delà de son rassasiement et même des capacités d’ingestion alimentaire). Vomissement pour remanger après. Différence avec la patiente anorexique.

Je trouve compliqué de distinguer ces différents troubles sur un plan nosographique. Sans doute que ce n’est pas si catégorisable que cela et qu’il faut être prudent dans le diagnostic et l’étiquetage et s’intéresser à la fonction du symptôme dans l’économie psychique du sujet.

Qui dans cette salle n’a jamais fait de compulsion alimentaire ? Qui n’a jamais fait de régime ?

Zermati, un nutritionniste parle de régulation émotionnelle par la nourriture. Qui n’a jamais régulé son état de fatigue ou de coup de bluzz par la nourriture ? Certains ont besoin de terminer leur repas par leur note sucrée, un carré de chocolat sans tomber dans la compulsion. Je vous invite d’ailleurs à porter aussi votre attention sur votre alimentation.

1) Critère du DSM qui définit selon cinq critères la boulimie nerveuse.

1. Survenue récurrente de crises en un temps limité (moins de deux heures) avec quantité de nourriture largement supérieure. Perte de contrôle.

2. Comportements compensatoires.

3. Deux fois par semaine pendant trois mois.

4. Estime de soi influencée par la représentation de son corps.

5. Le trouble ne survient pas seulement pendant des périodes d’anorexie mentale.

2) La crise boulimique

« La crise boulimique est un épisode de surconsommation alimentaire incontrôlable au cours duquel une grande quantité de nourriture, souvent hypercalorique est ingérée à la hâte en cachette sans pouvoir se limiter » définit par J-L. Pedinielli. Il y a des degrés différents et des fréquences variables d’une personne à l’autre. La crise a lieu souvent en fin de journée en solitaire. L.Igoin dans son livre la boulimie et son infortune décrit la crise en plusieurs temps :

1. L’excitation préalable : « ça me prend là »

2. Le choix de la nourriture : aliments riches et sucrés généralement. « Tout ce qui est interdit » mais aussi des aliments accessibles rapidement afin d’assouvir ce besoin compulsif.

3. La solitude comme constante. La crise se déroule à l’intérieur, lieu à l’écart du regard des autres.

4. La hâte, le caractère incontrôlable, impulsif presque dissocié pour dévorer, engloutir.

5. La fin de l’orgie alimentaire prend différentes formes : retourner à ses occupations ou se réfugier dans le sommeil, la culpabilité. Douleurs abdominales et somatiques peuvent alors apparaîtrent. La stratégie purgative est donc la réponse malvenue pour contrer cet épisode où le sujet a été incapable de se contrôler. Cette annulation facilite la compulsion de répétition caractéristique de la crise boulimique. Parmi le nombre de boulimiques, à peu près la moitié n’a pas recours au vomissement.

II. Concepts théoriques illustrés par les cas cliniques

Pour Charlotte Constantino (Ordres et désordres de l’oralité aux différents âges de la vie), « L’oralité humaine dépasse largement l’oralité nutritionnelle. D’un point de vue psychologique, elle va en effet bien au-delà de la simple utilité fonctionnelle de la bouche en terme d’ingestion alimentaire. » Elle pose aussi la question du lien avec l’extérieur et avec notre figure d’attachement. (dire avec force, la mère et le père figure omniprésentes dans un début de vie) L’oralité intrique soma et psyché. Refuser de manger ou dévorer, c’est attaquer les liens. Charlotte Constantino (Ordres et désordres de l’oralité aux différents âges de la vie).

Nous allons principalement nous intéresser aux symptômes de l’avidité, à une clinique non pas du refus mais de l’excès alimentaire où l’oralité déborde et met en situation d’échec les professionnels. (Médecin G qui ne reconnaissent pas l’obésité comme une maladie chronique). C’est par la bouche qu’on parle, qu’on crie, qu’on hurle, qu’on s’exprime, qu’on éprouve d’où le fait que ces patients n’ont pas accès à leur émotion. C’est aussi par la bouche que né le premier souffle de la vie.

