Martine VIAL DURAND
Prenant connaissance du propos de cette rencontre, j’avoue avoir été sur l’instant quelque peu embarrassée et sans doute faut-il voir dans le titre choisi ce qui s’en est déduit.
Que l’acte du clinicien puisse laisser à désirer ne va généralement pas de soi, et l’argumentaire choisi est en cela fidèle à l’impact insurrectionnel de Freud qui, dans sa quête inachevée du sujet, fait de la clinique une affaire d’archéologie pour celui qui s’y colle non sans avoir à s’y repérer. Ce sont alors les contrées du dénuement qu’il lui faut traverser, et c’est tout l’intérêt d’une après-midi de travail comme celle-ci de vouloir s’en approcher, un peu comme on s’approche du feu non pas seulement pour se réchauffer mais pour en raviver l’énigme.
Chronique d’une mort annoncée.
Pourtant, avant de me centrer sur la recherche proposée, j’ai souhaité partager avec vous un peu du souci que me cause l’actualité de ce que l’on a coutume d’appeler la nouvelle gouvernance hospitalière, qui ne nous laisse aucun répit et modifie considérablement l’équilibre des forces consacrées à la clinique.
Mes amis de l’Inter-collèges des psychologues hospitaliers sont là pour en témoigner, si cela était nécessaire.
Sur les trente six hôpitaux dont les témoignages nous parviennent, c’est partout la possibilité de l’approche clinique d’orientation Freudienne qui se trouve contrée, empêchée de façon pernicieuse, parfois ouvertement, au titre d’une offensive contre la liberté de pensée et d’un mouvement promotionnel de l’uniformisation des pratiques.
Nous ne sommes fort heureusement pas seuls à nous mobiliser mais il y a là, croyez moi, un lourd travail de « création autre » qui s’impose à nous. Il s’impose et oblige chacun à prendre la mesure du changement culturel en cours comme autant de forces de dé-liaison et de fragmentation qui entament, voire suppriment, les capacités créatrices des équipes dont nous devrions entendre aujourd’hui quelque effet de survivance.
Il s’agit non seulement d’en prendre la mesure, mais de créer les conditions d’une résistance sur le terrain, capable de nuire à la bêtise et de s’opposer à cette force de destruction. C’est là le sens de l’action menée par l’Inter-Collèges.
Car comment, dans le cas contraire, soutenir les conditions d’une clinique de la folie en psychiatrie?
Comment soutenir qu’elle puisse encore permettre d’inventer son acte au fil de l’expérience ? Le discours d’asepsie technocratique en cours fabrique inévitablement des soignants exilés de
la capacité d’utopie, une capacité dont il faut noter qu’elle est, tout à la fois, essence du désir dont se supporte la rencontre avec la folie et travaillée par elle en retour.
Dans le même temps, une rupture de transmission à l’université rejoint celle du milieu hospitalier prétendant, entre autres misères, faire disparaître le terme « clinique » des récentes mesures envisagées et remettre en question la possibilité même d’une formation par immersion.
Alors qu’en sera-t-il dans les années à venir du grand renversement Freudien qui nous enjoint de prendre enseignement du patient, de ne pas verrouiller sa parole par un savoir déjà clos et prédéterminé ?
Qu’en sera-t-il de sa lecture renouvelée du symptôme, qui n’était plus signe de déficit mais support, création du sujet, voir technique de survie, masque d’un réel qui met le clinicien à la tâche, si ce n’est d’en accompagner la délivrance, à tout le moins d’en desserrer l’étau ?
Sombres temps qui ne sont pas sans en évoquer de plus anciens.
Le positivisme qui veut énoncer la folie de l’extérieur fait un come back ouvertement hostile à nos engagements, il conduit à l’instrumentalisation des pratiques, à la méconnaissance des phénomènes psychopathologiques et pour finir à la forclusion de l’énigme du sujet.
Il oblige, et je ne vois pas comment il pourrait en être autrement ?, les psychologues d’orientation freudienne à se décentrer, à s’exposer et à entrer dans le débat public dès lors qu’en bien des lieux les psychiatres abandonnent de plus en plus le terrain de l’institution à l’entreprise de normalisation qui sévit : symptôme, pilule, éducation thérapeutique, trois petits tours et puis ne s’en vont pas… car bien sûr ça insiste.
