Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

De l’anorexie – je mange rien, à la boulimie, je me gave

De l’anorexie – je mange rien, à la boulimie, je me gave

Dario MORALES

D’abord, il faut signaler que beaucoup de troubles sont examinés actuellement sans faire recours à la notion de structure, sans référence à une étiologie. Des étiquettes qui se juxtaposent et qui désignent des symptômes en soi, des maladies en soi. D’où le terme de monosymptômes. On en fait un TCA. L’anorexie se résume du coup à la triade des trois A : restriction alimentaire, amaigrissement, aménorrhée.

Quand on met en avant le « monosymptôme », on peut dire également « signifiant prévalent identificatoire », insigne dans lequel se reconnaissent des personnes. Pour nous, cliniciens formés à la psychanalyse, je dirais qu’il faut tenir compte de la symptomatologie sans pour autant effacer le sujet dans sa singularité radicale et irréductible, autrement dit en tenant compte de la réponse qui peut être apportée qui tienne compte du sujet et qui ne se réduise pas à un protocole pré-établi. A une affaire de repas ou contrat de prise de poids. Il y a donc à tenir compte des positions subjectives par rapport au vécu, au langage et à la jouissance. Du vécu on en sait quelque chose, l’histoire, les antécédents, la jouissance aussi autour de la nourriture.

Mais pourquoi évoquer le langage ? Simplement parce qu’il préexiste au sujet et le détermine. Ceci amène à distinguer la triade besoin, demande, désir. Le désir est irréductible au besoin, il n’est pas non plus la satisfaction d’un besoin. Il n’est rien d’autre qu’un désir qui ne tend pas vers un objet mais se présente comme un désir de rien qui savoure l’absence. Pour comprendre ceci, il est peut être important de comprendre et d’analyser en quoi consiste l’oralité. On dit généralement que l’anorexie est un trouble de l’oralité. Que veut dire cela ?

On peut dire que la mère est celle qui satisfait les besoins de l’enfant. Quand il a faim elle lui donne à manger, elle fait un don. Elle symbolise ainsi l’objet. C’est parce que la mère devient pour l’enfant une puissance qui peut donner ou pas l’objet. Elle peut refuser. Et dès lors, l’objet oral, l’objet sein, la nourriture n’est plus objet de satisfaction d’un besoin, mais devient le témoin du don d’amour, la preuve d’amour, il devient symbolique. Donc il devient un signifiant. Il ne vaut plus pour lui-même, mais par le rien qui l’oriente. Il y a donc une substitution de la satisfaction d’un besoin vers l’exigence de l’amour, qui fait que l’oralité se fait autour de l’objet rien. Il ne s’agit pas que l’enfant ne mange pas, que Lacan appelle la négation de l’action, négativité, il ne mange rien. Il savoure même l’absence comme telle. Cet aspect est important pour comprendre la question de l’objet.

Or l’enfant utilise ce rien, pour faire dépendre sa mère de lui. Il va retourner vers lui le rapport de dépendance initial. L’enfant met ainsi en échec sa dépendance par rapport à l’autre en se nourrissant non pas de quelque chose, c’est-à-dire du sein , en tant qu’objet, mais de et objet comme annulé, du rien comme objet.

Il faut expliquer comment la mère peut donner, mais aussi refuser, elle peut tout : car elle est toute puissante. L’enfant rencontre cette toute puissance dans sa constitution comme sujet. Il rencontre dans le miroir – le sentiment de triomphe, au moment où il se saisit, comme totalité. C’est une expérience de maîtrise. Il rencontre là sa forme qui lui donne un semblant de maîtrise sur ce qu’il éprouve, du fait qu’il s’éprouve comme morcelé et incoordonné. Mais ce moment de triomphe est aussi un moment de défaite, quand il se trouve en présence de cette totalité sous la forme du corps maternel, il doit constater que la mère ne lui obéit pas. Lorsque la structure du stade du miroir est en jeu, la toute puissance maternelle n’est réfléchie qu’en position dépressive et le sentiment d’impuissance menace. Autrement dit ce n’est pas au niveau de l’action, savourer l’absence sous la forme du négativisme que s’élabore la résistance à la toute puissance dans la relation de dépendance, c’est plutôt au niveau de l’objet qui se manifeste le signe du rien. C’est paradoxalement au niveau de l’objet annulé en tant que symbolique que l’enfant met en échec sa dépendance et précisément en se nourrissant de rien. C’est là qu’il renverse la dépendance se faisant maître de la toute puissance avide de le faire vivre, lui qui dépend d’elle. Dès lors, c’est elle qui dépend par son désir, c’est elle qui est à sa merci, à la merci des manifestations de son caprice, à la merci de sa toute puissance à lui.