L’oralité fonde le tout premier rapport au monde et les premiers liens d’attachement. Et ce n’est pas par hasard que les compulsions alimentaires se font avec des aliments doux et sucrés rappelant l’enfance et non pas avec la salade verte. C’est l’aliment doudou qui est recherché sur un mode régressif « vers l’oralité infantile qui reste peut-être le paradis perdu qu’il faudrait retrouver. » et ceci va se repérer aisément au moment de la puberté. Toute demande de l’enfant a pu être interprétée par la mère comme une demande de nourriture, ce qui crée une confusion et une non reconnaissance de ses besoins (à la place de la demande d’un don, la mère répond par la satisfaction du besoin). Plus tard, manger devient la réponse consolatrice en situation de frustration. La boulimie ne peut se comprendre sans parler de la fonction d’étayage qui selon Freud est un mouvement d’appui de la sexualité sur une fonction vitale qu’est le nourrissage. La sexualité s’étaie sur une fonction vitale comme la faim. La satisfaction de la faim par la mère ou son substitut introduit la question du plaisir et la recherche de cet objet. Cela signe le passage entre les pulsions d’autoconservation (assouvir et apaiser le besoin de faim) aux pulsions dites sexuelles. Dans la boulimie, il semble que ce passage ne se fasse pas. La compensation boulimique serait peut-être une réponse à la frustration dont la mère est potentiellement l’agent. « La boulimie prend valeur d’œuvre d’incorporation, elle serait jouée littéralement dans une absence de mots, la chose mangée étant aussi nécessairement innommable. » Or on mange des mots par la nourriture, on mange de l’amour.

Mais je rajouterais ceci pour mieux préciser les enjeux : l’anorexie (mais aussi la boulimie) sont des solutions présentes qui débutent à la puberté moment crucial où le sujet doit construire sa propre réponse à l’assomption de sa position d’être sexué. Ce qui est symptomatique et problématique ce n’est pas le TCA car présente mais de symptômatiser sa puberté. Et donc l’anorexie et boulimie sont les solutions alternatives à cet échec. Du coup pour le clinicien, le refus anorexique est le symptôme névrotique non pas du refus de la nourriture mais de la demande à l’Autre au lieu que le sujet occupe dans le désir de l’Autre. Au fond l’anorexique fait de son corps un corps phallique, anti-phallique qui dévoile le rejet et l’envie du désir de l’Autre.

Incorporation : opération psychique imaginaire permettant de s’assimiler les propriétés d’un objet investi.

Introjection : opération psychique symbolique permettant d’assurer la permanence de l’objet en soi, opération métaphorique.

Pour Philippe Jeammet, la relation boulimique se caractérise par la relation objectale qui signe à la fois des insuffisances d’intériorisation (à compléter ici avec ce que j’amène sur le don symbolique) et la fragilité des assises narcissiques. Ce que Piera Aulagnier nomme « des ruptures trop brutales du contrat narcissique. » La recherche d’objets d’investissements prendrait donc la forme d’une soumission aux objets extérieurs dans la réalité que propose l’accès non limité à la nourriture. C’est une réponse par l’agir sans élaboration (oui) donnant l’illusion d’une maîtrise de l’objet sans être au contact de ses émotions. Avec la nourriture continue à la bouche, le manque et la séparation est évitée, (le sevrage) comme un bébé qui resté collé au sein de sa mère, conséquence éventuelle d’un défaut d’enveloppe psychique protectrice dans la constitution de l’objet interne ? Court-circuitage de la pensée par l’agir. Ce qui rend difficile aussi la prise en charge pour penser avec le patient. Joyce Mc Dougall fait l’hypothèse d’un « défaut d’apaisement interne dans les premiers liens qui a empêché la construction d’une image interne attentive qui soulage ». (L’économie psychique de l’addiction dans anorexie, addiction et fragilités narcissiques. 2001).

Exploration des relations d’attachement et de la nature de ces relations. « L’aspect impulsif et répétitif de ce comportement alimentaire nous laisse à penser que ce n’est pas son corps qui accueille l’aliment dans une dynamique d’introjection mais que ce soit l’aliment qui tienne son corps. » (Cécile Antogny sur le processus d’individuation) fait l’expérience des limites de son corps par la douleur, recherche d’une enveloppe contenante qui a manqué.