Il faut veiller sur « l’impossible de l’acte »
Freud, vous le savez, faisait grand cas de « l’impossible de l’acte » : gouverner, éduquer, soigner à propos desquels, disait-il, on peut d’emblée être sûr « d’un succès insuffisant ». Ce qui impliquait qu’ « il n’est pas possible d’en produire une écriture scientifique qui permettrait de les organiser en raison et d’en prévoir les effets ».
Le malaise dans la civilisation qui lui donne la main était pour lui sans appel : aucune bienheureuse harmonie à espérer, le lien social est toujours chose boiteuse, complexe et malaisée ; occasion d’une tension qui est aussi son bien le plus précieux, à laquelle Annah Arendt réservait la désignation « d’espace de la dispute ».
Ici même, en ces lieux, l’audace de Frédéric Gros avait retenu mon attention, insistant à nous rappeler qu’il n’existe pas de théorie de la folie qui soit en dehors de la parole singulière du fou. La psychanalyse, disait-il, devait s’atteler à fonder la science de sa propre impossibilité nous engageant à tenir au creux de cette aporie.
Il faut se souvenir que c’est à l’aventure historique de la psychothérapie institutionnelle, dont la psychiatrie de secteur est issue, que l’on doit d’avoir pris un appui fécond sur cet « impossible de l’acte ». Elle a, pour cette raison, privilégié la dimension de l’accueil à « cette étrange part du sujet qui échappe au savoir » sous la forme d’une hospitalité inconditionnelle, dont l’ambition était de tenir en réserve tout savoir et toute inquisition. Il n’était pas à l’ordre du jour de penser à la sortie des patients, avant que de leur avoir offert la possibilité de la rencontre, tout comme le souci de prévention – dont les politiques de santé font grand cas – n’avait pas encore tourné aigre sous l’équivoque du dépistage.
Il en résultait un lien entre institution et psychose qui se fondait d’interroger en quoi la seconde est épreuve de vérité pour la première, impliquant en cela la reconnaissance de sa dimension transférentielle et le travail qui en découlait.
Pour l’heure, si vous n’y prenez garde, de cet « acte impossible » dont le sujet ne peut se saisir qu’à la condition qu’il le soit, il ne subsistera rien.
Si nous n’y veillons pas ensemble, c’est mort à l’humain avant que d’être mort à la vie, que le scientisme, sous masque de bonne volonté, continuera son oeuvre de forclusion, faisant glisser le discours sociétal sur le versant de la pente totalitaire, comme l’illustre le tout récent exemple de la position ministérielle à propos de l’Autisme.
Sans doute, me direz-vous, l’institution psychiatrique a, de tout temps, été guidée par le service des biens au-delà duquel nous nous situons. L’instauration par l’HAS de règles de standardisation des pratiques s’inscrit tout à fait dans la continuité de l’objectif de re-normalisation sociale qu’elle poursuit. Elle franchit toutefois une étape supérieure en la présence d’un impératif de transparence qui, tel un virus, s’introduit à l’intérieur même des pratiques professionnelles, avec l’ambition de les modifier en les incitant à répondre à un programme défini à l’avance. Réduire ou rectifier le symptôme, on ne vous demande rien de plus ! Ce n’est ni plus ni moins d’une atteinte à la liberté d’exercer et de penser son acte dont il s’agit, tout autant qu’un processus new-style du grand renfermement dont parlait Foucault.
La cécité de ces discours, sachez le, ne vise rien de moins que l’insolite de l’acte qui nous rassemble en cet après-midi. C’est pourquoi sont requis notre vigilance et notre engagement sur la scène publique dès lors qu’il ne saurait y avoir de clinique insulaire coupée du collectif et du champ nécessairement conflictuel des discours.
Cet insolite qui n’est pas, vous le noterez, sans résonner avec insolence, fait du clinicien qui s’autorise de l’héritage Freudien l’artisan de son acte qui, tel un moderne Ulysse, est appelé à traverser les contrées de l’embarras jusqu’à la prise de risque, et ce à jamais délogé d’une quelconque position de confort.
Alors, pour paraphraser J. Oury, la première question qu’il faut se poser c’est : « qu’est-ce qu’on fout là » ? Pourrions-nous y être autrement qu’en position de dissident du discours dominant ? Brecht nous rappelait : « Celui qui se bat peut perdre, mais celui qui ne se bat pas a déjà perdu ».