On a ainsi le rien dans sa valeur didactique, qui autorise le renversement des rapports de force. L’enfant est l’objet de l’Autre, impuissant. Il dépend de cet Autre. Mais à présent, il rend l’autre dépendant de lui, et le plonge dans l’impuissance de l’angoisse. Du coup, ce n’est pas tant l’anorexique qui est angoissée mais l’entourage qui ne sait plus quoi faire.

Ce versant est complexe chez l’anorexique, figure à la fois de maîtrise et de protestation, voire de refus. C’est aussi un appel, une tentative d’ouvrir une brèche chez l’Autre omnipotent. C’est le cas d’une de mes patientes anorexiques, mais on retrouve cette trace également chez des patientes boulimiques. La mère est assistante maternelle et fait de son enfant un objet de soins au même titre que n’importe quel autre enfant. Jusque-là elle avait pu s’accommoder des soins gavants de sa mère. Mais lorsque la mère intègre et affiche sa fonction d’assistante maternelle y compris avec ses enfants, la dimension de l’amour est pour le coup écrasée, l’enfant déclenche soudain une anorexie. Mais à l’arrière-plan, la mère demandait quelque chose au mari qui ne venait pas. La mère se trouve en quelque sorte, toute seule. Il y a donc un problème du côté de la transmission phallique mère-fille. Si l’on déploie les coordonnées de l’histoire de cette patiente, on rencontre ce moment de déception dans la demande d’amour et donc la protestation à cette demande inassouvie peut aller très loin. Je cite Racalcati, « le corps devient squelette, se voue à la mort pour ouvrir un manque dans l’autre, pour secouer l’autre », l’anorexie est alors ici un appel à l’Autre.

Le discours. En toute logique, nous partons du matériel, le discours qui montre un trouble de la sexuation. Il nous est dit souvent que l’absence de demande chez l’anorexique est révélatrice. Il y a un paradoxe : elle parle mais elle ne demande rien, il y a surtout une absence d’ambigüité dans son discours qui est d’une grande platitude. Une psychanalyste, Corinne Tyszler soulignait que « le signifiant est soumis à un régime ». Pas de dimension du symbolique, « je voudrais que la vie se passe », « je ne cherche pas à manger, mais à aimer ». on peut même dire que parler de discours est impropre, car pour parler de discours il faut qu’il y ait un autre, qui semble exclu ici. Nous sommes devant une pathologie qui exclut l’ordre phallique, l’altérité. C’est dans ce sens que le signifiant est soumis au régime. Curieusement, nous sommes souvent confrontés à une relation mère fille. Elle se trouve livrée à « la grande gueule de l’Autre ». Dans cette clinique on entend une exigence de participer à la dénonciation phallique. Les mères sont très virulentes et très actives sur le corps de leur fille. Elles font de leur fille les témoins de leurs problèmes conjugaux et sexuels. La sexualité de leur filles serait la trahison de les renverrait au côté infâme du père. Donc les filles ont le choix entre deux trahisons. D’un côté elles sont de connivence avec la mère et traître pour le père et inversement elles s’identifient au père ravalé par la mère. Le père est ou pas évoqué, même s’il existe, même s’il est présent, elle n’attend rien de lui. Elle insiste, c’est pour elle qu’elle veut maigrir, ce n’est pas pour le désir de l’homme. Si elle a un ami, peu de rapports sexuels. Il y a certes, une demande d’amour mais qui ne s’adresse pas à l’homme, ce n’est pas une demande d’amour sexuée.

