Chicca Loro
Quand je reçois Agathe, âgée de 9 ans, pour la première fois, sa mère me répète ce qu’elle m’a déjà dit au téléphone : « Agathe a peur de prendre le métro, elle a peur depuis toujours ».
1) La peur des portes du métro et la demande du sujet.
Une fois seule avec Agathe, je lui demande si ce qui la fait souffrir est bien la peur du métro. Elle confirme, précisant que ce sont les portes les portes du métro qui lui font peur, tout en ajoutant : « je crois qu’il y a autre chose, je crois que ça cache autre chose… ».
Elle fait alors un dessin : une princesse et un prince sont prisonniers dans une grande cage. A l’extérieur, nous avons d’un côté « la bonne fée » et de l’autre, « la méchante sorcière », qui fait prisonnier le prince et la princesse. Je lui demande :
« Comment a fait la sorcière pour les mettre là-dedans ? Par où sont-ils rentrés ? ».
« Ils sont rentrés par une porte, me dit–elle, une porte invisible ».
Je lui demande alors si elle pense que sa peur des portes du métro pourrait avoir un lien avec ce dessin. Elle me répond : « Peut-être il y a un lien avec les portes….les portes invisibles, oui ce dessin me fait penser à mes copines. Quand je me dispute avec mes copines, j’ai l’impression de passer à travers les portes du bien et du mal ».
Je lui dis que ce qu’elle vient de dire est très important et coupe la séance là-dessus.
Grâce à cette première coupure qui fait ponctuation, je valide ce que le sujet a lui-même entendu à travers son propre discours, à savoir qu’il y a un au-delà de la porte du métro. Elle me le dit elle-même : « la peur du métro cache autre chose ». Ainsi, c’est par son savoir que cela cache quelque chose qu’Agathe m’adresse une demande de savoir. De plus, ma coupure après qu’elle ait dit : « j’ai l’impression de passer à travers les portes du bien et du mal » l’autorise à sortir des portes tangibles du métro. En effet, dès la séance suivante, elle ne parlera plus de métro.
Les peurs d’Agathe
Agathe commence à déployer toutes ses peurs : celle ressentie lorsqu’elle apprend la mort de la grand-mère de sa copine Rosa, ou encore celle qu’elle a au parc quand elle fait du vélo. Mais il y a aussi la peur associée à certaines idées:
« Quand j’ai appris que la mère de Rosa s’est cassé le pied, j’ai eu envie d’aller la voir, mais alors, c’est comme si j’avais un ange bon qui me disait d’y aller, et un ange mauvais qui me disait de ne pas y aller. J’ai eu l’impression que c’est de ma faute, parce – que le soir j’imagine que je l’ai poussée dans l’escalier ou sur le trottoir. »
Je lui dis alors : « Mais quelle idée de croire qu’il suffit de penser à quelque chose pour que cela arrive ! » Je coupe la séance là-dessus.
Enfin, une autre peur très forte est à souligner. Quand sa mère est en retard à la sortie de l’école elle panique, elle pleure, elle a peur qu’il lui soit arrivé quelque chose. Elle a aussi peur pour elle- même, celle de ne pas être protégée, quelque chose pouvant lui arriver.
Le bien et le mal
Agathe dessine beaucoup. Souvent elle fait une Princesse qui se cogne contre des portes blanches, invisibles, qui représentant les portes du bien et du mal qu’il faut traverser pour rejoindre des amis de l’autre côté après avoir battu des hommes qui lui barrent la route.
En me parlant de toutes ses peurs, elle commence à faire un travail sur les « deux côtés » comme elle dit, du côté du bien et du côté du mal. Le bien c’est quand on est gentil, le mal c’est quand on tape et qu’on se dispute avec les copines.
2) La déclinaison de la phobie.
Je dirai que dans ce premier temps du traitement (pour reprendre le thème de la journée), le sujet décline, déplace sa phobie sur autre chose.
