Gwenaëlle BOITARD
Le jeune clinicien sort de l’université, fort d’un savoir théorique qui fonctionne parfois comme un rempart visant à protéger du réel de la clinique.
Le statut protecteur de stagiaire est désormais révolu et le jeune psychologue a obtenu son permis d’exercer. Il est désormais temps pour lui de se dégager des canons théoriques surmoïques de l’université et d’inventer sa pratique, son style.
Car Lacan nous prévient : « gardez-vous de tout comprendre » car «moins on comprend, mieux on écoute », le piège de l’interprétation étant celui de verser le discours du patient dans une théorie préétablie.
Et Lacan de nous montrer que l’on peut partir de zéro comme si rien n’avait été fait, de ne pas reculer devant les difficultés et de s’affairer sur le point d’énigme plutôt que de se réjouir de l’évidence de la découverte.
Les premières expériences cliniques dont vont nous parler nos collègues, témoignent de plusieurs paramètres importants qui vont donner les coordonnées de la rencontre avec un patient :
– de qui émerge la demande à ce qu’un patient rencontre un psy, du patient lui-même ou de tierces personnes (famille, assistante sociale, médecin) ?
– comment le cadre institutionnel permet, ou non, de faire émerger et de préserver la rencontre avec le sujet ?
– comment le jeune psy se positionne sur le plan de sa pratique au regard de son inexpérience clinique, avec pour boussoles à la fois son fort désir de rencontrer les patients au risque qu’il prenne la forme d’une demande trop pressante, et à la fois ses assises théoriques qui peuvent recouvrir l’écoute de la parole du sujet, voire entraver l’élan du sujet à se raconter ?
Si la rencontre entre le clinicien et le patient est d’abord imaginaire en ceci qu’elle nécessite la présence physique des deux protagonistes, le piège serait de rester coller à cet axe imaginaire et de ne pas permettre au sujet de l’inconscient d’émerger.
Si la belle âme veut accueillir, offrir et répondre, le clinicien, quant à lui, doit jouer avec le refus car le patient « demande de lui refuser ce qu(‘il lui) offre parce que ce n’est pas ça ». Lacan in…Ou pire, 9 février 1976.
Le patient s’adresse au sujet supposé savoir en tant qu’il suppose à cet Autre un savoir sur ce qui le concerne. Avec la règle fondamentale de dire tout ce qui vient à l’esprit, il suppose que l’Autre sait ce que cela veut dire.
Le clinicien prend à sa charge le support du sujet supposé savoir (Séminaire d’un Autre à l’autre), mais c’est à lui de refuser de donner ce savoir au patient, de manière à faire émerger, par ce refus, le désir de savoir du coté du sujet.
De même, pour assurer la dimension du désir, il faut également que l’Autre soit barré. L’Autre n’étant plus garant de la Vérité et du savoir, la charge en revient au sujet.
Enfin, dans la rencontre avec un patient, le clinicien est lui aussi dépendant de l’Autre du langage, de ses lois et de ses pièges. Il doit, lui aussi, faire avec sa propre angoisse : angoisse face au silence ou au mutisme d’un patient ou face à l’incompréhension radicale éprouvée devant un sujet psychotique se tenant hors-discours ; angoisse face à la demande trop pressante ou inappropriée de l’institution qu’il s’agit dès lors de subvertir, chose mal aisée lorsqu’on débute.
C’est au clinicien qu’il incombe de ne pas donner son angoisse à son patient. A lui d’en savoir un peu quelque chose de son propre désir. A lui de ne pas recouvrir la place où il est appelé et à refuser de répondre à la demande du besoin, tout en étant un support et un vecteur à l’émergence du désir inconscient du sujet qui s’adresse à lui.