Dario Morales
Au terme de cette belle journée, nous sommes devant le constat clinique qu’avançait Florence, la médecine et la psychiatrie ont fondé leur thérapeutique sur le traitement des affects et de leurs effets, laissant la cause de ceux-ci intacte ; ce que la clinique contemporaine n’en dément pas puisque les affects se présentent aujourd’hui sans l’apparat psychanalytique, ni métaphysique ni existentiel ; Constanza Elicabé et Fernando Morales ont évoqué le panic-attack et voilà que l’angoisse se confond une nouvelle fois avec la peur, la panique et se fait ranger dans le registre des émotions négatives.
Historiquement, il s’agit, en premier lieu, de décrire les resserrements somatiques, angor, anxiéte, avant d’être médicalisés, à quoi se sont ensuite rajoutés des inquiétudes d’ordre existentiel et moral. Au fond, ces termes I, A, A, loin d’être des inventions psychiatriques, trouvent leur fond dans la réflexion des affects explicités dans des disciplines éloignées de la médecine – la philosophie en particulier. La coloration médicale apparaît tardivement lorsque l’inscription est corporelle, ensuite lorsque est affecté la sphère corporelle et psychique, on décrira alors un sentiment et la médecine s’attardera aux effets non seulement somatiques mais psychiques.
Parallèlement, en laissant la cause intacte, on s’emploie à réduire ses effets ; c’est ici comme l’a signalé Anne-Sophie Cheron qu’une thérapeutique voit le jour, la constitution d’un savoir médicale et d’une pratique de l’art de soigner ; il faut savoir qu’à l’arrière-plan la construction d’une médecine anthropologique de l’homme passe par le dépassement de la théologie et du charlatanisme et du savoir approximatif des « maux de l’âme » ; on cherche à mieux connaître les facultés humaines ; la pratique du médecin va de pair avec l’idée d’asseoir son autorité ; on induit des conseils, ou bien on effraie – pratique chère aux tenants du traitement moral – pour obtenir une abréaction des affects ; le médecin découvre le rôle de l’imagination, faculté de représentation par l’esprit des objet, des faits irréels, des craintes, des inquiétudes ; on remobilise cette faculté pour restituer à la mémoire des perceptions saines ou des expériences non morbides ; grâce à l’imagination la mémoire restitue et met de l’ordre, donne un sens aux perceptions ; le médecin fait appel au mental du patient et donc à sa capacité de symbolisation lui permettant de retrouver son calme, à intégrer et digérer son inquiétude.
En faisant un pas de plus, Nicolas Landriscini nous montre comment Freud rencontre l’angoisse dans la clinique, mais Freud ne veut pas l’interroger pour en donner un sens, il mise sur la cause. Angoisse-signal relève d’un état d’alerte devant le danger ; mais Freud fait ensuite la place au développement de l’angoisse, au rôle du moi, lieu unique de l’angoisse, menace qui joue son rôle dans le refoulement et ensuite dans la formation du symptôme. Mais si Freud enseigne que l’angoisse est un signal, elle n’est pas un message et il n’y a en elle aucune réserve de savoir qui ne soit pensable sans sa disparition. Pour Bernard Jothy et pour Damien Guyonnet ce signal fait signe du réel au sujet, cela veut dire strictement qu’il ne fait pas signe à l’Autre. Je vais le préciser, mon exposé et celui de Nadine Daquin préfigurent cet abord qui de nos jours est généralement laissé de côté ; on imagine que l’angoisse pourrait bénéficier d’une intervention interprétative ; or l’angoisse n’est pas refoulée, elle n’est pas non plus inconsciente, elle est simplement déplacée ou transformée, souvent cachée car elle est ignorée par le sujet. Elle est simplement attente. Drogo au Fort Bastiani – nous dit Nadine Daquin, met en évidence comment la certitude et l’attente du danger sont dans l’angoisse une seule et même chose : la menace de l’angoisse se confond avec l’angoisse, l’attente avec la vie, avec la mort. Je cite Nadine Daquin qui cite Buzzati : « dans sa chambre d’hôtel à un moment précis « surgit claire et terrible une nouvelle pensée, venue de lointains replis : celle de la mort », se profile ici l’absence de garantie de l’Autre laissant Drago dans l’abandon, la détresse et la solitude.
Autrement dit, il ne s’agit pas tant comme l’a si bien montré Fernando Morales de soumettre l’angoisse par les techniques de la suggestion, ni de s’en servir en assujetissant l’angoissé à l’autorité de son thérapeute, versant cher aux médecins idéologues, Cabanis et Louyer Villermay ; il s’agit en suivant Freud et puis Lacan, par l’expérience du transfert, de permettre à un sujet de s’extraire de la douleur de sa certitude en faisant advenir le « ça le concerne » pour la seule raison que l’Autre ne fait pas le poids. Désangoisser, aider un sujet à s’en dégager, ne le prémunira pas de ses peurs, mais lui permettra d’apprendre quelque chose en lui faisant savoir la manière dont il s’y trouve impliqué. En somme, aider quelqu’un à se désangoisser, c’est l’ouvrir à la révélation que le sens, n’est pas le seul enjeu, n’est pas la seule finalité, cela donne au sujet l’occasion de rendre sa demande réellement effective ; c’est l’ouvrir à la découverte de ce qui peut être attendu de lui, ce qui fait appel en lui. C’est seulement de cela qui est sûr en lui, seul phénomène qui ne trompe pas !
(Nota bene) L’imagination est une faculté de représentation par l’esprit des objets, des faits irréels, les craintes, appréhensions, les inquiétudes, par exemple, et du coup cette faculté doit pouvoir restituer à la mémoire des perceptions ou des expériences antérieures. L’imagination est aussi une faculté d’invention, de création. Une telle définition rappelle le domaine du signifiant tel que nous l’entendons ; à distinguer de l’imaginaire lacanien s’articule dans la fameuse triade avec le réel et le symbolique. L’imaginaire lacanien renvoie au registre du leurre, en ce sens qu’il réflète comme Narcisse, le désir de l’image que le sujet a de lui-même ; la parade met en évidence le rôle du leurre dans l’approche sexuel des oiseaux.
Dans la réflexion que j’ai entamé autour de l’histoire de thérapeutiques l’imagination met en évidence une fonction symbolique (ou processus de symbolisation) comme capacité de représenter quelque chose d’absent, ou quelque chose qui permet à la mémoire de restituer et donner un ordre aux perceptions ; le médecin fait appel au mental du patient et donc à sa capacité de symbolisation lui permettant de retrouver son calme , à intégrer, interpréter et digérer son inquiétude.