  1. Le parallèle avec l’addiction

Pour Goodman ; la boulimie répond aux critères de l’addiction tant par la répétition que par l’impulsivité. Fenichel parle de toxicomanie sans drogue en 1945. D’où la vigilance aussi à évaluer à la fréquence d’autres conduites addictives chez les personnes souffrant de TCA. Le sujet addicté est dans un mode primaire de satisfaction d’un besoin réduit à un fonctionnement de type besoin-satisfaction. L’addiction devient le recours pour faire disparaître et anéantir les sentiments d’angoisse désagréables et même agréables. Plus de place pour le désir mais pour le besoin !

– Notion de « perversions orales » chez Karl Abraham et T. Benedeck en 1936. C. Melman évoque la relation perverse à l’objet pour en faire un usage autre.

On parle de toxicomanie ou de perversion innocente puisqu’on ne prête pas de dangerosité ni de toxicité à l’objet. La boulimie par le recours à une réponse automatique réduit l’élaboration psychique et le conflit psychique tout comme la personne toxicomane. Manger devient la stratégie d’évitement et le passage à l’acte faussement réussi pour ne pas éprouver.

– Boulimie et dépression : Janet met l’accent sur le lien entre boulimie et dépression : présence de symptômes dépressifs chez les boulimiques actuel ou dans le passé, d’où l’importance de vérifier la stabilisation des troubles pour la chirurgie. Épisodes dépressifs pouvant constituer l’étiologie des troubles, les facteurs déclenchant la prise de poids. Dépression : tristesse, dévalorisation, de culpabilité, troubles du sommeil, ruminations, baisse de l’estime de soi.

Une patiente l’autre jour me dit ne plus se souvenir de la crise. Avant crise état de tension qui n’est pas facilement identifiable, émotion (vide, ennui, solitude) Essaye de lutter contre son besoin impulsif mais en vain. Stratégie d’évitement mais qui ne feront que retarder le moment de la crise : sieste, cacher les aliments du placard, les supprimer définitivement, faire des régimes, s’occuper au max pour éviter de penser à manger mais aussi à éviter de penser de manière générale.

2) Étude de cas

MME P (cinquantaine d’années) : Prise de poids déclenchée par facteurs psychologiques. A la période de la puberté, Mme dévalisait le frigo. L’image de soi est fortement perturbée à l’adolescence notamment avec des problèmes d’incurie où elle ne se lavait et était dans le rejet de son corps pour dit-elle se mettre à distance des autres avec un sentiment de profond mal-être. Elle a conscience que le poids lui sert d’évitement à la relation et de protection tout en se sentant rejetée et isolée. Elle présente un épisode dépressif à la suite d’une rupture amoureuse. Mère qui avait elle-même une relation compliquée à la nourriture qu’elle reportée sur sa fille en lui infligeant ses premiers régimes à l’âge de 10 ans. Elle a par ailleurs sucé son pouce jusqu’à l’âge de 12 ans jusqu’à s’abîmer et se ronger la peau.

Comment se préparer au changement corporel lié à l’opération ?

MME C (27 ans) qui a subi une sleeve (réduction de l’estomac mais échec avec reprise de poids à cause des TCA) père en hyperactivité sportive (3h par jour avec des conduites de contrôle de poids).

NES, a recours à l’alimentation pour s’endormir et s’apaiser. BED quotidiens avec ressenti intense de culpabilité et dépréciation à cause de son diabète non équilibré. Fonction dans la gestion de ses émotions et de ses angoisses. Schémas de pensée telle que la dramatisation sur la journée à venir avant d’aller au travail par exemple.

Historique du poids : TCA occupe une large place dans l’histoire de la patiente depuis son enfance avec des interdits alimentaires promulgués par sa mère. Mme décrit avoir du mal à trouver sa place dans la famille avec le fantasme réel ou imaginaire d’être le fruit d’une grossesse non désiré avec une mère omniprésente. Avait choisi d’aller en internat. Psychopathologie : dépression avec TS en 2014 à la suite d’une rupture amoureuse. Hospitalisation aussi en addictologie pendant 1 mois.