On met donc ici le doigt sur la transmission du manque, de la castration symbolique. La mère est toute et ne donne pas le rien. On pourrait imaginer deux métaphores, celle de l’os qui maintient ouverte la gueule du crocodile. L’os est le phallus et la gueule du crocodile la mère. Ceci illustre un moyen de se soutenir du désir de la mère, pour se protéger de la dévoration maternelle. C’est la voie habituelle du sujet femme dans sa névrose. Mais chez l’anorexique, c’est une autre voie. Une autre métaphore, celle de la mante religieuse et du masque porté vis-à-vis. La forme du masque détermine la voracité de l’insecte. Il représente « la fonction angoissante du désir de l’Autre ». Pour échapper à la voracité de l’Autre, l’anorexique avance sans masque. Du coup montre-t-elle son corps sans la chair ? Le pouvoir change donc de main. L’angoisse passe du coup du côté de la mère. De façon plus large, l’angoisse passe du côté de l’autre. Et son rapport au corps est aussi symptomatique. Elle refuse la chair. Elle ne voudrait être que pur esprit. Elle s’anéantit. L’image du corps s’amenuise. Elle refuse le phallus. Il n’est pas question qu’elle soit l’objet de désir. Elle présente le réel dans sa dimension insoutenable. Elle maîtrise et place l’angoisse sur l’autre.

J’en viens au traitement. Il ne s’agit pas uniquement de reprendre l’appétit, reprendre le poids. Mais aussi de faire émerger la question du sujet dans sa particularité. Il y a bien sûr la structure mais il faut surtout aider le sujet à décoller de ce signifiant pour élaborer une question subjective, donc faite de division. Il faut que le sujet se reconnecte à l’inconscient. Il faut que le sujet puisse repérer ses modes de jouissance et les aménager dans un patient travail de déchiffrage. Décaler le sujet de l’identification à ce signifiant et donc ouvrir vers le savoir.

A présent la boulimie Le repas a une haute valeur sociale, organisé en système codifié, il est le lieu des échanges, d’un pacte éventuel, d’un don oral. La boulimie par son caractère hétéroclite, sans règle, solitaire met évidence l’échec de ce système codifié et pousse à la sortie de ce système : ici personne pour servir, pour partager le repas, pas d’invitation, pas d’accueil, pas de reconnaissance.

La question serait alors comment interpréter la position de la boulimique ? Par quel procès s’inscrit et s’institue ce symptôme qui révèle au prime abord son caractère pulsionnel ! On interrogera ici le registre non pas de l’action, le gavage, mais l’objet de la pulsion, de sa situation dans la structure, de sa nature articulée à la dimension symbolique du don, car le refus, la déception, la frustration sous-jacente confirment l’échec de l’inscription de l’objet oral en tant que lieu d’échange symbolique. Je précise, la boulimie tout comme l’anorexie hystérique, se présentent comme des symptômes névrotiques dont le refus et gavage ont pour fonction de s’adresser à un Autre, façon d’interroger en quelque sorte le désir de cet Autre.

Quel est le statut de cet objet ? J’en viens presque à dire, et je profite de l’occasion pour dire qu’il faudra faire un exposé sur l’objet RIEN, car face à l’Autre, le sujet peut tantôt répondre par le refus ou par le comblement, suivant une modalité boulimique ou anorexique, avec toutes les modalités possibles de mixage, de réversion puisque tout cela se passe sur un axe imaginaire où manque une référence tierce, celle du phallus. Il s’agit souvent pour ces deux pathologies, des subjectivités qui ne s’articulent plus à une référence symbolique mais qui se manifestent dans le réel. L’objet RIEN est un objet à part entière à additionner dans la liste des objets de la demande, objet freudiens par excellence que sont l’oral, l’anal, le phallique et à la liste des objets lacaniens que sont la voix et le regard.