Des portes du métro, on passe à la peur de ses pensées, puis à celle qui concerne sa mère (peur qui arrive « quelque chose » à sa mère) et enfin à la peur qui lui arrive à elle quelque chose. Précisons qu’Agathe a une licorne qu’elle utilise pour ne pas avoir peur, agissant comme objet « contraphobique ».
Alors, concernant la phobie, Lacan dit deux choses qui me semblent utiles ici.
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La première se trouve dans l’Instance de la lettre, p. 519, quand il parle du « cristal signifiant de la phobie ». Il fait référence au petit Hans, qui, « laissé en plan par les carences de son entourage symbolique, développe autour du cristal signifiant de sa phobie (…) toutes les permutations possibles d’un nombre limité de signifiants ».
Alors, premièrement il me semble que le travail fait par le sujet est analogue à celui de Hans. Agathe sort petit à petit des portes « tangibles » du métro et épuise les nombreuses significations des portes. Les portes condensaient pour elle :
L’invisible et le visible, (Elle est très Merleaupontienne !), le bien et le mal, la peur des pensées.
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La deuxième chose que Lacan dit et qui me semble importante, se trouve dans le S, IV, p. 58, il dit que « la phobie est une solution au difficile problème introduit par les relations de la mère à son enfant et que c’est un appel à un élément symbolique, au père ».
En ce qui concerne la mère, je remarque plusieurs choses. Premièrement, son agressivité et sa méfiance après les séances. Je lui demande si elle souhaite venir me voir. Elle vient et au rendez-vous elle me dit que le père d’Agathe « veut arrêter » car cela ne sert à rien, sa fille est une trouillarde, elle a toujours peur.
Le père est originaire du Maroc mais me dit-elle, pour tout de suite ajouter qu’il très bien intégré à la France, qu’il n’est pas musulman, et qu’il n’est jamais retourné au pays depuis son arrivée tout petit. Elle me précise aussi qu’Agathe a voulu une fois se rendre sur la tombe de son grand père paternel qu’elle n’a pas connu. .
Sinon pour elle, tout va bien. Elle voulait une petite fille, elle a eu une petite fille, avec des cheveux bouclés, elle a les cheveux bouclés. C’est la fille parfaite. Elle est adorable et gentille. Mais comme elle a toujours peur, elle pense arrêter les séances. Je lui explique alors que cela peut prendre encore un peu de temps (Agathe n’a fait que 4 séances). Je lui parle du premier cas de psychanalyse d’enfant, le petit Hans, je lui dis que lui aussi il avait une phobie, celle des chevaux, (à l’époque il n’y avait pas de métro !) et que cela avait pris un certain temps à afin qu’il trouve avec Freud toutes les significations que le cheval condensait… L’argument semble le convaincre et elle décide de me laisser encore un peu de temps.
Il me semble tout d’abord qu’il est important de saisir quelque chose de cette articulation au discours de la mère.
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En premier lieu, la mère a emmené sa fille pour que je la soigne de la phobie du métro. L’enfant fait un dessin à la première séance qui lui permet de sortir de portes du métro, pour parler d’un au-delà. Seulement, à la séance qui précède mon rendez-vous avec sa mère, Agathe me parle bien évidement du métro ! Elle se conforme ainsi à la demande de la mère qui veut la soigner du métro et rabat toute la richesse de ses propos sur cette demande. Elle montre aussi qu’elle est bien identifiée au signifiant maternel, car sa mère l’épingle plusieurs fois comme « trouillarde ».
b) Venons-en à cette peur que ressent Agathe, et qui concerne sa mère (peur qu’il lui arrive quelques chose). Alors dans Inhibition, Symptôme et Angoisse, F parlait de cette ambivalence qu’un sujet peut manifester à l’égard des proches : il parle d’une « haine contre une personne aimée qui est refrénée par un surcroît de tendresse et d’appréhension anxieuse à son égard ». Alors, j’entends dans cette « peur qu’il arrive quelque chose à sa mère », comme un retournement pulsionnel, disons de l’agressivité en crainte. Quelque chose de cette agressivité sera en effet confirmer plus tard.
