Fernando MORALES
Au XIXe siècle, le Dr. Brissaud considérait déjà l’étiologie cérébrale de la forme aigue de l´anxiété comme étant située au niveau cortical, et que par contre l´angoisse avait pour lui comme localisation le cerveau au niveau du bulbe. A la même époque en 1879, W. Wunt invente la psychologie scientifique, dans son laboratoire de Leipzig en Allemagne. C´est lui-même, qui a dit qu´aucun travail en psychologie, qui ne soit pas mesuré objectivement, ne pouvait être considéré comme faisant partie de la science. Il réduisait tous les comportements et conduites humaines à des réactions chimiques du cerveau. Les théories du stimulus-réponse en ont découlé, par les travaux de son élève Pavlov. (Discussion XXI S. DSM Y CIM).
A la moitié du XXe siècle, les Manuels Statistiques de Maladies Mentales DSM et CIM font leur apparition, eux-mêmes se considèrent comme a-théoriques CAPDEVILLE. Leur seul intérêt est de résoudre les signes de la maladie mentale, à partir des médicaments (Voir document sur l´origine de la psychiatrie). Ainsi qu´au XIXe siècle, la maladie mentale est présentée comme ayant comme seule origine un trouble cérébral (ce qui fait dire aux chercheurs des méthodes qualitatives, qu´on étudie encore les faits humains comme de simples réactions chimiques du cerveau, comme si on était encore au XIXe s.).
La crise d’angoisse aigüe et l’attaque de panique dans la psychiatrie actuelle
Les crises de panique et les attaques de paniques sont considérées comme des entités cliniques similaires, dans la Classification internationale des maladies CIM. Ces entités font partie d´un épisode d´anxiété extrême, elles sont limitées dans le temps et se caractérisent par : « un début brutal. Le tableau est marqué par des signes physiques intenses qui évoquent une urgence médicale ou chirurgicale. Les formes les plus fréquentes sont cardio-respiratoires et neuro-végétatives (bouffées de chaleur, sueur, pâleur, rougeur, tremblement, fourmillement, paresthésies, etc.). Les formes vestibulaires sont moins fréquentes (sensation de vertige, d´instabilité, de tête vide ou l´impression d´évanouissement). Mais, dans certaines occasions plusieurs de ces signes peuvent être associés ».
Pour le DSM IV, il faut considérer pour donner un diagnostic d´Attaque de panique, qu´il y a au moins 4 des 13 troubles répertoriés. Les troubles et les symptômes sont considérés comme identiques.
Vignette clinique d’un cas diagnostiqué comme une attaque de panique en psychiatrie1
Il s’agit d’une femme de 58 ans. Madame M., avant sa crise, présentait une série de problèmes organiques : diabète, hypertension. Après un accident de voiture, elle dit avoir des crises d´angoisse récurrentes, une fois par semaine. Elle ressent une anxiété qui la dépasse, l´impression d´être opprimée, de perdre le contrôle et de ne pas pouvoir respirer. Son médecin généraliste l´adresse aux urgences, puis dans un service de psychiatrie, où on réalise un électroencéphalogramme (EEG) et une imagerie par résonance magnétique (IRM).
Les médecins en s´appuyant sur les travaux des chercheurs de langue anglaise, citent Reiman (1894), qui avait trouvé : « une augmentation du débit sanguin cérébral dans le gyrus para-hippocampique droit chez les patients souffrant de troubles de panique ». Dans ce même article, Masson et ses collègues, considèrent à propos des attaques de panique, je cite : « ce cas clinique et les discussions soulignent le lien anatomo-fonctionnel et non etio-pathogénique des crises de panique ».
La clinique de l’urgence, une approche psychanalytique
A part le Séminaire X de Lacan et l´introduction que fait J. A. Miller à la lecture de ce même Séminaire sur L´angoisse, il y a quelques travaux actuels sur « La Clinique de l´urgence », que nous pouvons lire : « L´urgence généralisée » de l’EOL de Argentina (2004) et un autre de la Revue « Quarto » N° 84 de l’ECF de Belgique sur « La clinique de l´urgence » (2005), où les auteurs considèrent que l´angoisse n´apparait pas seulement comme un signal face à un danger possible, sinon comme un paradigme dans les situations d´urgence ; ils disent : « Il y a des sujets pour qui à part leur souffrance, leur malaise, apparait en première lieu comme quelque chose qui est de l’ordre de l’immédiat, c’est l’urgence d’être reçu tout de suite. Leur situation est tellement tragique, qu’ils sont arrivés à un tel extrême, qu’ils ne peuvent plus attendre »2.