Il nous revient, à nous psychologues, de ne pas nous détourner de l’offensive menée contre ce qui échappe au regard, et d’y voir bien plutôt l’occasion qui nous est ainsi donnée de renouveler le contrat d’origine qui nous lie à l’aventure Freudienne. Celui d’avoir à tenir une position radicalement subversive contre toute idée reçue :
Non ! Décidément la carte du pays n’est pas le pays.
Du côté de l’embarras.
Arrêtons-nous un peu du côté de l’embarras.
Parmi l’ensemble qui objecte aux réjouissances de la modernité, grande fétichiste de la performance, se tiennent en bonne place et comme en écho les affres du doute et de l’embarras.
Un « je ne sais pas me vendre », fréquemment rencontré chez les essoufflés du système, en dit assez long sur cette place et nous serions souvent tenté de leur répondre tout de go : et bien vous voilà sauvé !
C’est dans son séminaire sur l’angoisse que Lacan aimait à qualifier de « beau terme » l’embarras qui nous occupe et pour lequel j’avoue avoir une prédilection tant il a accompagné mon voyage en psychiatrie.
Il est vrai que la fréquentation de la psychose nous enseigne très vite comment ce qui est valable à tel moment dans telle situation ne l’est plus dans la minute qui suit ou dans telle autre situation. Pas de reproductibilité de l’acte dont on espère, toutefois, qu’il surgisse au tournant de la trouvaille.
Dans ce séminaire, Lacan oriente notre attention sur le lien de l’embarras avec « une légère angoisse » et soutient son propos de l’étymologie : imbaricare qui fait allusion à la barre, bara, lui fait dire que l’embarras c’est très exactement le sujet S revêtu de la barre, divisé donc empêtré.
Et de rajouter : « quand vous ne savez plus quoi faire de vous, vous cherchez derrière quoi vous remparder ».
C’est donc bien ainsi sur ce fil de l’embarras, « au pied du mur de l’opacité de l’autre » (Blanchot), que nous tentons d’avancer, au risque de n’y rien voir, limités dans l’empire que nous avons sur nous-mêmes, tout à la fois funambule et artisan clinicien voués à la tâche de la logique signifiante. Sauf formation réactionnelle beaucoup trop répandue à notre goût, et dont nous rencontrons la triste traduction au niveau de l’HAS, rien de plus sûr, au fond, que la rencontre avec la psychose pour contraindre à l’humilité celui qui à cette condition seulement ne reculera pas devant elle.
On n’y voit rien.
Parce qu’il n’y a de sens que métaphorique, J’ai choisi pour cette pose sur embarras de faire un petit détour par le très beau texte de Daniel Arasse, dans lequel il relate sa stupéfaction devant l’énigme que lui pose la présence d’un escargot disproportionné sur une annonciation de Francesco Del Cossa (1469).
Il remarque que cet animal est plus fréquemment représenté dans les images funéraires ou les résurrections parce qu’il ressort de sa coquille comme le feront les morts au moment du jugement dernier, mais qu’il est généralement tout à fait absent des annonciations.
Commence alors pour un Daniel Arasse, très embarrassé, un long questionnement, une investigation qui le mène de la symbolique de la vierge ensemencée à la représentation de la divinité, à travers le travail de la perspective jusqu’à ce qu’il se décide à lâcher l’obsédante question de savoir ce que l’animal représente pour laisser place à une soudaine évidence qui s’impose alors à lui : celle de l’appel du peintre au regard de l’autre.
« Tout en bas, sur son bord, à la limite entre son espace fictif et l’espace réel, l’escargot est bien peint sur le tableau mais il n’est pas dans le tableau » il semble « signer comme le lieu d’entrée du regard dans le tableau. Il invite à un mode particulier du regard. »
Arasse renoue alors le fil avec la signification de l’annonciation, dont il rappelle qu’elle est, « avec l’acceptation de Marie, le moment de l’incarnation, c’est-à-dire la venue de l’incommensurable dans la mesure, de l’infigurable dans la figure, de l’invisible dans la vision ». Qu’est ce donc que la création, si ce n’est une vérité indéchiffrable à l’oeil nu ?