Or à la différence des objets précédents qui sont noués à la demande et au désir de l’Autre par le truchement des orifices qui font bord dans le corps, le RIEN est inclassable, il est hors-série, mais dans l’anorexie et dans la psychose, cet objet devient prévalent. Il suffit d’entendre le caractère désubjectivé, transi de jouissance, de ruminations anorexiques qui précèdent la rencontre avec la nourriture, « je mangerais ou je ne mangerais pas. A quoi elle répond, « je mange rien » avec une telle réponse, le sujet ferme à chaque fois l’espace de l’Autre, elle ne veut rien savoir du désir de l’Autre, ni savoir tout court. Ce rien est un mouvement de fermeture de l’espace de l’Autre, du manque. Cette question de l’espace, d’un intervalle est essentielle à construire lorsqu’il s’agit de penser à la thérapeutique, l’intervalle implique un décompléter. On en parlera il s’agira de construire un espace de représentation, un fantasme. En somme, l’objet RIEN, comme tout objet est d’être cause, mais ici il est cause d’inertie dévitalisante, anti-séparative, d’une négativité « régressive », d’un retour à l’inanimé, d’une jouissance du Un sans perte, tentative de rester hors-discours.

Pour l’humain, Il s’agit normalement de manger non pas uniquement un objet du besoin mais l’objet significantisé, agalmatique, signe de l’amour de l’Autre. Or ici, dans ces pathologies, il s’agit de savourer cet objet comme le fort-da, présent-absent ici trop présent, jusqu’au dégoût dans la dévoration, et qui doit disparaître, cesser d’y être présent, comme si l’on pouvait ravaler l’objet significantisé en objet purement réel, mais n’y croyons pas que s’agissant de la boulimique on aurait trouvé là, la cause de son malheur, car il ne faut pas oublier que le destin de la pulsion orale se joue dans l’en-deçà qui engendre la déception, la privation qui se prépare déjà dans le sevrage, initié au cours de l’enfance et qui montre la voie de la séparation.

Face à une volonté gavante inscrite dans l’Autre puisque l’Autre demande au sujet de se laisser nourrir, le sujet tente de sauver son désir en rappelant à la mère que c’est de son amour que l’enfant est assoiffé et non de lait, et qu’aucune nourriture ne peut venir satisfaire cette faim de reconnaissance de son être. Pourquoi le sujet en est arrivé là ? Trois termes vont nous éclairer, privation, frustration, castration. Je rappelle les trois complexes fondamentaux, trois, écrasés par le complexe d’Œdipe mais les trois sont constituants : le complexe de sevrage implique la privation ; le complexe d’intrusion, (la reconnaissance d’un autre comme rival) implique la frustration et le complexe d’œdipe implique la castration. Je rappelle également que c’est comme manque que s’effectue la sortie de chacun de ces complexes. C’est le manque qui se constitue ainsi. Je rappelle que ces trois mouvements s’organisent rétroactivement à partir du troisième, la castration. Je rappelle également que la privation est réelle, la frustration est imaginaire et la castration symbolique. Je ne vais pas tout détailler ; il suffit de comprendre que dans la privation l’objet qui se réalise comme manquant ne peut manquer que s’il a sa place dans l’ordre symbolique : la privation est réelle, elle se transforme en manque parce qu’elle se réfère à l’ordre symbolique. L’exemple serait celui du livre dont est privée la bibliothèque mais qui manque parce qu’il est référé à un fichier symbolique.

Quand un ouvrage nous manque chez nous, alors qu’on sait qu’il est là, nous nous référons à notre fichier symbolique. C’est ici que la fonction du père se manifeste. Quand on écoute attentivement nos patientes on remarque que ce n’est pas uniquement dans un face à face mère-enfant que se joue le ressort de la boulimie mais dans un raté de l’opération paternelle à faire advenir comme manque symbolique ce qui est d’abord aperçu comme imaginaire chez la mère et donc comme réel chez l’enfant. Ce raté de l’opération paternelle entrave l’accès du sujet à la privation, commencement du sevrage, rendu ainsi impossible, car il ne peut s’instaurer de dialectique de privation qu’à propos de quelque chose que le sujet peut symboliser et donc s’identifier.