(D’ailleurs dans, Au-delà du p de plaisir, p. 88, Freud écrit que la phobie névrotique n’est rien d’autre qu’une tentative de fuite devant une satisfaction pulsionnelle).
Alors on pourrait dire, à ce stade du traitement que « la porte du métro », fonctionne comme un objet phobique, symbolique ; la bouée de secours en somme, le signifiant qui supplée à une carence symbolique de son entourage.
Dans la direction de la cure, p 610 : « Mes élèves sauront ici déplorer que l’enseignement de mon séminaire n’ait pu alors l’aider, puisqu’ils savent sur quels principes je leur ai appris à distinguer l’objet phobique en tant que signifiant à tout faire pour suppléer au manque de l’Autre, et le fétiche fondamental de toute perversion en tant qu’objet aperçu dans la coupure du signifiant.
3) Le traitement des phobies
Après le premier temps du traitement qui a permis au sujet ce travail autour du « cristal signifiant de la phobie », les peurs s’estompent petit à petit. Elle me dira « J’ai pris le métro et je n’ai pas eu peur. Je crois que maintenait la peur du métro c’est passé ». Elle enchaîne sur un dessin des portes du métro et me dit qu’elle a compris que les portes servent à protéger. Je lui rappelle qu’une fois elle m’avait dit que lorsque sa maman était en retard à l’école, elle ne se sentait pas protégée. Elle répond alors que la peur des portes, c’est la peur d’être oubliée. Je coupe la séance en valisant son propos : « C’est ça, la peur des portes, c’est la peur d’être oubliée ».
Dire oui et dire non ; Entre deux côtés
Petit à petit, elle commence à parler de son père. « En fait, papa parfois il dit oui, et après il dit non et je ne comprends pas. Il y a des choses que je ne comprend pas ».
A la séance suivante, elle me dit : « Je ne comprends pas. Quand mes copines me demandent si je veux jouer aux billes je dis non…alors que je voulais dire oui ».
Puis, un jour, elle me dit : « Avant j’avais des peur puis j’ai compris que le cœur de toutes mes peurs était la peur d’être oubliée… Maintenant tout va bien ». Elle en a parlé à ses parents qui pensant qu’elle doit arrêter les séances, maintenant qu’elle est guérie. Je lui demande si elle est d’accord avec eux. Elle me répond : il y a deux côtés : un qui dit oui, un autre qui dit non !
Elle dessine un tableau avec deux colonnes :
Côté gauche elle écrit :
non ! pas du tout ! côté dur ! tu ne dois pas continuer !
Côté droit :
oui ! bien sûr ! côté mou ! Si, tu dois continuer !
Elle trace une ligne transversale qui sépare les deux côtés et se dessine au milieu, entre les deux en y ajoutant un point d’interrogation.
Je lui dis : « Ah, tu t’es mise à la frontière des deux côtés »
Oui, me dit-elle, mais je décide de venir encore.
Le sujet divisé.
Il me semble que ce tableau à deux colonnes où elle se représente à la frontière est une version du sujet divisé. Elle est divisée entre le oui et le non. Elle fait comme son père qui dit oui puis qui dit non. Avant, c’était la porte qui illustrait quelque chose de la barre du sujet, du passage d’un côté à l’autre. Maintenant, c’est dans le oui et le non, dans cette ambivalence.
4) Le diagnostic.
Je dirai que jusqu’au moment où le sujet était pris dans ses phobies, j’ai hésité sur le diagnostic entre h et no. Agathe manifestait cette peur de « certaines idées dans la tête », par exemple, quand la mère de sa copine se casse le pied, et qu’elle avait eu peur d’avoir provoqué ça avec une pensée. Nous y voyons ici quelque chose du totémisme, de la toute puissance de la pensée, façon Homme aux Rats (« Qu’il meure » et le monsieur meure vraiment).