Cas clinique
Pour aborder ce thème, je voudrais vous parler de Mr. A., un jeune homme, qui face à la rencontre d´une jouissance invasive et soudaine, envisage comme seule solution à sa souffrance l´impensable de la mort. Dans un premier temps, il est reçu dans le service de psychiatrie où il faisait un stage, car cela était obligatoire pour sa formation de futur médecin. Il s´agit d´un sujet de 22 ans en dernière année de médecine qui, confronté à une situation apparemment banale, au cours d´un entretien avec une patiente de l´institution psychiatrique, déclenche une série de manifestations connues en psychiatrie, comme des crises ou des attaques de panique. La réponse immédiate de l’institution a été de remettre Mr. A. aux urgences de l´hôpital où il reçoit comme diagnostique une crise de panique, aussitôt on lui prescrit du Xanax comme réponse à sa souffrance.
M. H. Cardenas, ancienne directrice de la NEL, dans la Revue N° 3, écrit à propos des attaques de paniques que celles-ci sont des manifestations d´extrême angoisse que la médecine se limite seulement à décrire et à traiter. Et citant Lacan, dans ce texte « La troisième », nous dit : « l´angoisse a avoir avec le corps. Mais, cependant l´angoisse est quelque chose d´étrange pour le sujet ».
La demande
Mr. A. étant étudiant en médicine, il cherche à comprendre pourquoi on lui prescrit du Xanax. Dans le même temps, ses symptômes s´accentuent : il a le sentiment d´un danger immédiat, avec des réactions dans son corps, qui l´empêche de continuer ses activités. Quand sa mère, qui a suivi un long parcours analytique, prend connaissance de l´état de son fils, elle lui dit de consulter un psychanalyste et me l´adresse, c´est ainsi qu´il arrive à mon cabinet.
Pendant les entretiens, qui durent plusieurs mois, rien ne paraît se modifier. Même s´il continue à venir, son discours se limite à des phrases qui se répètent sans cesse et il pleure sans arrêt en mettant sa tête entre ses jambes : « chaque fois que je suis dans un endroit qui ne m´est pas familier, j´ai un sentiment intense que quelque chose va se produire et que je vais mourir. Je commence à transpirer copieusement, j’ai envie de sortir en courant, je tremble et je dois quitter le lieu ». Il veut une explication rapide, pour comprendre son état et ses crises. Des fois, il arrive à n’importe quel moment au cabinet, en disant : « pour arriver chez vous je ferme les yeux et tout le long du parcours je fais des exercices de respiration pour pouvoir me contrôler ».
Dans « L´introduction à la lecture du Séminaire L´Angoisse »3, J.A. Miller nous dit qu´il ne faut pas seulement nous efforcer de vouloir guérir l´angoisse, car l´angoisse n´est pas un trouble, ni quelque chose de dysfonctionnel, ce qui est le cas du symptôme. La médecine et les différentes formes de thérapies, cherchent à la soulager et à la supprimer, car pour eux l´angoisse est un symptôme. L´angoisse dit Lacan, est un signal d’une jouissance qui ne se laisse pas attraper par le signifiant. Pour mieux comprendre cette phrase énigmatique, qui nous laisse perplexe, Lacan nous proposera une réponse sur la manière de faire face à l´angoisse : « ne pas l´éviter, ni l´enlever, ni la supprimer. Il faut l´affronter. Pouvoir passer par elle et obtenir un savoir sur la manière dont l´angoisse est impliquée dans la souffrance. Ceci, est seulement possible de le réaliser par l´expérience du transfert, qui fait sortir le sujet de sa position de contemplation pessimiste du pire ».
Les questions que l´on peut se poser sur ce cas, sont d´abord :
– De quelle manière Mr. A. peut s´affronter à cette angoisse qui le dépasse ?
– Comment dépasser ce moment initial où l´inquiétante étrangeté freudienne occupe chez le sujet le premier plan et dont celui-ci veut se débarrasser le plutôt possible ?