Il prête à Cossa d’avoir perçu comment la perspective récemment découverte s’empare du monde visible qu’elle rend commensurable, mais Cossa sait aussi « qu’elle ne peut donner à voir ce qui fait l’essentiel de la rencontre, sa finalité et sa fin : le Créateur venant dans la créature ». Ce qui revient à soutenir le propos de Lacan : de la vie nous ne savons rien de rien.
Arasse comprend que l’escargot « ne nous dit pas ce qu’il faut regarder mais comment il faut regarder, qu’il invite à entrer mentalement dans l’image et montre qu’il ne faut pas nous laisser prendre à l’illusion de ce que nous voyons, ne pas y croire ; l’anomalie de l’escargot fait signe de fait à une conversion du regard et vous laisse entendre : vous ne voyez rien dans ce que vous regardez ».
De nouveaux yeux :
Si la psychanalyse et l’art ont quelque chose en partage, c’est sans doute du côté d’une ambition de transformation qu’il faut le chercher. Elle vise bien sûr à transformer ce que Lacan a nommé la jouissance sous la forme du symptôme dont vous savez qu’il est l’expression d’une satisfaction sauvage et douloureuse de la pulsion.
Question incontournable dans le monde hospitalier, et sans cesse remise sur le métier : comment donner sa place à l’impensable de l’acte? Devant cet impensable chacun peut vaciller, on ne saurait trop se défier alors de la tentation d’une quête de sens abusive. Vous n’êtes pas sans avoir rencontré, parfois, une certaine emphase du discours psy qui peut, oscillant du commentaire au potin, trouver là son origine.
La contemplation de l’escargot de Cossa, vous l’aurez deviné, me conduit tout droit vers l’hypothèse philosophique qui soutient ma pratique. Il illustre assez bien ce qui me semble devoir guider le voyage de nos humanités en une certaine psychiatrie, rejoignant ainsi la formulation de Proust à propos du voyage de découverte : qu’il ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages mais à avoir de nouveaux yeux.
Je tiens en grande estime, pour l’avoir longuement pratiqué auprès de différents publics, le travail d’élaboration qu’il est possible de faire avec les équipes et qui reste, pour moi, une source intarissable d’enseignement. C’est pourquoi j’ai choisi de clore mon propos en esquissant à travers cette expérience le tracé qui incline à faire bouger les regards grâce à ce très précieux outil clinique.
Qu’elles soient de préventions, d’aide ou de soin, les pratiques de « protection » du sujet en souffrance confrontent invariablement équipes et institutions aux multiples figures de la confusion des êtres. Alors que les professionnels souhaitaient le bien de l’autre, ils perçoivent que de soi à l’autre, il n’y a parfois que le pas du trouble de se savoir si peu soi, si peu sûr de soi…A t’on dit ou fait ce qu’il fallait ? A t’on répondu assez vite ? N’aurait-on pas dû ? Et qu’en penseront les autres ?
Alors qu’ils se proposaient d’incarner un autre qui ne serait jamais absent, répondant ainsi au fantasme d’être le partenaire idéal de celui qui souffre. Voilà chacun plongé dans la préoccupation de soi-même. Le retournement de la position ne s’est pas fait attendre à travers l’infinie variété de formes allant du découragement à l’effondrement des idéaux, de l’indifférence au rejet.
C’est ainsi que ni les connaissances acquises, ni le leurre d’une frontière étanche entre soi et l’autre, n’épargnent aux professionnels d’être mis au pied du mur des émotions, de toute la gamme infinie des émotions, avec une prédilection pour celles qui ont leur siège en deçà du langage : esseulement, hébétude, sensation d’inanité… L’occasion est trop belle pour que soit fortement sollicitée la fonction imaginaire, celle d’exclure le manque. La voilà qui se précipite au secours de la détresse évoquée.
Le travail de réflexion sur les pratiques, à travers un temps, une présence, est une offre attentive aux phénomènes d’adhésion projective qui s’imposent aux professionnels. Du psychotique on parle beaucoup, disait Oury, mais il peut rester enfermé dans un coffre, c’est en général ce qui se passe si on laisse filer ce déferlement imaginaire sans accompagner son reflux et permettre ainsi aux professionnels de rentrer dans le lien social, c’est-à-dire dans un discours qui assure une fonction de nouage.