(Malgré l’avis des parents, elle viendra encore deux fois).
5) La plainte hystérique.
Une fois que le sujet ne peut plus faire usage de cette « couverture phobique », apparaît une plainte avec une structure hystérique. Agathe se demande pourquoi sa maman dit non à tout : elle dit non au cheval, aux nouvelles copines… Ainsi Agathe est insatisfaite. Comme explication, elle se dit que sa mère voulait un garçon ; alors elle l’embête. Ainsi, c’est toujours à elle de ranger la chambre, alors que son frère, qui est un garçon ne fait rien. Oui, les filles et les garçons c’est pas pareil, me dit-elle. « Des fois une idée me vient dans la tête, c’est comme une machine qui me dit de rejoindre l’autre côté, celui de mon frère et de mon père ».
Donc elle se plaint d’être empêchée par sa mère, elle en est insatisfaite, mais aussi elle insatisfait sa mère car elle est une fille et pas un garçon. Je crois que, après coup, on pourrait dire que ses phobies lui permettaient de se plaindre car elles l’empêchaient de prendre le métro et donc d’aller à l’Opéra, de rester à l’étude après l’école etc… (Freud disait qu’une phobie peut avoir pour mission de « faire l’économie d’un accès d’hystérie ». (Actions compulsionnelles et exercices religieux). in N, P et P, p. 140).
Elle se rebelle, elle n’a pas envie de la ranger cette chambre, elle veut continuer les séances même si ses parents ne sont pas d’accord.
La question hystérique.
A côté de cette plainte, elle se demande « pourquoi c’est aux filles et pas aux garçons de ranger la chambre ». Elle aimerait aller du côté des garçons. On dira donc qu’elle se pose la question hystérique par excellence, soulignée par Lacan dans le séminaire III, « suis-je un homme ou une femme ? »
6) La carence paternelle de l’hystérique
Si c’est une hystérique, je dirais que c’est une hystérique en « mal de père », en quête d’une identification à un trait du père. Le père est un personnage plutôt effacé, il dit oui, après il dit non, il n’a pas le droit de parler sa langue maternelle, d’aller au Maroc. C’est le père carrent de l’h.
On le voit aussi quand elle fait son tableau oui-non. Il y a un côté « dur » et un côté « mou », comme elle dit. Elle se dessine d’abord au milieu parce qu’elle ne sait pas où se placer, puis elle choisi le côté mou. Alors, le contraire de dur, de rigide pour elle, c’est le mou. C’est intéressant car je pense que ce « mou » renvoi à quelque chose de l’impuissance paternelle, à la détumescence de l’organe. Son père est impuissant, mou, et ambivalent. Elle hésite comme son père.
Elle cherche aussi une identification au père quand elle se rend sur la tombe du grand père paternel, quand elle me dit qu’elle voudrait connaître le Maroc mais maman ne veut pas y aller etc… (Quelque part elle est « laissée en plan par son entourage symbolique », comme dit Lacan).
Elle m’annonce à la 13ème séance qu’elle va arrêter, que tout va bien. A son âge, c’est compréhensible car elle n’a plus de symptômes comme avant et il y a aussi la pression parentale. Ceci dit, c’est dommage que la mère ne lui ait pas permis de continuer car elle risque dans ces conditions de s’hystériser encore plus, de se plaindre encore plus, ce qui arrivera d’ailleurs à la fin de la dernière séance. Sa mère dit encore une fois « Je voulais une fille avec les cheveux bouclés, je te voulais exactement comme tu es ». Et l’enfant répond qu’elle aurait aimé avoir les cheveux lisses. Bon.
Cette plainte, c’est aussi ce qui la sauve car c’est par là qu’elle échappe au désir de la mère, par la plainte et la rébellion. (cf. Aliénation – Séparation).
Elle risque aussi de garder intact ce collage à sa mère, car en tant que sujet hystérique elle se soutient de l’insatisfaction que lui procure sa mère et de l’insatisfaction qu’elle procure elle-même à sa mère.