Les effets du transfert dans la cure
Dans le cas de Mr A., le dispositif analytique et la mise en place du transfert ont amené peu à peu le sujet à s´intéresser à d´autres moments de sa vie, malgré son insistance pour dire qu´il peut se produire la même chose que le jour où il a perdu le contrôle dans son lieu de stage à l´hôpital psychiatrique. Mr A. va mieux et n´a pas revécu de crises de panique. Il évoque une série de situations qui l´inquiètent :
– La première fois, c´était en voyant une femme angoissée par la crainte de devenir folle, j´ai alors pensé qu´elle ressentait la même chose que moi.
– Dans la rue, j´ai peur des fous. A l´hôpital, je crois que je ne peux leur apporter aucune aide.
– A la vue du psychiatre qui m´a traité à l´hôpital quand j´ai eu la crise, celui-ci ressemblait à celui qui avait reçu ma mère, quand j´avais 10 ans ; j´ai ressenti alors une sensation intense de mort.
A partir de ce moment, une série d´associations l´amène à son histoire familiale. Il évoque des souvenirs de sa mère, quand il avait 10 ans. Elle pleurait dans sa chambre, plongée dans le noir, où on lui interdisait d´entrer. Elle allait très mal, avait un visage triste, mélancolique et se plaignait de douleurs au cœur.
Par la suite, il évoque plusieurs souvenirs de morts, dans son entourage proche : un ami mort dans un accident de voiture en allant à l´Université, et son beau-père assassiné de façon brutale. Ces souvenirs l´affectent, quand il pense que cela peut arriver à sa famille.
A propos de la sexualité et de ses relations amoureuses, il évoque certaines inquiétudes qui ont commencé au moment de son adolescence et actuellement réapparaissent dans ses relations affectives actuelles. Il évoque quelques moments significatifs à propos de sa sexualité : pendant son adolescence, il voit pour la première fois son frère aîné nu ; avec ses copains il regarde des films pornos et a des expériences de masturbation ; lors de sa relation avec sa petite amie, Mr A. dit qu´elle se plaint de ne jamais avoir d’orgasme dans ces rencontres sexuelles. Il ressent alors un sentiment d´infériorité, car il craint de ne pas avoir un organe suffisamment performant.
De ses parents, Mr. A. évoque la dépendance excessive qu´il a eu avec sa mère, celle-ci a dormi avec lui jusqu´à l’âge de 6 ans. Elle le protégeait des châtiments et de la difficulté qu´il avait de parler avec son père : « chaque fois que j´avais besoin de quelque chose, ma mère parlait pour moi ou quand mon père se fâchait avec moi, elle était toujours là pour me protéger », ce qui accentue sa rivalité vis-à-vis de son père, qui est toujours présent.
Les effets de la cure
C´est ainsi que, progressivement, il commence à s´intéresser à sa vie amoureuse, à ses souvenirs d´enfance et à répondre à la question initiale, le pourquoi de ces crises d´angoisse. Les effets thérapeutiques pour Mr A. ont été la diminution de ses accès d´angoisse qui le paralysaient. Ceci étant dû, qu´il se soit impliqué dans ses crises d´angoisse en subjectivant ses affects. Ce qui nous renvoie à la théorisation lacanienne de l´angoisse, cette dernière n’étant pas sans objet. Cependant, bien que l´analyste l´invite à poursuivre son travail analytique, Mr A. décide d’arrêter ses séances, considérant ne plus en avoir besoin. Les dernières nouvelles que j´ai eu de lui par sa famille, sont qu’il réalise actuellement des études spécialisées en médicine dans un pays étranger.
Bibliographie
– REVUE DU PRACTICIEN. No. 62. Pag, 555. 2012. France.
– FREUD S. 1933. L´inquiétante étrangeté. Essais de psychanalyse appliquée. Ed. Gallimard. Paris.
– FREUD S. 1965. Inhibition, symptôme et angoisse. Ed. PUF. Paris
– MILLER J. A. 2005. Introducción a la lectura del Seminario de la Angustia de Jacques Lacan. Revista Freudiana No. 42. Argentina.
– LACAN J. 2005. Seminario X L´angoisse. Ed. Seuil. Paris
1 Annales Medico-psychologiques, No 169, pages 395-397, 2011
2 Pag. 43- 44. Ed. Gramma Argentine 2004
3 MILLER J.A. Introducción a la lectura del Seminario de la Angustia de Jacques Lacan. Revista Freudiana, No. 42. Argentina, 2005