MME M (66 ans) : Risque de la chirurgie bariatrique : exemple d’une patiente avec réactivation du deuil de son mari post chirurgie (rechute dépressive). Perte de 32 kg à 6 mois du By pass (de 107 à 75) mais ne correspond pas à l’objectif de poids qu’elle s’était fixé donc déception et pensées obsédantes sur son poids et anxieuse à l’idée de reprendre du poids avec restriction alimentaire et dénutrition importante. Se pèse tous les jours. N’arrive plus à s’alimenter correctement, ne ressent plus la faim ni le goût. Et l’alimentation est associée à du déplaisir et de la douleur à cause des malaises après repas ce qu’on nomme les dumping syndrome et risque de diabète non équilibré avec risque d’hypo la nuit. Donc met sa santé en danger, mortalité familiale à cause du diabète. Avant prenait plaisir à cuisiner pour réunir sa famille, aujourd’hui s’est complètement isolé lié au contexte de l’alimentation. Avant l’alimentation servait à combler l’ennui chez Mme suite à l’arrêt de cigarette. Période d’euphorie après la chirurgie les premiers mois. Conduite sensiblement suicidaire comme si elle ne pouvait pas continuer à vivre mais attend son tour comme une fatalité familiale. Dénutrition comme moyen de contrer la pulsion de vie et l’élan vital.

Mme M ou Mme carapace (64 ans) : 1ère consultation en octobre, se sert de son poids comme bouclier. Mme a subi un viol à 16 ans dont l’enfant issu a des problèmes de toxicomanie. Après l’accouchement mutisme pendant 7 mois. La prise de poids a débuté suite à la révélation de ce trauma pour Mme qui a engendré des conflits relationnels. Sur le plan transgénérationnel, on peut voir que Mme a été placée à l’ASE et que son petit fils est lui-même placé en foyer dont le père est lui-même dans un fonctionnement addictif. Tentative de suicide de Madame à 18 ans sous les yeux de son fils alors âgé de 2 ans. Aujourd’hui projet de chirurgie car elle veut retrouver une autonomie. Son mari l’aide dans les soins quotidiennement et n’a plus de relations sexuelles avec son mari mais sur un mode de dépendance et de régression. Je l’informe donc des changements qui pourront apparaître dans la dynamique du couple après l’opération autour de la question de la féminité. Risque rechute des TCA en post-opératoire si trauma non élaboré. Je l’ai revu fin janvier, continue le suivi avec psychiatre en CMP, dit être plus au contact de ses émotions avec exercices de sophrologie. Arrête des Binge et diabète équilibré en faisant collation à 16h. Dossier présenté en RCP plus rapidement que prévu…

Autre exemple d’une patiente ayant une relation conflictuelle avec son père autour de la nourriture, perdre du poids ce serait satisfaire le désir du père pour cette patiente. Contradiction dans le désir de l’autre quitte à s’oublier dans son propre désir.

Autre exemple : Anorexie du nourrisson de 0 à 3 ans, la nourriture reste actuellement toujours un problème dans le lien avec sa mère. Prise de poids déclenchée à la grossesse avec prise d’une vingtaine de kg.

État dissociatif d’une patiente en train de faire ses courses. Patiente bipolaire (TS et dépression) avec compulsions alimentaires avec aliments sucrés lié à une angoisse d’être. Ballonnement après crise avec vomissements provoqués à cause de cette sensation de trop plein. Patiente qui a subi des maltraitances physiques et psychologiques de la part de son beau-père et abandon de son père biologique. Discours sans émotions, plaqué. Mange par ennui et vide. Prise de poids au décès de sa mère. Schémas et injonctions familiales : « terminer son assiette à table » manger par peur d’avoir faim, par peur de manquer. Honte de soi qui empêche d’être en lien et poids qui protège des relations d’attachement (patient qui cuisine toujours pour 2 depuis rupture amoureuse)

III. La question du corps dans la chirurgie bariatrique

Les préoccupations corporelles sont courantes chez ces patients et participent d’ailleurs à la définition de leur trouble. L’une des patientes opérée d’une chirurgie bariatrique répète toujours « on est obèse toute notre vie. » Ces patientes anciennement obèses témoignent de préoccupations corporelles intenses que la chirurgie n’a pas réussi à réparer et à modifier. Peuvent d’ailleurs se succéder dans certains cas, rares, une entrée dans un épisode anorexique en post-chirurgie avec une dénutrition grave (carence en vitamines). C’est ce qu’Hélène Bruch nomme les « thin fat people » (sujets minces gras). Exemple : beaucoup d’obèses opérés vont continuer de s’acheter des vêtements beaucoup trop grands pour elles ou vont se tourner sur le côté pour passer les portiques du métro croyant ne pas pouvoir passer. Une patiente disait qu’elle avait été très surprise la première fois qu’une personne s’était assise à côté d’elle dans le bus car cela n’arrivait jamais. Elle pouvait sentir qu’elle ne dérangeait pas l’autre. Un travail de réappropriation de son corps est nécessaire. Beaucoup de patient n’ont pas intégré la perte de poids tant physiquement que psychiquement. Certains ont recours à la chirurgie réparatrice après l’intervention chirurgicale de l’estomac, l’histoire de l’obésité restant marquée et inscrite sur le corps. L’image corporelle devient alors insupportable au quotidien.