Ce déferlement est tout à fait patent dans les couloirs de l’institution car, lorsqu’arrive le temps consacré à l’élaboration, en lui-même il fait déjà scansion.
Que se passe t-il alors ?
En son centre : la parole, invisible déesse qui tout à coup manifeste son mystère, ce mystère qui nous fait si profondément humain. Ne se disait-il pas, auparavant, qu’il fallait communiquer ?
Manque de communication, entend-t-on dire, « on pensait qu’il suffisait de… » mais, voilà, la pièce se charge d’épaisseur et les regards cherchent appui, inquiets devant ce silence au dedans de soi.
Il est vrai que nous ne sommes « ni des animaux ni des tuyaux ni des ordinateurs qui eux communiquent très bien… parler est une autre aventure, c’est de nous dire les uns aux autres ce qui ne peut être dit, c’est en quelque sorte souffrir sa phrase, être celui qui répond par des questions, qui ferme les yeux parfois pour voir, doit inspirer, expirer pour savoir, brûler les choses en mots contraires ».
C’est alors bien souvent dans une sorte de réflexe de réassurance que les conflits institutionnels viennent à prendre le devant de la scène. Déplacement, diront certains puristes, mais pas seulement, c’est aussi le temps nécessaire de se dire : toi et moi ce n’est pas pareil… C’est un temps que je considère précieux pour la dispute et la construction possible d’un pacte d’échange, qui recoud le registre du symbolique, à la condition que l’analyste lui fasse la place. Travail de dentellière dont le clinicien doit se faire l’obligé, travail sans lequel pas de reconnaissance apaisée, pas d’adoption de cette originelle blessure narcissique : personne ne possède la vérité. Mais nous pouvons, n’est ce pas, tourner autour.
A cette condition première seulement, il y a alors place pour les interstices de la pensée, qui permettent que chacun puisse entendre, supporter de son collègue, une autre façon de voir, de sentir, d’écrire sa partition. Il faut sortir du « ou toi ou moi », faire place à l’informe, au doute, à l’errance de cette pensée. Une place qui parfois peut laisser entre-apercevoir la porte du jardin privé du soignant. La repérer suffit ! N’y entrons pas. Le désir du soignant, aussi confus soit-il, est susceptible de médiation et doit trouver reconnaissance. Que chacun puisse dire ce qu’il perçoit de l’enfant ou de la situation qui vient ainsi à se nommer, de sorte que la psychose est parlée de façon fragmentée, comme si chacun avait recueilli en soi, selon le prisme différent de son imaginaire, un peu de la vérité du sujet.
Sans cette étape minimale, qui consiste à en passer par un ré-arrimage institutionnel, le professionnel ne pourra aborder le second temps du processus. Il ne pourra ni reculer sur ses constructions hâtives, ni lâcher sur son besoin d’explication, ni travailler au un par un, ni faire place à la possibilité de n’y rien voir.
Nous devons garder précieusement en tête que de rien peut naître quelque chose, ainsi que nous le rappelle l’étymologie puisque le latin res signifie à la fois la chose et le rien. Cela se vérifie sans conteste dans les résonnances parfois immédiates, et toujours spectaculaires, qui prennent corps au-delà des personnes présentes et à travers elles, auprès des publics auxquels elles s’adressent.
Sans ce travail de déblaiement imaginaire, point de respiration pour le sujet psychotique qui, de ce manque restauré au creux de son interlocuteur, fait toujours son miel.
Parce qu’il lui faut trouver un manque dans l’autre, un autre lavé de tout jugement, de tout apriori, de toute interprétation, un autre qui ne soit pas suspect de vouloir le laisser tomber ou d’en jouir, un autre qui puisse regarder et loger au creux de son être l’insondable vertige de la vie, il s’en trouve très souvent bougé, un peu soulagé, moins en crise, quelque peu susceptible de relations de confiance à un ou des semblables.
Alors, sans doute, faut-il être un peu croyant.
Il nous faut croire qu’à la logique de la performance, du mesurable, de la rentabilité, de la communication, du bien-être, nous pouvons, nous devons, opposer un temps pour l’aventure d’aller ensemble jusqu’au lieu où « les mots rebroussent chemin », jusqu’à la naissance du sens, jusqu’à ses premiers balbutiements, afin que fleurisse quelque effet de création.
Ensemble, ne nous détournons pas de l’incommensurable.