Je rappelle que la première identification au père, est de nature orale, l’objet convoité est incorporé réellement en le mangeant, ensuite il peut être imaginarisé, voire symbolisé, exemple le corps du christ symbolisé par l’ostie. Or ici dans la boulimie, l’accès à la castration, donc au manque met en évidence le fait que la privation ne peut être symbolisée et du coup le sujet à recours à la frustration dont elle peut agiter imaginairement le manque de cet objet réel qu’est la nourriture. Elle trompe ainsi l’impensable castration par le recours à la frustration dont la mère est l’agent. Dans un ordre, (désordre) qui n’est pas régi par l’ordre symbolique, ce n’est donc plus le signifiant, le manque pour le dire autrement qui oriente vers la jouissance mais l’objet, c’est-à-dire que face à cet insupportable qui ne permet pas le manque, ou qui ne manque pas du côté de la structure, ce n’est plus alors le manque qui est recherché mais le rien, la jouissance qui sera recherchée est la jouissance de l’objet. Tantôt jouissance du rien, côté anorexique ou inversement jouissance du comblement, côté boulimique, dans les deux cas, la jouissance tend à repousser les limites. Je dirais alors pour formaliser que si la mère est l’agent de la frustration qui favorise la boulimie, le père imaginaire est l’agent de la privation qui aiguise la revendication inassouvie de celle-ci et qui revient sous la forme du regard qui se fait absent.

Pour le dire du point de vue de la métapsychologie, il convient de préciser que l’objet oral est par définition l’objet d’une demande du sujet et cette demande est essentiellement demande d’amour qui s’inscrit à partir et au-delà des besoins de nourriture à satisfaire, mais surtout s’agissant de l’amour, la demande est demande d’un don qui atteste de la dimension de l’amour inconditionnel. D’ailleurs les patientes nous disent souvent « ce n’est pas la bouffe que je veux, c’est de l’amour. Mais cet amour, je ne sais pas que faire, je demande peut-être trop, et personne ne peut me donner ce que je veux ».

Au fond, l’anorexie, et la boulimie sont avant tout des maladies d’amour qui se mettent à l’abri du regard. La question est comment entendre la demande ou le désir dans la relation au grand Autre symbolique, le père qui semble échouer, surtout lorsqu’il est convoqué dans sa fonction de père réel dont le destin, comme nous le rappelle Freud est d’être mangé jusqu’à l’os. Seulement voilà, l’os du père n’est pas suffisant pour arrêter sa dent de boulimique ! Car au fond, il est où le père ? Il est où l’os du père ?

Je dirais pour terminer, le père est souvent exclu, il n’y a rien à attendre de lui, pas plus qu’il n’y a attendre d’aucun homme, d’aucun objet. Le père est un accessoire, gentil, doux, absent, dans un décor où tout est réglé par la puissance dominatrice de la mère. Une de mes patientes boulimiques dit : « ma mère me gavait jusqu’à l’écœurement, ma mère était toute, toute mère, elle niait toutes ses failles. J’ai compris bien plus tard que ma mère souffrait d’une sourde frustration, un jour j’ai eu la réponse, la naissance de mon frère, j’avais 9 ans. Ma mère était nourrice, elle gardait plusieurs enfants. Je lui propose de m’occuper de mon frère et de le pouponner, elle me dit, tu es grande occupe toi des enfants que je garde, au lieu de l’amour elle m’a proposé de travailler pour elle. Je suis allée chercher dans les placards de quoi assouvir mon manque et je suis devenue au fil du temps, boulimique, grosse, répugnante. Près du placard, j’étais protégée cachée du regard de ma mère qui ne me voyait pas. On me disait à l’école Tonneau. Je n’avais pas de sexe. Une boule n’a pas de sexe. On ne regarde pas une boule de gras. Mon père ne me regardait jamais ».

L’amour tant attendu de la mère ne vient pas, mais le regard qui phallicise et qui rend désirant, ce regard-là se fait aussi absent. Car le regard amène le trait de la féminité, de la représentation, du semblant qui habille le sujet. On en parlera plus tard quand on évoquera le traitement des boulimiques sur le rôle de la représentation psychique. L’intervalle dont je faisais allusion au début.