(Débattre avec la salle sur la difficulté qu’ont ces personnes à accéder à une représentation de leur corps. Parallèle avec la dysmorphophobie chez la patiente anorexique qui ne se voit pas maigre.)

IV. Ateliers de préparation à la chirurgie bariatrique : comment réapprendre à manger ou apprendre à manger autrement ?

Ces ateliers ont été mis en place pour préparer les patients à l’opération afin d’éviter le risque de reprise de pois en post-chirurgie. La bouche dès les premiers temps « met en scène de nombreuses fonctionnalités comme manger, parler, embrasser, chanter, méditer, lire à voix basse, murmurer, fredonner » nous décrit Colette Combe. La boulimie et l’anorexie désagrège cet ensemble.

Un nouveau-né à 4 mois in-utéro aspire, déglutit, goûte, écoute… Peut-on retrouver ces repères lorsque la sphère de l’oralité est désagrégée ? Retrouver ses sensations alimentaires primitives de faim et de rassasiement par l’écoute de son corps, c’est ce que propose l’atelier. C’est-à-dire proposer une alternative pour induire une réappropriation corporelle et psychique pour rétablir l’usage de sa bouche par le groupe qui « nourrit », par la dégustation d’aliment en pleine conscience en groupe (exemple : l’expérience du raisin à déguster en pleine conscience). Mais en fonction de l’histoire du sujet et des désordres de l’oralité, rétablir et reconstruire cette zone n’est pas de même épreuve… « lorsque la bouche déforme ses fonctionnalités, l’être bouleversé la déshabite. » sans regard, sans échange, sans mémoire, parfois sans plaisir. Passage à l’acte alimentaire pour combler cette sensation de vide sans ressentir réellement de plaisir, sans aller à satiété de ce besoin… La satiété (quand on a plus faim) n’est d’ailleurs pas reconnue. Combien de patients ai-je entendu me dire : « je mange par ennui. » Les émotions non plus ne sont pas reconnues et par la crise alimentaire, la personne vise la recherche des limites corporelles. Desprats-Pequignot parle du « corps en plus » chez la personne obèse. De quel corps d’agit-il ? Le corps de l’autre ? La recherche de fouissement du nourrisson ?

IV. Conclusion 

Anorexie, boulimie, obésité : leur point commun étant l’objet choisi : la nourriture comme expression de leur symptomatologie. Certaines anorexiques se perçoivent obèses, d’autres se tournent vers la chirurgie pour retrouver un corps perdu ou un corps nouveau avec en commun une difficulté à percevoir leur corps. La boulimie c’est rejeter les déchets dans le vomissement ou pour d’autres les incorporer à l’intérieur, qu’on retrouve chez la personne obèse… Dans les deux cas, c’est un mouvement d’incorporation de la pulsion orale vécue ici comme destructrice exprimant une souffrance singulière qu’il convient d’écouter et d’accueillir dans la rencontre avec l’autre. Ces pathologies montrent en acte la puissance intransigeante du refus du sujet à s’alimenter, et donc l’écartèlement entre le réel qui détruit où les patientes finissent pas s’enfermer et l’échec de la parole et de l’ordre symbolique. Au fond, écartèlement entre le désir de RIEN et la tentative souvent ratée de l’assomption de sa position d’être sexuée.

Respecter le symptôme c’est aussi respecter l’équilibre psychique du sujet qui a construit des modalités défensives pour survivre. Enlever le symptôme, c’est le renvoyer brutalement à son symptôme. Abandonner son surpoids par la chirurgie par exemple ou supprimer les vomissements est un risque pour l’économie psychique d’où l’importance de le faire advenir comme sujet. (Ne pas nier évidemment le risque vital dans le cas d’une hospitalisation par exemple).