Magalie SABOT
Freud, en grand visionnaire, invitait déjà ses paires lors du 5ème congrès international de psychanalyse en 1918 qui se déroula à Budapest à se questionner sur les voies nouvelles dans lesquelles pourrait se développer la thérapie psychanalytique. Il se questionnait en ces termes :
« Admettons maintenant que par une quelconque organisation nous réussissions à augmenter notre nombre au point de suffire au traitement de plus grandes masses humaines. Voici, d’autre part, ce qui est à prévoir : un jour ou l’autre, la conscience morale de la société s’éveillera et elle lui rappellera que le pauvre a tout aussi bien droit à l’aide animique qu’à celle que de nos jours il a déjà, l’aide chirurgicale qui lui sauve la vie, et que les névroses ne menacent pas moins la santé du peuple que la tuberculose et peuvent être tout aussi peu que celle-ci abandonnées à l’assistance de tel ou tel membre du peuple. Alors seront édifiés des établissements ou des instituts de consultation auxquels seraient affectés des médecins formés à la psychanalyse afin de rendre, par l’analyse, capables de résistance et de d’activités les hommes qui sans cela s’adonneraient à la boisson, les femmes qui menacent de s’effondrer sous le poids des renonciations, les enfants qui n’ont le choix qu’entre la sauvagerie et la névrose. Ces traitements seront non payants.
Il faudra peut-être longtemps avant que l’Etat ressente ces obligations comme urgentes. […]
C’est alors que s’offrira à nous la tâche d’adapter notre technique aux nouvelles conditions. […]
Mais, quelque soit la configuration qui puisse prendre pour le peuple cette psychothérapie, quels que soient les éléments dont elle puisse se composer, ses parties constituantes les plus efficaces et les plus importantes resteront à coup sûr celles qui auront été empruntées à la psychanalyse rigoureuse, celle qui est exempte de toute tendance»i
Freud avait raison de se projeter ainsi dans l’avenir, car bien qu’il ne s’agisse plus seulement de « médecins formés à la psychanalyse » mais de psychologues qui ont en commun un titre depuis le 25 juillet 1985 (correspond à un BAC + 5 obtenu à l’Université), la société s’est effectivement ouverte aux soins psychiques dans de nombreux établissements.
En effet, de nous jours, les psychologues sont présents dans le champ de l’éducation, de la justice, de l’armée, la santé, la police, dans le champ médico-social, l’humanitaire, les transports, le sport, en libéral, etc. Ainsi, nous travaillons comme l’avait prédit Freud, auprès d’un public varié : enfants, adolescents, adultes, toxicomanes, alcooliques, atteints de pathologies somatiques, détenus, malades mentaux, SDF, en fin de vie, dans le coma, etc. Et il existe plusieurs sous-disciplines chez les psychologues : psychologue clinicien, psychologue du travail, neuropsychologue, psychologue scolaire, conseiller d’orientation psychologue, psychosociologueii.
Ainsi, les psychologues sont évalués en 2002 par les organisations professionnelles à 35 000 en France (sur 45 000 diplômés). Nous sommes même aujourd’hui si nombreux et variés, que cela peut parfois nuire à la visibilité de la profession.
Le jeune diplômé se retrouve aujourd’hui avec des possibilités diverses et variées de choix de carrière, mais en fonction du lieu d’exercice, du domaine, du public rencontré ou de l’établissement employeur, ses conditions de travail, son salaire, ses conventions, ses missions peuvent radicalement variées.
Comment s’y retrouver ? Comment s’adapter à la réalité du terrain le diplôme fraichement en poche? Comment « adapter notre technique aux nouvelles conditions » ?
La réalité que Freud n’avait pas pu anticiper, c’est l’arrivée de pôle emploi ! Car faute de réseau, démunis, ou non préparés à la réalité du marché du travail, certains jeunes diplômés se retournent vers le pôle emploi pour trouver de l’aide… ce qui n’arrange bien souvent rien à sa confusion et son malaise.
Je me rappelle de mon premier passage par pôle emploi : une gentille conseillère me reçu pour remplir un gros dossier que je savais déjà inutile, mais lorsqu’elle comprit que je cherchais un poste de psychologue, elle s’apitoya : « Laissez tomber, y’a pas de boulot ! Moi-même je suis psychologue, je n’ai jamais trouvé de travail alors aujourd’hui je suis conseillère à pôle emploi ! »
Pôle emploi c’est en effet un peu le fourre-tout pour psychologue, où l’on retrouve tout et n’importe quoi :
Un exemple parmi d’autre, l’offre 014XTNK du 8 avril 2014 de pôle emploi recrute à Châteauneuf sur Charente, dans un centre hospitalier, un psychologue diplômé BAC + 3 (?) devant réaliser : « des activités internes et externes, planifier des activités, accueillir le public, prendre en charge les personnes, tenir des entretiens, identifier et recenser les besoins de personnes, réaliser des bilans psychologiques, des synthèses de travail, des restitutions de bilans, réaliser des soins, faire de l’éducation thérapeutique, et accompagner pédagogiquement des étudiants et stagiaires, » etc. !
Tout cela payé au payé au SMIC…pour un CDD de 4 mois !
Bien heureusement, je ne suis pas attardée au pôle emploi dans cette confusion totale, car le travail de psychologue se situe au-delà de cette réalité : il est avant tout un désir et une passion. Le métier s’invente et se construit dans le partage, les réseaux, l’échange. Ce métier de psychologue est d’abord un métier de rencontres avec l’Autre : le patient et son désir, mais aussi rencontres avec les paires dans un réseau et un travail de pensée. La triste réalité institutionnelle et les « galères » professionnelles ne doivent pas prendre le pas sur le travail clinique et la rencontre singulière. Aujourd’hui, les jeunes psychologues doivent faire preuve de créativité et de ressources pour réinventer chaque jour la pratique au cœur de la rencontre clinique.
Nous allons donc rencontrer trois professionnelles bien ancrées dans la réalité clinique/professionnelle qui ont justement su « adapter leurs techniques à ces nouvelles conditions» et qui vont maintenant tenter de répondre à nos interrogations pour cette deuxième table ronde intitulée « Cauchemars, écueils et espoirs : s’installer dans la pratique ».
Bibliographie :
– S. Freud (1918) « Les voies de la thérapie psychanalytiques » in La technique psychanalytique.
– Alain Paineau (Octobre 2004), « Métier : psychologue » ou « Métiers de la psychologie » ? Atelier du congrès de 2005 de la SFP.
– « Psychologues et Psychologies », (février 2002), Bulletin du Syndicat National des psychologues (SNP), supplément n° 162
iS. Freud (1918) “Les voies de la thérapie psychanalytiques” in La technique psychanalytique, p.167
ii Lire à ce sujet : Alain Paineau, Octobre 2004 , « Métier : psychologue » ou « Métiers de la psychologie » ? Atelier du congrès de 2005 de la SFP.